Christian Bless – Céline Magrini-Romagnoli nous a déjà offert une foison de contributions écrites et orales dédiée notamment à la Provence, à ses écrivains, poètes du Rhône, Mistral, Delavouët, Ramuz. Elle a consacré une partie importante de son œuvre à l’enseignement du provençal et à la littérature troubadours dont elle a illustré la tradition musicale en la chantant sur les tréteaux et par la diffusion de nombreux CD gravés par l’ensemble musical Azalaïs (« azalais.net »). Son Histoire Littéraire du Rhône : Le Rhône dans la littérature française et provençale, 1800-1970 fait autorité et consacre de nombreuses pages à Charles-Ferdinand Ramuz. Notre auteur a par ailleurs publié deux ouvrages richement illustrés sur les légendes de Provence et du Languedoc. Aujourd’hui, elle nous fait profiter de sa prodigieuse érudition en nous proposant de belles pages consacrées aux légendes chrétiennes.
D’entrée, Céline Magrini-Romagnoli nous invite à une distinction : « Alors que le conte illustre une vérité intemporelle, la légende s’inscrit dans un lieu et dans une histoire, ce qui signifie qu’elle a elle-même une histoire … ». Elle inscrit son récent livre, Légendes romanes, Récits chrétiens de Provence et Languedoc-Roussillon, dans le sillage des ouvrages mentionnés plus haut : « Mes précédents recueils – En Provence, sur le chemin des légendes (Édisud, 2007) et En Languedoc, sur le chemin des légendes (Édisud, 2009) – étaient des anthologies de textes d’auteurs précédés de notices historiques. » Ces pages incluaient déjà quelques légendes de l’auteur, puisées dans la tradition orale. Celles qui nous occupent aujourd’hui sont entièrement de la plume de Céline Magrini-Romagnoli, précédées de notices historiques puisées aux sources les plus sûres et se concentrant sur les légendes chrétiennes.
Ce sont donc des récits étayés par des références littéraires et historiques, enracinés dans un territoire bien défini et nourris de surnaturel qui sont proposés à notre méditation. L’acception courante du mot légende peut tromper nos esprits desséchés par un rationalisme sceptique. Si ces textes baignent dans un rafraîchissant merveilleux chrétien, ce ne sont point des inventions fantaisistes mais bien des récits puisés aux sources les plus sûrs que la science de notre auteur maîtrise parfaitement. Si tous les faits contés peuvent ne pas être exacts et documentés, peut-être que ces pages nous confrontent à une réalité plus profonde.
Afin de nous guider sur les chemins de cette Provence baignée de lumière qui nous est chère, quelques guides nous sont proposés : Le guide du pèlerin de Saint Jacques de Compostelle – Liber sancti Jacobi – datant de 1050 environ, et dans Le roman de saint Trophime, du XIIe siècle, ou les Otia imperiala de la même époque. Les sources sont anciennes et reprennent des traditions orales et écrites. L’histoire et l’archéologie révèlent fréquemment que ces traditions orales méritent plus de confiance que l’absence de documents précis ne pourrait le laisser penser.
Sur la route de Saint Jacques de Compostelle, le Liber sancti Jacobi nous conduit à Arles, au tombeau de saint Trophime, évêque sacré par saint Paul, envoyé dans cette ville pour prêcher l’évangile. « C’est de cette source très claire, dit le pape Zozime (mort en 418 et que nous fêtons le 29 décembre), que toute la France a reçu les ruisseaux de la foi. » Nous sommes donc là tout près de la source ; avec saint Paul, à la source même. Dans le réel historique et surnaturel. « D’après Gervais de Tillbury, ce fut Trophime – lequel, vous vous souvenez, était arrivé avec les Saintes en Camargue, qui christianisa la nécropole païenne. »
En effet, le livre s’ouvre sur l’évocation des débuts : « Aux racines : la barque des Saintes. » Qui ne connaît le village des Saintes-Maries-de-la Mer ?
Tout commence au pied de la Croix, au Golgotha : « Quelques disciples ayant assisté à la crucifixion – notamment les femmes qui avaient découvert le tombeau vide après la Résurrection – furent saisis et condamnés à une mort plus lente, dans une barque sans voile et sans rame, confiée aux fureurs de la mer. Dans cette barque se trouvaient donc Marthe, Marie-Madeleine et Lazare, leur frère ressuscité …, ainsi que Maximin. » Marthe remontera le Rhône, en direction d’Arles et de Tarascon, Lazare ira convertir Marseille. Céline Magrini-Romagnoli remarque finement que les chroniques, factuelles, ne font pas mention du sacrifice que représentait la séparation de ceux dont le chagrin, à la mort de Lazare, avait été tel qu’il émut le Maître lui-même qui leur avait rendu le frère décédé.
Sainte Marie-Madeleine et saint Maximin vont cheminer vers l’Est. Ce dernier fondera un lieu qui porte son nom, qui a vu l’érection d’un monastère et d’une splendide abbatiale romane, illustrée au siècle passé encore par des Dominicains prestigieux. Marie-Madeleine va se consumer d’amour pour son Maître, Rabbouni, dans une grotte du massif de la Sainte-Baume, à deux pas de là. « Dès lors, tous les jours aux premières lueurs de l’aube, la bienheureuse était enlevée par les anges qui la déposaient au sommet de la montagne, et là, elle voyait comme Dieu crée le monde, elle entendait les harmonies célestes. » C’est là que dans la solitude et l’ascèse, « Marie-Madeleine avait appris le sourire des anges. »
Guide très sûr, Céline Magrini-Romagnoli vous conduira, chapitre après chapitre, dans ces lieux dont nous savons parfois les noms mais dont nous ignorons le plus souvent l’histoire profonde. Elle vous dira le martyre de saint Victor à Marseille, celui de Caius Silvius Torpetius de Pise, martyrisé par Néron et qui donnera son nom au village de Saint Tropez d’une manière qui surprendra le lecteur. En refermant le livre, vous saurez tout sur saint Honnorat et les îles de Lérins, sur saint Gilles et la Fontaine-de-Vaucluse où vous vous êtes sûrement déjà promenés, à deux pas, ou presque, de ce joyau qu’est l’abbaye de Sénanque.
Guide précieux qui nous donne à méditer sur les origines de nos pays anciennement chrétiens, et sur notre destinée, en croisant le regard paisible et lumineux de ces saints qui nous ont tracé la route en plongeant leurs regards dans celui du Christ. Ces pages sont destinées tant aux adultes qu’aux enfants dont la limpidité première percevra toute la délicate élévation. Comme pour celle qui inonda les pieds du Crucifié de ses larmes, le jour où le voile qui nous dissimule la Gloire se déchirera, éblouis, nous nous écrierons, comme la sainte à Gethsémani, «Rabbouni» et Il nous appellera par notre nom reçu au baptême. Et les anges souriront.
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Légendes romanes
Récits chrétiens de Provence et Languedoc-Roussillon
Céline Magrini-Romagnoli
Éditions du Sauvage – 2025
Peut être commandé auprès de la rédaction – frs 22.–