Madame, Monsieur, Alors que l’instabilité mondiale s’aggrave et que les tensions géopolitiques s’intensifient aux portes de l’Europe, la Suisse ne peut plus se permettre une posture attentiste en matière de sécurité nationale. À cet égard, la publication du rapport du Conseil fédéral intitulé Appréciation de la menace, le 30 avril dernier, nous a profondément inquiétés.
Ce document reconnaît certes la dégradation de l’environnement politico-sécuritaire de notre pays, mais il reste d’une portée limitée, imprécise, et manifestement en retrait par rapport aux enjeux. Il suscite davantage de doutes qu’il ne trace de voie claire. À juste titre, certains commentateurs comme Jean-Pierre Saw s’interrogent (voir pages suivantes) : les adversaires des États-Unis sont-ils désormais les nôtres ? La question, provocatrice en apparence, révèle une dérive fondamentale dans la compréhension de nos intérêts propres et de notre neutralité.

Ce manque de vision stratégique ne peut être isolé du contexte institutionnel dans lequel il s’inscrit. Le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), sous la direction de Mme Viola Amherd (2019–2025), a connu un affaiblissement progressif et préoccupant. Dépassements budgétaires, nominations controversées, culture managériale en rupture avec celle des structures militaires, création d’un secrétariat d’État perçue comme une tentative de court-circuiter l’État-major : les symptômes d’un pilotage déconnecté de la réalité opérationnelle sont nombreux.
Le départ précipité de Mme Amherd n’a étonné que ceux qui n’ont pas suivi les nombreux dysfonctionnements ayant jalonné son mandat. L’indifférence ayant entouré l’élection de son successeur ne peut masquer le fait que le DDPS traverse une crise de crédibilité qui a été amplifiée par les nombreuses démissions de personnalités-clés :

  • Jean-Daniel Ruch, secrétaire d’État désigné à la politique de sécurité, a renoncé à sa nomination ;
  • Toni Eder, secrétaire général du DDPS, a quitté ses fonctions ;
  • Darko Savic, chef des acquisitions à Armasuisse, a démissionné ;
  • Peter Merz, chef des Forces aériennes, est parti en février 2025 ;
  • Thomas Süssli, chef de l’armée, a annoncé sa démission ;
  • Christian Dussey, chef du Service de renseignement, quittera également son poste.
    Les départs très médiatiques des divisionnaires Mathias Tüscher et Guy Vallat, consécutifs à des enquêtes administratives particulièrement intrusives visant à identifier des cadres jugés vulnérables au chantage, ont eux aussi marqué les esprits. D’autres collaborateurs ont quitté le département après avoir été progressivement écartés ou relégués à des postes sans influence.
    S’ajoutent également à cette série de départs ceux de quatre membres de l’équipe de Mme Pälvi Pulli, cheffe de la politique de sécurité, parmi lesquels le spécialiste des relations avec l’OTAN et l’Union européenne, ainsi que la responsable des contacts internationaux. Face à de nombreuses critiques et à la perte de confiance qui en découle, une enquête parlementaire a été ouverte. Ses conclusions sont attendues à l’automne.
    Un tel exode de compétences stratégiques n’est pas un accident : il révèle un malaise profond. À un moment où la Suisse devrait renforcer sa capacité d’analyse, sa résilience civile et son autonomie stratégique, le DDPS semble s’enliser dans des conflits internes, des erreurs de gouvernance et une perte d’orientation.

Madame, Monsieur, en tant que citoyens suisses, et notamment en tant que catholiques attachés à la protection du bien commun, à la paix fondée sur la justice, et à la responsabilité de l’État envers les plus vulnérables, nous ne pouvons pas rester silencieux face à une telle dérive. L’histoire nous a appris que la paix ne se préserve pas sans lucidité, ni sans courage.
C’est pourquoi nous appelons les élus fédéraux à exercer pleinement leur devoir de surveillance et d’exigence. Il est temps de réévaluer notre doctrine, de rétablir une chaîne de commandement claire, et de redonner à notre politique de sécurité la cohérence, la compétence et la légitimité qu’elle exige.

Avec tout le respect dû à vos fonctions, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre haute considération. —

Eric Bertinat,
président de Perspective catholique

___________________________________________________________________________________
Newsletter N° 258- 14 mai 2025 | Source : Perspective catholique