Jean-Pierre Saw – Les récentes émeutes de Lausanne, reportées dans le monde entier, confirment qu’un drame se joue sous nos yeux : tandis que la cohésion sociale de certaines zones du pays se délite sans provoquer de réaction politique, le public est occupé avec la cacophonie autour d’acquisitions militaires discutables. On prépare maladroitement une guerre imaginaire en oubliant celle qui se prépare sous nos yeux.
Outre frontière, le phénomène a une longueur d’avance, puisque les dirigeants français et allemands habituent leurs opinions publiques à l’idée d’un conflit avec la Russie. Pourtant, il y aurait de quoi faire avec les sujets de politiques intérieure : endettement massif, menace de récession, instabilité politique chronique, insurrection sociale, incidents sécuritaires répétés… Mais c’est la méthode israélienne qui prévaut : diaboliser un ennemi présumé pour ne pas avoir à résoudre les problèmes internes ; détourner l’attention des populations en provoquant la peur ; les tenir tranquilles en faisant croire que l’Etat s’occupe de la menace après l’avoir identifiée.
Seule une guerre pourrait d’ailleurs sauver ces gouvernements fragilisés, mais ceux-ci manquent cruellement d’armement et de munitions. Or, pour échapper aux produits américains, il faudrait réindustrialiser. Mais avec quelle énergie ? Ils ont le choix entre un carburant américain – encore une fois – hors de prix, et le russe, qui a pris la direction de la Chine et de l’Inde. Le seul moyen pour récupérer une énergie bon marché sans perdre la face, serait un « changement de régime » en Russie. Comme en Irak ou en Lybie… à quelques détails près.
Mais l’Europe ne manque pas seulement de moyens militaires et industriels. Elle manque avant tout d’hommes et peine, en France comme en Allemagne, à remplir les effectifs. Les défections augmentent même, les contrats au sein de l’armée ne sont pas renouvelés1. Car les intérêts de nos gouvernements ne sont pas ceux de leurs populations. Et inversément. Ce que l’homme de la rue voit à sa porte le préoccupe plus que les conflits lointains ou la défense de valeurs abstraites. En témoigne le soutien massif à la police lausannoise en réponse à la presse officielle ; ce soutient contraste d’ailleurs étrangement avec la chasse aux sorcières au sein de cette même police.
Pourtant, s’il y avait une priorité à choisir, on pourrait se demander si les émeutes qui ont eu lieu dans la capitale vaudoise ne sont pas les prémices de quelque chose de plus grave. Ce serait même la première question à se poser si on veut analyser les menaces qui nous affectent. Mais ni les gouvernements, ni les média aux ordres ne semblent vouloir voir les fossés humains qui se creusent. Comment nos populations morcelées feront-elles face aux défis de demain ?
L’universitaire anglais David Betz en a parlé dans un article récent (2), et les livres d’Eric Werner ou Bernard Wicht (3) traitent depuis longtemps de ces sujets qui commencent à concerner les Suisses de plus en plus directement.
(1) https://www.opex360.com/2024/11/22/selon-le-senat-les-non-renouvellements-de-contrats-a-linitiative-des-militaires-ont-augmente-de-70-depuis-2018/ pour la France et https://www.ft.com/content/d576d67b-760b-49df-ad42-6835795f43fe pour l’Allemagne.
(2) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/guerre-civile-en-france-et-au-royaume-uni-le-sombre-presage-d-un-professeur-du-king-s-college-a-londres-20250814
(3) Bernard Wicht, Guerre en Europe, Gangs contre milices privées, Jean-Cyrille Godefroy, 2025, 125 pages.