Bonheur d’être catholique (5)

Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise, par la doctrine consolante de la communion des saints, nous apprend à rester en relation non seulement avec les élus du ciel qui prient avec nous et pour nous, mais avec les pauvres âmes qui, dans l’exil du purgatoire, achèvent d’expier leurs péchés. Quelle consolation de penser que, par nos prières, par l’acceptation de nos peines, par nos sacrifices, par nos actes de vertu, nous pouvons secourir les défunts, ceux que nous avons connus et aimés, ceux même que nous ne connaissons pas et qui, pareils au paralytique de l’Évangile, n’ont personne qui leur tende la main. Jésus nous engage à faire l’aumône aux pauvres « pour que, lorsque nous quitterons la vie, ils nous reçoivent dans les tabernacles éternels». Quels pauvres plus sympathiques pouvons-nous imaginer que les âmes du purgatoire, et quelle aumône plus précieuse pouvons-nous leur offrir que celle de nos prières ? A mesure que les années passent, à mesure que l’ombre s’allonge sur notre route, à mesure que nous nous sentons plus isolés au milieu d’un monde qui n’est plus celui de notre enfance, nous trouvons une grande douceur dans la conviction que nos morts nous restent invisiblement présents, que nous mettons en commun avec eux nos trésors spirituels, en attendant le jour où nous leur serons à jamais unis auprès de Dieu.

L’Eglise qui nous enseigne à vivre dans l’intimité de nos défunts veut aussi que nous soyons charitablement généreux envers nos semblables qui vivent encore sur la terre. Elle nous apprend même que, si nous leur venons en aide, nous pouvons acquérir des mérites qui valent pour l’éternité. Ce mot de mérite a le don d’exaspérer ceux qui ne le comprennent pas : ils nous accusent de sacrifier la grâce au mérite humain, et de prétendre nous sauver par nous-mêmes au lieu de croire au salut par le Christ. L’Eglise affirme pourtant que, sans la grâce, nous ne pouvons pas même avoir une pensée qui vaille quelque chose pour le salut. Elle affirme que l’amour de Dieu Lui-même est un don tout à fait gratuit, puisque nous avons été aimés par Dieu alors que nous Lui déplaisions, pour que pût nous être donné ce par quoi nous pourrions Lui plaire. Elle affirme que, sans l’inspiration prévenante et le secours du Saint-Esprit, l’homme est incapable de croire, d’espérer, d’aimer, de se repentir, comme il le faut pour être justifié. Elle affirme que si quelqu’un prétend que l’homme peut être justifié par ses œuvres, sans la grâce divine donnée par Jésus-Christ, il est anathème, c’est-à-dire séparé de la communion catholique. Ces paroles sont le commentaire fidèle de celles de Jésus-Christ : « Sans moi, vous ne pouvez rien ».

Cet enseignement théorique, l’Église le fait constamment passer dans la pratique, entre autres, par sa liturgie. Elle nous apprend à dire à Dieu que « nous nous appuyons sur la seule espérance de sa grâce », que « c’est par son secours que les fidèles peuvent le servir louablement et dignement » que nous avons besoin d’être « prévenus et accompagnés par la grâce », que « sans Lui nous ne pouvons Lui plaire » que c’est la mort de Jésus qui nous a donné « le droit d’espérer ce qui fait l’objet de notre foi ». Il faut donc une vraie mauvaise volonté pour prétendre que nous substituons nos propres mérites aux mérites de Jésus-Christ. Mais, une fois justifiés par la grâce et incorporés de la sorte au Fils de Dieu, nous savons que la pratique de la vertu nous obtient, non pas à cause d’une valeur humaine indépendante du Christ, mais à cause de la grâce du Christ, un véritable mérite qui est lui-même un don de Dieu. « Quand Dieu couronne tes mérites, dit saint Augustin, Il ne couronne que ses dons. La vie éternelle nous est accordée en suite de nos mérites ; cependant, comme nos mérites ne viennent pas de nous, mais sont produits en nous par la grâce, la vie éternelle est appelée une grâce : elle est un don gratuit, non point du fait qu’elle est accordée à ceux qui n’ont aucun mérite, mais du fait que le mérite lui-même est un don ».

Ceci posé, si nous voulons, en aimant nos semblables, en les secourant dans leurs besoins, en les traitant comme nous désirons être traités nous-mêmes, agir d’une façon méritoire, nous devons exercer envers eux la vertu de charité, non point parce qu’ils nous sont sympathiques ou qu’ils ont droit à notre reconnaissance, mais parce que Jésus-Christ nous a dit : « Tout ce que vous ferez au dernier des miens, c’est à moi-même que vous l’aurez fait. » Nous devons aimer nos frères, par amour pour Dieu. Nous devons vouloir du bien même à nos ennemis, même à ceux qui nous maltraitent, même à ceux qui nous persécutent, parce que Jésus-Christ nous en fait une obligation. Et si la chose est difficile, nous prenons courage en songeant que l’accomplissement de ce précepte divin nous permet d’amasser pour le ciel des trésors que la rouille ne peut détruire et que les voleurs ne peuvent emporter. L’Évangile, à bien des reprises, donne comme perspective à nos bonnes actions la récompense éternelle. Et l’un des bienfaits de l’Eglise c’est précisément de nous avoir gardé la certitude consolante de cette récompense pour ceux qui font leur devoir, comme elle nous a gardé la certitude terrible mais bienfaisante du châtiment pour ceux qui meurent séparés de Dieu. Cette affirmation très nette des sanctions divines, qui réconforte les justes en leur rappelant que « les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir », et qui tient en éveil les pécheurs en leur rappelant qu’il vaudrait mieux s’arracher l’œil ou la main que de s’exposer à être jeté « dans la géhenne du feu », peut seule donner à notre vie l’orientation qu’elle doit avoir. Cette vérité, l’Eglise ne cesse de la prêcher au monde qui voudrait l’oublier, de même qu’elle ne cesse de répéter avec force que la charité chrétienne, capable de mériter une récompense, est tout autre chose que la simple philanthropie. Nous devons nous dévouer au prochain ; mais c’est le Christ que nous devons voir dans sa personne, le Christ qui, suivant l’heureuse expression d’un ancien, nous apparaît comme le grand Pauvre, le seul vrai pauvre en qui tous les pauvres de la terre endurent leur pauvreté.

Mettons-nous vraiment en pratique cette doctrine admirable que nous prêche l’Eglise et qui n’est autre que celle du Christ ? Cette théorie de la charité, qui suppose l’accomplissement préalable de tous nos devoirs de justice, est la base de la doctrine sociale de l’Eglise. Si vraiment nous voyions dans notre prochain le Christ Lui-même, nous aurions à son égard une attitude différente de celle que nous avons en effet trop souvent ; tous les problèmes sociaux, même les plus compliqués, se résoudraient comme par enchantement, ou plutôt ne se poseraient pas. Si, non point tous les catholiques, ce qui, malheureusement, n’est guère possible, mais du moins beaucoup de catholiques, et d’abord ceux qui se font gloire d’être parmi les meilleurs, conformaient leur conduite à leurs principes dans l’ordre de la charité, y aurait-il tant de misères autour de nous ? Y aurait-il tant de graves malentendus qui dressent les classes les unes contre les autres, et tant de pauvres gens détachés de l’Eglise dont la doctrine est défigurée par l’exemple de ceux qui s’en réclament ?

Concluons maintenant. Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise, malgré les déficiences et les égarements d’un trop grand nombre des siens, malgré les abus qui la déchirèrent à des époques douloureuses, ne cesse d’exercer sa mission divine. Grâce à son enseignement, nous possédons la juste notion du Christ ; nous avons dans les sacrements les trésors de la puissance sanctificatrice du Christ ; nous honorons dans la Sainte Vierge et dans les saints le reflet de la sainteté du Christ ; nous vénérons dans l’autorité du Pape une participation au pouvoir du Christ ; nous aimons dans les pauvres, vivants ou défunts, les membres souffrants du Christ. Le Christ fidèlement gardé par l’Eglise, telle est la base inébranlable de notre espérance et de notre joie ; tel est le gage assuré de notre bonheur sur la terre et dans le ciel. Puisque le Fils de Dieu nous aime assez pour descendre du séjour de sa gloire jusqu’à nous, puis qu’Il nous guérit et nous fortifie par les sacrements, puis qu’Il demeure au milieu de nous dans l’Eucharistie, puis qu’Il nous donne sa Mère qu’Il a tant aimée, puis qu’Il continue par la voix du Souverain Pontife à nous montrer le chemin sûr où nous devons marcher, nous n’avons pas à craindre l’avenir, même quand il apparaît très sombre.

« Aucune richesse, aucun trésor, aucune gloire, aucun bien de ce monde ne peut être mis en parallèle avec la possession de la foi catholique ». Nous aimons à citer, en terminant, cette enthousiaste affirmation d’un auteur du Ve siècle, que saint François d’Assise n’aurait pas désavoué, lui qui voulait « en tout, et par-dessus tout, garder, vénérer, pratiquer la foi de l’Eglise romaine ». Tant de grandes âmes, tant de nobles esprits ont pensé de la sorte ! Pascal lui-même, malgré ses tendances jansénistes, savait le prix de l’orthodoxie catholique : « Grâce à Dieu, disait-il, je n’ai d’attache sur la terre qu’à la seule Eglise catholique, apostolique et romaine, dans laquelle je veux vivre et mourir. Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m’en faire la grâce, sans quoi je serais perdu pour jamais». A l’exemple de tels hommes, sachons apprécier, nous aussi, notre privilège d’être catholiques.

Suivant saint Augustin, « l’Eglise passe, entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu ». Celles-ci compensent toujours celles-là. Gardons-nous de perdre confiance : le prince des ténèbres ne peut pas ne pas haïr la lumière ; mais, dans la lumière de l’Eglise, nous aurons la paix. Le fait d’être catholique ne transformera pas notre vie en une sorte de paradis terrestre où la douleur ne se fera plus sentir. Mais, si nous comprenons la grâce dont Dieu nous a favorisés en nous donnant l’Eglise, si nous nous efforçons de correspondre généreusement à cette grâce, nous souffrirons moins de la privation des biens périssables, nous nous attacherons davantage aux biens supérieurs, nous répandrons plus de joie autour de nous, et, nous rendant mieux compte du sens et de la valeur de la vie, nous trouverons plus de bonheur ici-bas, en attendant d’être pleinement heureux dans le ciel.

Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous !

Fribourg, le 11. février 1936.
MARIUS BESSON,
Evêque de Lausanne, Genève et Fribourg.


Lettre d’information N° 10 – 7 avril 2020
Source :  «Bonheur d’être catholique», lettre pastorale pour le Carême 1936 rédigée Mgr Marius Besson, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, (Imprimerie St-Paul à Fribourg). 


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