Eric Bertinat – Les Suisses voient dans ces accords bilatéraux un moyen d’assurer la prospérité et la stabilité : 80% soulignent l’importance d’éliminer les obstacles techniques au commerce, 79% l’accès au marché européen et 78% la participation à la recherche et à la formation. Si des inquiétudes persistent (bureaucratie européenne, pression sur les salaires, prix de l’immobilier), l’opinion publique reconnaît globalement que la voie bilatérale est taillée sur mesure pour la Suisse et qu’elle renforce l’attractivité du pays.
Mais le débat n’est pas clos. Des voix critiques, comme celle du conseiller national Thomas Aeschi (UDC), mettent en garde contre ce qu’ils considèrent comme un véritable traité d’adhésion déguisé. Selon eux, l’accord impliquerait une adoption automatique du droit européen dans des domaines essentiels (immigration, protection sociale, santé, alimentation, énergie), avec comme juge suprême la Cour de justice de l’UE. Le risque, affirment-ils, est que les citoyens suisses perdent leur souveraineté démocratique : si la Suisse décidait autrement que Bruxelles, elle pourrait être sanctionnée.
Le «monstre bureaucratique»
À cela s’ajoute la dimension financière : Berne s’engagerait à verser environ 1,4 milliard de francs par an à l’UE, un montant qui pourrait croître dans le futur. Enfin, le volume colossal du traité – plusieurs milliers de pages, sans compter les 931 pages d’explications du Conseil fédéral – est dénoncé comme un «monstre bureaucratique» illisible et antidémocratique, d’autant plus que le Conseil fédéral n’entend pas soumettre l’accord à un vote obligatoire du peuple. Pour Aeschi et ses soutiens, il s’agit d’une attaque frontale contre la démocratie directe, contraire à la tradition suisse de souveraineté populaire héritée de 1291.
Ainsi, alors que von der Leyen tente de se draper dans l’héritage de Draghi sans appliquer réellement ses recommandations, et que la majorité des Suisses souhaitent stabiliser leurs relations avec l’UE, la controverse sur le futur cadre bilatéral illustre un paradoxe : d’un côté, l’attrait pragmatique de l’intégration économique, de l’autre, la crainte d’une perte de souveraineté et d’une dépendance accrue à une Europe elle-même en proie à l’immobilisme et à la bureaucratie.
La démocratie directe face au rouleau compresseur européen
La Suisse et l’Union européenne ont franchi une étape décisive avec le paraphe du paquet d’accords en mai 2025. Le Conseil fédéral a ouvert en juin une large consultation, qui se déroulera jusqu’à fin octobre, avant de transmettre le dossier au Parlement début 2026. Entre-temps, une application provisoire a déjà permis à la Suisse de réintégrer des programmes stratégiques comme Horizon Europe, tandis qu’une déclaration conjointe avec Bruxelles fixe les règles de coopération pendant la période transitoire. Si tout se déroule comme l’espère Berne, la signature définitive et la ratification interviendront au premier trimestre 2026. La balle est désormais dans le camp des partis, des cantons et du peuple suisse, appelés à trancher entre l’atout économique (espéré) et scientifique que représente la voie bilatérale et les craintes (réelle) d’une perte de souveraineté face à une Union européenne elle-même en quête de relance.