Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise nous a gardé les sacrements, institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour donner et conserver la grâce. Il est impossible, dans une simple lettre pastorale, de passer en revue les sept sacrements, et de montrer la place qu’ils tiennent ou doivent tenir dans la vie de l’individu, de la famille et de la société. Laissez-nous au moins, nos très chers Frères, vous dire un mot du plus grand de tous les sacrements, celui de l’Eucharistie.

Lorsque Notre-Seigneur, dans le discours que saint Jean résume au Vie chapitre de son Évangile, promit l’institution de l’Eucharistie, en des termes qui ne laissaient aucun doute sur la présence réelle, quelques-uns de ses auditeurs, ne pouvant croire à ses paroles, l’abandonnèrent. Alors le Maître se tourna vers ses apôtres : « Et vous, voulez-vous aussi me quitter?» Pierre — c’est toujours lui qui parle au nom des autres —répondit : « Seigneur, à qui donc irions-nous ? vous avez les paroles de la vie éternelle. » De nos jours encore, nombreux sont ceux qui refusent d’admettre le dogme de la présence réelle. L’Eglise nous l’a conservé ; nous le croyons parce qu’Elle nous l’enseigne ; et nous éprouvons un sentiment de grande sécurité, lorsque, lisant l’Évangile, nous constatons que la doctrine de l’Eglise est en parfaite harmonie avec le témoignage du Christ — comme elle concorde avec l’enseignement des grands représentants de la pensée chrétienne des premiers siècles. Ceux qui repoussent le dogme de la présence réelle sous prétexte qu’il répugne à l’intelligence, ne peuvent, sans être illogiques, admettre le dogme de l’Incarnation. Si l’on ne pense pas être déraisonnable en croyant que le Fils de Dieu prit un corps et une âme semblables aux nôtres, par amour pour nous, peut-on trouver déraisonnables ceux qui croient que ce même Fils de Dieu, poussé par le même amour, reste avec nous sous les voiles d’une hostie ? Lorsque le Père céleste voulut que son Fils descendit sur terre, qu’Il passât trente-trois ans, simple ouvrier, mêlé à la vie obscure des gens de son petit pays, qu’Il mourût sur la croix comme un criminel, pour sauver le genre humain, Il ne fit pas quelque chose de moins extra¬ordinaire que lorsqu’Il décréta que ce Fils demeurerait au milieu des hommes jusqu’à la fin des siècles, réelle¬ment présent dans le sacrement de son amour. Ceux qui refusent de prendre à la lettre les mots : « Ceci est mon corps », doivent refuser aussi de prendre à la lettre les mots : « Le Verbe s’est fait chair. » Mais si l’on ne croit plus que le Verbe s’est fait chair, ayons le courage de le dire nettement, que reste-t-il du christianisme ?

Nous croyons que le Sauveur, après la consécration, est réellement présent sous les apparences eucharistiques. Nous croyons que, dans ce mystère — mysterium fidei — Il s’offre au Père céleste, avec le même amour, avec la même intention que sur la croix et que, de la sorte, le sacrifice de la Messe ne fait qu’un avec celui du Calvaire, sans lequel, est-il besoin de le dire ? il n’aurait aucune valeur. Nous le croyons parce que l’Eglise nous l’enseigne et que, si nous n’avions pas l’Eglise, nous n’aurions rien de sûr à quoi notre foi chancelante pût s’accrocher : saint Augustin ne dit-il pas qu’il ne croirait point à l’Évangile si l’Eglise ne lui disait d’y croire ? Nous croyons, et nous sommes prêts, avec le secours de la puissance divine, à verser notre sang plutôt que de le nier, nous croyons que, lorsque nous allons communier, nous recevons en nourriture spirituelle le Créateur de toutes choses, le Maître souverain du monde, l’Etre infiniment bon qui appelle à Lui tous ceux qui souffrent, l’Etre infiniment puissant qui veut affermir tous ceux qui fléchissent, le Juge souverain de qui dépendra notre sort pour l’éternité.

Comme cela est grand. Si nous avions une foi plus vive, nous trouverions dans la sainte Communion la force de résister aux tentations les plus obsédantes et le courage de supporter les épreuves les plus dures. Le chrétien qui communie, non point par routine, pour remplir une simple formalité, mais avec foi, pour répondre au désir du Maître, le chrétien qui reçoit la sainte Hostie, non comme on reçoit quelque chose, mais comme on reçoit quelqu’un, peut dire qu’il n’est jamais seul. Sa journée, ne fût-elle qu’une série de tâches obscures et pénibles, est comme divinisée par la grâce du Christ : c’est avec Lui qu’il prie, avec Lui qu’il travaille, avec Lui qu’il souffre, avec Lui qu’il goûte les joies que la Providence ne refuse jamais entièrement, même aux plus malheureux. Toutes ses pensées, toutes ses paroles, tous ses actes deviennent vraiment saints : ce n’est plus lui qui vit, c’est Jésus qui vit en lui. Durant cet exil terrestre, nos très chers Frères, vous avez bien des sujets de tristesse, bien des préoccupations, bien des soucis ; puissiez-vous comprendre que la bonté divine vous donne, dans le sacre¬ment de l’Eucharistie, une source de consolations capables, sinon d’empêcher que la vie présente ne soit un temps d’épreuve, du moins de rendre cette épreuve toujours supportable et, parfois même, nous en appelons à votre expérience, tout enveloppée de célestes douceurs.

La joie de la Communion nous fait songer à une autre joie qui, non pas tous les jours, mais souvent, la précède : celle de la confession. Qu’ils sont à plaindre ceux qui ne voient dans la confession qu’une corvée qu’on doit remplir à date fixe pour obéir au précepte ! Quelle gratitude nous devons à l’Eglise qui nous a gardé le vrai sens des paroles de Jésus : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez » 1 Sans doute, c’est à Dieu qu’on demande pardon ; l’Eglise a toujours enseigné que, sans repentir intérieur et sincère, aucune absolution — aucune indulgence — ne peut avoir de valeur ; c’est donc devant Dieu que l’âme, indépendamment de tout intermédiaire, s’humilie et se repent ; c’est de Dieu Lui-même que le pécheur reçoit la parole qui guérit et qui pacifie, c’est en Dieu qu’il retrouve la paix. Mais le Père céleste, comme il se sert de nos parents pour nous donner la vie phy¬sique, se sert d’un père spirituel pour nous rendre la vie surnaturelle ; il est bon, après les chutes et les défaillances, de sentir une main qui vous relève au nom de Dieu, d’entendre une voix qui vous assure de la part de Dieu que vous êtes pardonné.

Nous sommes riches, nous catholiques, et nous n’apprécions pas suffisamment nos richesses, et nous ne les faisons pas assez valoir. Il est humiliant de songer que des chrétiens, convaincus de ces vérités dans le fond de leur âme, vivent en fait comme s’ils en doutaient : les sacrements leur sont offerts, ils le savent, et ils les dédaignent ou les reçoivent mal. Il est douloureux de constater que, même des personnes qui se confessent et communient souvent, manifestent si peu, dans leur vie quotidienne, l’esprit charitable, généreux, désintéressé, de l’Ami divin qui leur pardonne et vient ensuite dans leur cœur. C’est que le Christ respecte notre liberté : Il a répandu son sang pour notre salut, mais nous ne pouvons arriver au salut si nous n’acceptons pas les grâces qu’Il nous a méritées ; de même, Il vient à nous par la Communion pour que nous vivions en Lui et de Lui : nous pouvons, par notre ferveur, multiplier les fruits de sa présence, comme nous pouvons, par notre négligence, en diminuer ou même en empêcher les effets.


Newsletter N° 8 – 18 mars 2020
Source :  «Bonheur d’être catholique», lettre pastorale pour le Carême 1936 rédigée Mgr Marius Besson, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, (Imprimerie St-Paul à Fribourg).