Mirco Canoci – Olivier Babeau n’est pas qu’un universitaire : c’est une voix singulière qui interroge sans relâche la place de l’homme dans un monde happé par la technologie. Professeur, essayiste, consultant, fondateur et président de l’Institut Sapiens, il multiplie les casquettes avec une même ambition : éclairer notre époque. Lauréat en 2022 du prix de l’Académie des sciences morales et politiques, il s’est déjà imposé comme une référence intellectuelle. Si son parcours politique est resté bref, son influence dans le débat d’idées, elle, ne cesse de grandir.
Auteur prolifique, on lui doit déjà Le Nouveau Désordre numérique (prix Turgot 2021) ou encore La Tyrannie du divertissement. Avec L’ère de la flemme, essai de 286 pages publié en 2025 chez Buchet/Chastel, Babeau poursuit sa réflexion tout en offrant un ouvrage accessible à tous, qui peut se lire indépendamment de ses précédents.
Dans ce dernier ouvrage, il décortique l’évolution des mentalités occidentales et la transformation de notre rapport au temps et à l’effort. Un chapitre du livre particulièrement intéressant rappelle que l’Occident chrétien du Moyen Âge était profondément obsédé par la mort et la perspective du paradis. La vie se mesurait à l’aune de la réalisation spirituelle: atteindre le salut était le but ultime de l’existence. Les moines, véritables pionniers de cette vie orientée vers Dieu, illustraient cet idéal à travers une discipline quotidienne stricte, qui n’est pas sans rappeler certaines pratiques philosophiques : solitude, méditation et étude.
L’invention de l’emploi du temps moderne trouve d’ailleurs ses racines dans la vie religieuse
Chaque heure était employée avec soin : le travail, l’adoration et l’étude des écritures rythmaient la journée. Au XIᵉ siècle, une journée monastique commençait dès deux heures du matin et était organisée autour de huit prières, toutes les trois heures. On y priait continuellement, on étudiait, on recopiait les manuscrits.
Notre ère du « tout, tout de suite » va à l’encontre de ces principes millénaires, où chaque chose devait être mûrement réfléchie et requérait patience et persévérance. À travers ce livre, l’auteur nous rappelle que la gratification immédiate n’est que du court terme et qu’il vaut mieux parcourir un chemin demandant réflexion et investissement pour un résultat bien plus fructueux, plutôt que de se cantonner à l’immédiateté que favorisent, par exemple, les réseaux sociaux.
Cette discipline rigoureuse, couplée à des moyens techniques limités, a permis la création de monuments religieux et d’œuvres gigantesques, qui continuent encore aujourd’hui de nous émerveiller. Babeau montre ainsi que l’engagement, la rigueur et la vision à long terme étaient autrefois des valeurs centrales de notre civilisation et suggère, par contraste, combien notre époque de « flemme » risque de nous éloigner de ces idéaux. On attend avec impatience son prochain livre, qui sera certainement aussi intéressant et pertinent que ses précédents ouvrages.