Cauchemar américain et rêve suisse

0
8

Jean-Pierre Saw – Obsédés par une hypothétique menace venant de l’Est, nos Conseillers fédéraux n’ont pas vu venir le coup de poignard dans le dos de leurs amis américains. Si celui-ci est une mauvaise nouvelle pour bon nombre d’entreprises suisses, il devrait au moins forcer nos autorités à ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est.

Nous n’avions pourtant pas été les seuls à lancer l’alerte, depuis plusieurs mois, sur la vision partielle et partiale de nos autorités : partielle, parce qu’elle ne tenait compte que des – prétendues – menaces au sens militaire ; partiale, parce que nos autorités reprenaient purement et simplement l’analyse américaine pour désigner cette même menace.

30 ans d’attaques contre nos banques (fonds en déshérence, puis secret bancaire) auraient pu dessiller les yeux de nos sages. Mais ils ont continué d’admirer, d’imiter, de courtiser, et d’acheter américain. Aujourd’hui, c’est un nouveau volet de la guerre économique qu’ils découvrent, ahuris et vexés. Ont-ils enfin réalisé que ce sont leurs prétendus alliés démocrates et droit-de-l’hommistes qui nous menacent le plus directement ?

Les Etats-Unis sont un Empire aux abois, sans vergogne avec ses valets les plus loyaux. Endettée jusqu’au cou, socialement fragilisée, militairement contestée, technologiquement en passe de se voir dépassée, la première puissance mondiale sort les griffes : America first, à l’exclusion de toute autre considération. Sans complexe, le libre échangisme prêché en son temps pour écouler les produits américains est remplacé par des taxes douanières à l’importation, car les caisses sont vides et l’industrie exsangue.

Après les retards de livraison pour le système Patriot et les surcoûts des F-35, les taxes douanières sont un nouveau message qui nécessite une réponse ajustée : si le Conseil fédéral n’obtient pas de renégociation, les sociétés suisses devront dans le court et moyen terme réorienter leurs ventes, à moins que le consommateur américain ne se satisfasse du surcoût…

Dans le long terme, les forces vives du pays devront redéfinir une politique qui tienne compte de nos intérêts propres dans tous les domaines : agraire, industriel, financier, énergétique, politique, militaire, technologique, informationnel, et numérique. La Suisse devra ajuster ses logiciels et pratiquer, outre sa neutralité politique et militaire, une diversification commerciale qui lui permette de s’extraire de ses hyper-dépendances. Elle doit aussi encourager l’innovation et empêcher la vente de nos sociétés stratégiques. Si le libre marché est mort, il s’agit de repenser tout notre rapport à l’économie.

Le journal Le Temps du 21 août révélait l’incontournable étude de la société Proton sur les dépendances des Etats européens aux technologies américaines1. C’est donc tout un continent qui va devoir s’extraire progressivement de cette dépendance majeure.

En parallèle, nos services de renseignement doivent refondre leur activité, afin d’intégrer dans leurs analyses des économistes, des historiens et des géopoliticiens. La notion de menace doit être élargie en fonction de la guerre moderne. Les profils policiers pourront se concentrer sur les menaces internes, tandis que des généralistes qualifiés procéderont à une analyse large et complète de notre place dans le monde.

1 Observatoire de la souveraineté technologique de l’Europe, https://proton.me/fr/business/europe-tech-watch

Article précédentLa pornographie, poison de l’âme et fléau de notre temps
Article suivantRoyaume-Uni: la prison pour un tweet, le cas de Lucy Connolly
Eric Bertinat
Éric Bertinat est une figure active du catholicisme traditionaliste et de la politique genevoise. En 1988, il cofonde la revue Controverses, influente dans les milieux catholiques traditionalistes francophones. Il fonde également en 2010 l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame aussi une longue carrière politique. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 et occupe plusieurs postes clés jusqu'en 2013. Il est également membre du Conseil municipal de Genève dès 2011, y occupant diverses présidences de commissions jusqu'en 2021.Il en est élu président le 5 juin 2018 pour 2018-2019.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici