Nidegger Yves (UDC, GE): Au commencement était non le Verbe, mais une initiative parlementaire « verbe libéral » – « verbe libéral », parce qu’elle proposait de changer un mot à l’article 38 alinéa 1 de la Constitution. Si vous prenez le texte initial de l’initiative à laquelle il a été donné suite, c’était cela: biffer le mot « mariage » de la Constitution à l’article 38 alinéa 1, le remplacer par le mot « union ».

Cette proposition avait l’avantage de la franchise et du courage, puisqu’elle supposait d’aller devant le peuple et les cantons pour s’assurer au passage que la vision d’une élite éclairée, considérant que sa mission est de guider un peuple aveugle vers un destin prédestiné et radieux sans trop lui expliquer les étapes du chemin, était effectivement confortée par la majorité du peuple et des cantons qui ont en mains la Constitution. Ce chemin a été écarté par un quarteron de juristes suivi par la majorité de la Commission des affaires juridiques, qui ont préféré l’entre-soi à la confrontation des idées avec la réalité et la technique du salami, dont vous avez une première tranche d’une certaine substance ici, en partant de l’idée qu’il serait plus difficile aux opposants, qu’ils savent être majoritaires dans ce pays, de devoir venir avec un référendum après l’autre, à chaque étape de cette « saucissonnade ».

Aujourd’hui, vous avez donc devant vous un projet qui n’a pas grand-chose à voir avec ce à quoi il a été donné suite, finalement, par la commission et qui a tout à voir avec un coup d’Etat parlementaire sur la Constitution, permettant de dire que le sens du mot « mariage » – je vous rappelle que c’est un mot qui a une origine latine, « matrimonium », à savoir « mater », la mère, et « munium », la fonction -, c’est l’institution qui permet de devenir mère dans les conditions psychologiques, économiques, sociales supportables dans une société et, surtout, en établissant la filiation de l’enfant.
L’idée que le « matrimonium » puisse s’appliquer à des couples qui, par définition, ont une sexualité inféconde, est évidemment une contradiction dans les termes. Mais il eut été plus simple de poser la question au peuple plutôt que de s’exposer plus tard à un référendum sur cette question.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui, qui se limite au code civil, à la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) et évidemment à la loi sur le partenariat, qui est modifiée, n’a absolument rien à voir avec ce pour quoi il vous est vendu, à savoir une prétendue recherche d’égalité de traitement.

Le mariage pour tous existe en droit suisse depuis 2007, sous le nom de partenariat enregistré, c’est-à-dire bien dix ans avant que nos voisins latins s’intéressent au mariage pour tous. La Suisse n’est pas en retard, la Suisse était en avance sur cette question. La différence réside dans un mot.
Si vous prenez la loi sur le partenariat et le code civil et que vous faites une analyse au microscope électronique, vous n’y trouverez pas de différence ou alors des différences minimes. Celles-ci portent en effet sur de petites questions, comme la naturalisation du conjoint, soit facilitée, soit ordinaire, mais aux conditions de la naturalisation facilitée. Si, véritablement, c’était sur ces questions qu’était le problème, il suffisait de micro-modifications dans les lois spécifiques, la loi sur la naturalisation en l’espèce, et éventuellement de donner le droit social par ailleurs, et il ne fallait pas de révolution copernicienne ou d’une prise d’assaut d’un mot.
Pourquoi donc se bat-on pour ce mot? Evidemment pas pour les droits, qui sont déjà là, mais pour autre chose. C’est parce que ce mot est une clé qui ouvrira la porte d’autres corps de loi, dont la filiation, en particulier, ce qui a été évoqué jusqu’ici.

M. Flach a déposé une minorité, que nous aborderons plus tard et qui concerne l’article 259a. Cette proposition porte sur la vieille institution qui veut que, pour donner un père juridique à chaque enfant qui naît, on utilise la présomption que tout enfant né de Madame Dupont a pour père Monsieur Dupont, qui si ce n’est pas le cas n’a qu’à aller voir le juge pour corriger la filiation. C’est cette présomption qui sert à créer la filiation paternelle, parce que de la mère on est toujours sûr – les Romains nous disaient déjà: « Mater semper certa est ». Vous demandez à un enfant de deux ans de montrer qui est sa maman, il pointera son doigt vers une dame. Si vous lui demandez pourquoi cette dame est sa maman, il vous dira: « Parce que c’est ma maman. » Et quand vous lui demanderez de désigner son père, il vous présentera la personne que sa mère lui a présentée comme étant son père. Le lien paternel doit être fabriqué par la culture, par les institutions et par le droit, parce que la nature a créé une injustice au préjudice des hommes, qui veut que les bébés sortent toujours du ventre des dames, mais jamais de celui des messieurs. Et c’était vrai à l’époque où Eugen Huber a écrit le code civil; c’est vrai encore aujourd’hui, rien n’a changé.
N’entrez pas en matière sur ce projet. C’est une modification de vie sociétale: mariage pour tous, gestation pour autrui et parents pour personne. Eugen Huber, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font!

Lettre d’information N° 18 – 11 juin 2020 | Source : parlament.ch