Jean-Pierre Saw – Les Suisses auront à se prononcer le 30 novembre sur une initiative qui part de constats justes : l’individualisme se répand dans notre société, seuls un tiers de jeunes s’engagent pour un service militaire ou civil et les femmes le font de manière volontaire uniquement. La solution proposée est-elle la bonne, en particulier à travers le prisme catholique ?
Le texte
L’article constitutionnel proposé élargit la notion milice à un service «au bénéfice de la collectivité et de l’environnement». Sans qu’il n’en soit fait mention explicite dans le texte, la brochure explicative de la Confédération explique qu’il s’agirait des domaines (non exhaustifs ?) de «la protection du climat, la sécurité alimentaire ou l’assistance». Admettons. En tous les cas, il s’agirait d’élargir l’obligation de service aux femmes, ce qui ferait passer la base de recrutement de 35’000 à 70’000 personnes par an.
Les arguments
Les initiants mettent en avant les avantages pour la cohésion sociale, et l’élargissement de la notion de sécurité aux réalités de l’époque. Ils invoquent également l’inévitable «lutte contre le changement climatique», point sur lequel il paraît moins évident de les suivre.
Le Conseil fédéral et le Parlement proposent de refuser l’initiative : d’une part l’offre excéderait les besoins, et d’autre part elle amènerait un doublement des coûts. Le budget de l’Assurance pour perte de gain passerait à 1.6 milliards et celui de l’Assurance militaire à 320 millions. Tant l’employeur que l’employé et la Confédération seraient impactés. Mais ni cet argument, ni celui d’une éventuelle délicatesse avec le droit international ne nous paraissent déterminants dans cet enjeu de société.
Par ailleurs, que le service de jeunes Suisses remplace dans certains domaines une main d’œuvre peu qualifiée nous paraîtrait plutôt un moyen intéressant de ralentir une immigration difficilement intégrable. L’argument conservateur, celui du journal La Nation par exemple, souligne pertinemment le caractère unique du service militaire, dévalorisé de facto par l’initiative, à laquelle il appelle à s’opposer.
La doctrine sociale de l’Eglise
Sans doute favorable à un service de tous en faveur de la société, notre sainte Mère rappelle notamment, contre l’air du temps, que la vocation spécifique de la femme est la maternité et que la place de la mère de famille reste avant tout dans son foyer. En conséquence, l’éducation des enfants doit être au centre de ses préoccupations ; or la contraindre à un service obligatoire l’éloignerait à première vue de cette vocation.
Force est de constater, cependant, que la réalité sociale diverge déjà largement de l’idéal prêché par les papes, puisque nombre de ces dames revendique le fait de ne pas souhaiter d’enfants. Faudrait-il dès lors placer les femmes face au choix entre la maternité et un autre service ? Avec pour avantage de les rappeler à leurs responsabilités, la solution la plus élégante serait d’exempter les mères d’un autre service obligatoire dès leur première grossesse, mais l’initiative ne le prévoit hélas pas.
En tous tous les cas, l’activité principale de la femme doit «sauvegarder l’honneur de son sexe» (Léon XIII), ce qui parait peu compatible avec certaines activités physiques et militaires. Les vocations particulières constituent l’exception et, de manière générale, toute femme est appelée à rester active dans la cité selon ses capacités (Pie XII). Plus récemment, Dignitatis mulierem a élargi la vocation de la femme à une «capacité particulière à accueillir l’autre» (Jean-Paul II), ce qui peut ouvrir à des interprétations diverses.
Conclusion
Si cette doctrine paraît aujourd’hui dépassée, c’est que la société s’en est consciemment détournée. Les principes qui déterminent le statut de la femme ont totalement changé et c’est l’autodétermination qui prime ; or celle-ci paraît peu compatible avec la notion de service. Ainsi, au-delà de l’objet qui nous occupe, la réflexion se poursuivra certainement pour élaborer une synthèse qui tienne également compte non seulement de l’honneur propre aux femmes, mais aussi de l’urgence démographique qu’une fausse compréhension de leur dignité a inévitablement engendrée. En ce qui concerne notre initiative, il manque pour l’approuver un élément de verticalité qui hiérarchise les services en reconnaissant la primauté du don total, que ce soit pour la défense du pays ou la transmission de la vie. —
Pour plus d’informations :
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