Jean-Pierre Saw – Tel est le sous-titre de l’ouvrage de l’ambassadeur Jean-Daniel Ruch, nommé Secrétaire d’État à la politique de sécurité en 2023, avant de démissionner suite à une campagne de presse diffamatoire. Il relate les épisodes de l’histoire récente dont il a été le témoin privilégié.


Né à Eschert, au-dessus de Moutier, à la confluence des religions et des langues, ce Jurassien bernois y est retourné pour jouir d’une pré-retraite hyperactive. C’est d’ailleurs la cause jurassienne qui provoqua son éveil politique dans les années 1970 : les Béliers séparatistes affrontaient alors les Sangliers pro-bernois sous les yeux éberlués d’un petit garçon qui, devenu adulte, restera toujours captivé par les conflits : « Le désir de paix, de dialogue et de tolérance est le fruit de mes expériences de gamin ».


Devenu diplomate, il est rapidement immergé dans l’imbroglio des Balkans : d’abord avec l’OSCE à Vienne, puis à Varsovie, enfin au sein de l’ambassade de Suisse à Belgrade. Il raconte comment, pour remplacer Milošević, les Américains ont repéré, puis financé Koštunica, aidés modestement par la DDC suisse. Le lecteur apprend au passage l’existence du personnage d’Archibald Reiss, fondateur de l’Institut de criminologie de Lausanne, puis enquêteur des crimes austro-hongrois en Serbie dès 1914…


Toujours en lien avec les Balkans, la prochaine étape mène notre diplomate à La Haye pour conseiller Carla Del Ponte, qui investigue sur les crimes de guerres. On sent transpirer l’admiration pour cette «icône de la justice internationale». Au final, 90 condamnés, mais un bilan mitigé, puisque cette «œuvre pionnière» n’aura pas contribué à la réconciliation régionale. Promesses non tenues, justice à «géométrie variable»… Malgré ses accents de roman policier, cette période laisse songeur.


Défilent tour à tour Bill Clinton, un cardinal asiatique, Christoph Blocher, Théodore Meron, Benyamin Netanyahou, Recep Tayyip Erdoğan, Henri Dunant, Hélie Ducommun et Albert Gobat, ainsi que tant d’autres… Entre les lignes, le scepticisme envers la politique de l’oncle Sam va croissant, mêlé à un respect pour cette capacité à dominer les autres. Les Chinois ? «Eux au moins ne distribuent pas d’anathèmes.»


Suivent des mots durs sur ladite «lutte contre le terrorisme», et la stigmatisation des «mouvements de résistance» Hamas et Hezbollah par la Suisse. On comprend que «seul un changement brutal de la position américaine» pourrait faire évoluer celle, «maximaliste» d’Israël. À Gaza comme en Ukraine, une vision en noir et blanc horripile cet amoureux de la nuance, car «faute d’aller jusqu’aux racines des conflits, on risque de choisir les mauvaises politiques qui perpétueront la violence».


Revenant pudiquement sur son départ, l’ambassadeur note, sibyllin : «Il y avait une organisation professionnelle là derrière. Spécialisée dans l’espionnage (…)». Une année auparavant, il s’était permis de remettre en question un rapprochement avec l’OTAN, invoquant les désillusions que cette dernière avait engendrées. Honneur à lui. Lâché par sa hiérarchie, il est parti.


En conclusion, Jean-Daniel Ruch juge étrange de reprocher aux Russes ce qu’on a supporté chez les États-Unis. Puis son regard se tourne vers le Pacifique, où se jouera le prochain conflit ; la Route de la soie anticipe d’ailleurs un futur blocage de mers. L’Europe, elle, sera «spectatrice payante d’une chorégraphie qui, hélas, lui échappe». Quant à la Suisse, après avoir tenté pendant des décennies à remplacer «les rapports de force par la force du droit», elle doit se repositionner en revenant à ses principes. —

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Newsletter N° 252 – 7 mars 2025 | Source : Perspective catholique