Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise nous apprend à vivre non seulement avec le Sauveur, mais avec les créatures qui Lui sont unies d’un amour de prédilection, c’est-à-dire avec les anges et les saints. Nous éprouvons un véritable réconfort à nous sentir en compagnie des anges et des saints que nos ancêtres ont invoqués, surtout des saints qui passèrent sur les routes où nous passons, qui travaillèrent et prièrent dans les lieux que nous habitons, qui laissèrent parfois leur souvenir dans le nom de nos villages ou de nos rues. Nous savons bien qu’ils ne remplacent pas le Sauveur, qu’ils ne peuvent rien sans Lui ; mais nous n’ignorons pas non plus qu’ils sont aussi charitables au ciel que lorsqu’ils étaient ici-bas, qu’ils nous aident, parce qu’ils sont nos frères aînés, de même que Marie, la Mère de Jésus, est notre Mère.

Sans doute, si Jésus n’était qu’un homme, la Vierge Marie ne mériterait pas les honneurs que nous lui rendons. Mais Jésus est vraiment le Fils de Dieu, le Verbe fait chair ; voilà pourquoi la créature privilégiée dans le sein de laquelle a été formée cette chair se trouve d’emblée au-dessus de toutes les autres créatures, au-dessous de Dieu seul. Marie est le moyen par lequel Dieu nous a donné le Christ, c’est-à-dire la vie surnaturelle — car notre vie, c’est le Christ — ; de la sorte, Marie est vraiment, dans l’ordre de la grâce, notre Mère. Nous tirons de ce principe toutes les conclusions qu’il comporte, et nous nous appliquons avec joie la parole prononcée par Jésus quand, sur le point de consommer son sacrifice, Il dit à l’apôtre, en lui montrant des yeux la Vierge des douleurs : « Voilà ta Mère ».

Nous savons que la maternité de Marie s’étend, par-delà le disciple bien-aimé, sur nous tous. Nous la voyons, par exemple, tendrement active et prévenante aux noces de Cana : malgré la discrétion voulue de la Mère et la réserve manifeste du Fils, ce premier miracle, destiné, d’une part, à venir en aide à de pauvres gens et, d’autre part, à confirmer la foi des apôtres, fut incontestablement provoqué par une parole miséricordieuse de Marie. La Sainte Vierge montra, dans cette occasion, comme elle ne cesse de le montrer chaque jour, qu’elle a compris ce que Jésus voulait dire par cette parole si simple, motif de notre confiance : « Femme, voilà ton fils. »

Ayant appris dans l’Evangile qu’on se réjouit au ciel quand un pécheur revient à Dieu, nous sommes persuadés que les saints, au lieu de s’enfermer égoïstement dans leur gloire, s’intéressent à nous, pauvres pécheurs exilés en cette vallée de larmes. Nous croyons, en particulier, que la Sainte Vierge ne peut être indifférente quand elle nous voit fidèles à ce Christ qu’elle eut la sublime mission de donner au monde, et qu’elle ne peut rester insensible quand elle nous voit commettre des fautes qui risquent de rendre inutile pour notre âme immortelle le sang versé sur le Calvaire — le sang du Christ qui est son propre sang. Alors, fermes dans cette certitude que rien ne peut ébranler, parce que nous l’avons reçue, à travers une longue série de siècles, de tant de saints et de saintes qui crurent ce que nous croyons, nous associons notre Mère du ciel à notre vie entière, lui confiant nos peines, lui disant nos joies, lui demandant de prier avec nous et pour nous. Et puisque, lorsque plusieurs s’unissent pour prier ensemble, le Christ est plus particulièrement au milieu d’eux, nous nous trouvons, même dans la solitude, enveloppés toujours d’une immense tendresse, parce que nous avons avec nous la Mère du Christ, et les saints ses préférés, membres d’une grande famille qui n’a de limites ni dans l’espace ni dans le temps.

Des hommes qui n’ont jamais mis leur lèvre à cette coupe céleste nous plaignent. Ils s’imaginent que notre piété pour la Sainte Vierge et pour les saints nous arrête sur le chemin qui mène à Dieu, alors qu’en fait elle nous conduit à Lui d’une marche plus sûre et plus tranquille. C’est bien le Christ que nous adorons comme notre Sauveur unique ; c’est bien son Cœur que nous voulons sentir battre sur le nôtre et, sans Lui, même avec tous les élus du ciel, nous serions irrémédiablement perdus. Mais, précisément, l’amour personnel, intime, profond, que nous avons pour le Christ fait que nous ne pouvons être étrangers ni à celle qui est sa Mère parce qu’elle Lui donna sa vie humaine, ni à ceux qui sont ses frères, dans un sens particulièrement vrai, parce qu’ils L’ont très fidèlement servi. Nous ne rougissons pas de recommander à la Sainte Vierge nos préoccupations même les plus communes : elle n’a point dédaigné de venir en aide à de braves gens qui manquaient de vin. Mais nous recourons à sa bonté maternelle bien plus encore pour que, nous ayant donné Jésus, elle nous aide à Le conserver, à Le faire grandir en nous, à L’aimer de toute notre âme, à Le suivre de la crèche jusqu’à la croix, jusqu’au ciel.

Remercions Dieu qui, par son Eglise, nous a gardé la connaissance et l’amour des saints, et surtout de la Sainte Vierge. Demandons-Lui pardon de vivre trop souvent comme si nous n’avions pas compris les paroles tombées des lèvres du Christ en croix : « Voilà ta Mère. » Montrons-nous les vrais enfants de celle qui nous a donné Jésus et nous ferons ainsi chaque jour davantage cette douce expérience que plus on est près de la Mère de Jésus, plus on est près de Jésus Lui-même. Ayons confiance en cette charitable infirmière des âmes à qui, dès nos plus jeunes années, nous avons appris à dire : « Souvenez-vous, ô très douce Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre intercession ait été abandonné.»

La dévotion envers la Sainte Vierge ensoleille et transfigure la vie.

Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que, dans l’Eglise, nous avons un chef, le Pape, dont les enseignements, soit au point de vue doctrinal, soit au point de vue pratique, sont une direction toujours sûre. Au milieu de l’actuelle confusion des principes et des idées, l’existence de cette autorité suprême nous apparaît plus que jamais comme une grâce très précieuse.

D’autres pensent autrement, surtout parce que des polémiques séculaires ont accumulé d’épais nuages autour de la resplendissante vérité. S’ils voulaient bien juger notre doctrine d’après les textes authentiques, ils verraient qu’elle n’est point ce qu’ils croient. Nous disons que le Pape est infaillible, c’est-à-dire que, par l’assistance du Saint-Esprit, il ne peut se tromper lorsqu’il parle comme chef de l’Eglise, en matière de dogme et de morale, à toute l’Eglise ; mais nous n’avons jamais dit que cette infaillibilité s’étende à toutes ses paroles ni à tous ses actes. Nous savons aussi qu’infaillibilité n’est pas impeccabilité, que le Souverain Pontife, comme tout autre homme, peut malheureusement commettre des fautes : nous sommes fiers en voyant la sainteté de vie qui caractérise les grands Papes des temps modernes, et nous regrettons les défaillances morales de tel ou tel Pape d’autrefois, sans en être le moins du monde ébranlés. Ces misères ne sont point imputables à l’Eglise, dont la doctrine sanctifie tous ceux qui la suivent, mais ne peut sanctifier ceux qui volontairement s’en écartent.

Nous disons que l’Eglise catholique est romaine, tout en sachant bien que l’appartenance à cette Eglise n’empêche pas les fidèles d’être loyalement attachés et dévoués à leur patrie, et que le chef visible de l’Eglise, qui demeure à Rome, respecte, avec une largeur d’esprit dont beaucoup ne se doutent pas, ce que les divers pays peuvent avoir de légitime dans leurs traditions nationales. « L’Eglise romaine, dit Léon IX, sait que la diversité des usages, suivant les temps et les lieux, n’est pas un obstacle au salut des croyants, pourvu que, faisant par la charité le bien qu’ils peuvent, ils se recommandent à Dieu par une même foi . »

Lorsque nous disons que le Pape, successeur de saint Pierre, est le chef de l’Eglise, nous savons bien qu’il ne remplace point Jésus-Christ, comme s’il se substituait en quelque sorte à lui ; Jésus-Christ continue jusqu’à la fin des siècles à gouverner l’Eglise : le Pape n’a qu’un pouvoir délégué. Prétendre que, parmi les chrétiens, les uns obéissent au Christ et les autres au Pape, c’est imputer au catholicisme une conception qui lui est totalement étrangère : nous obéissons au Pape, parce que nous voulons obéir au Christ ; nous croyons légitime l’autorité du Pape, parce que nous la croyons instituée par le Christ ; nous acceptons la parole du Pape, parce que nous savons qu’il parle au nom du Christ : « Ne suivant personne que le Christ, disait saint Jérôme au Pape, je m’associe à vous, c’est-à-dire à la Chaire de Pierre». Lorsque nous allons à Rome, centre du catholicisme, ce qui nous frappe et nous émeut, ce n’est pas la somptueuse richesse des palais pontificaux, ce n’est pas l’apparat d’un protocole qui rappelle celui de toutes les cours et qui, du reste, ne manque pas de grandeur ; ce n’est pas même la beauté majestueuse des riches basiliques ou des solennelles cérémonies, c’est le fait que, dans cette Cité du Vatican, si minuscule par son territoire et si grande par son âme, il y a un homme, gardien d’une doctrine, et que cet homme est considéré comme chef, et que cette doctrine est tenue pour vraie, par d’innombrables autres hommes appartenant à toutes les nations. Les diplomates sont honorés d’y être reçus, parce qu’il y a là une autorité supérieure à toutes les autres, et que, malgré les efforts qu’on fait pour étouffer ou pour dénaturer sa parole, sa parole a un retentissement que nulle autre ne peut avoir. Les pèlerins, même aux jours où des difficultés de tout ordre rendent malaisés les voyages, se pressent autour du Pape, différents par leur race, par leur couleur, par leur langue, par leur condition sociale, mais unis par la même foi, par le même désir de recevoir une bénédiction qu’ils savent ratifiée par le Christ et d’entendre une voix qu’ils savent capable d’apporter paix et lumière à tous ceux qui ne refusent point de lui obéir, parce qu’elle est celle du successeur de Pierre sur qui le Christ a bâti son Eglise. Tu es Petrus, c’est le mot qu’on lit en grandes lettres à l’intérieur de la coupole de Saint-Pierre ; Tu es Petrus, c’est le secret de l’attirance de Rome.

L’asservissement que constituerait cette obéissance au Pape, la contrainte qu’elle supposerait, n’existent que dans l’imagination de nos adversaires ou sur les lèvres des renégats. Qu’on ne nous apporte pas le témoignage trois fois suspect des quelques malheureux qui désertent ; qu’on écoute le témoignage reconnaissant de ceux qui sont restés fidèles ou qui même, après avoir erré sur des rives lointaines, sont revenus à la maison du Père. Le plus redoutable de tous les esclavages, c’est celui de l’ignorance et de l’erreur : c’est précisément de cet esclavage-là tout d’abord que l’autorité du Pape nous délivre ; et quand nous voyons le désarroi de ceux qui nous plaignent d’avoir une autorité pour nous conduire, nous remercions d’autant plus la Providence qui nous a donné d’y voir clair et d’être sûrs. « Qu’il fait bon, disait un illustre catholique du siècle dernier, qu’il fait bon vous aimer, mon Dieu, tandis que d’autres vous discutent ! »

Ici encore, nos très chers Frères, humilions-nous de nous montrer, en mainte occasion, si peu conscients de nos privilèges. Gardons résolument notre foi, comme un précieux trésor ; ne nous exposons pas à la perdre ou à l’affaiblir en lisant de mauvais livres ou de mauvais journaux, en assistant à des spectacles malsains, en fréquentant des compagnies suspectes ou légères. Respectons et faisons respecter le Pape, ne serait-ce qu’en relevant les sottises qu’on ne cesse de lui imputer faussement. Ne soyons jamais complices de certains catholiques sans noblesse qui ne craignent point de critiquer à tout propos, presque toujours en les dénaturant, ses directions. C’est tout spécialement à lui, dans la personne des apôtres, que le Maître a dit : «Qui vous écoute m’écoute et qui vous méprise me méprise.»


Newsletter N° 9 – 31 mars 2020
Source :  «Bonheur d’être catholique», lettre pastorale pour le Carême 1936 rédigée Mgr Marius Besson, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, (Imprimerie St-Paul à Fribourg).