Entretien avec le général Didier Tauzin Ukraine : pour avoir une vraie paix, il faut s’attaquer aux racines du mal

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Alexandra Klucznik-Schaller – A la cellule prospective de l’état-major de l’Armée de terre française en 1994 – 95, le général Didier Tauzin était chargé d’envisager ce que pourrait être l’état de la France, de l’Europe et du monde dans les années 2020 à 2030. Avant cela, il avait commandé le fameux 1er RPIMa, régiment de parachutistes voué aux «opérations spéciales» : acquisition de renseignements, contre-terrorisme, libération d’otages, etc.
Alors, quand une telle personnalité vous dit que l’OTAN est une alliance dangereuse et qu’une escalade belliciste pourrait provoquer la mort de 6 milliards d’êtres humains, on l’écoute. Et c’est ce qu’il dit dans l’entretien qui suit…
On ajoutera que le général Didier Tauzin avait été candidat à l’élection présidentielle de 2017, qu’il a enseigné l’éthique, et qu’il a écrit huit livres, les deux derniers étant «Apprends-lui à aimer la France à en crever» 1, qui est un livre de mémoires, et «Elle s’appelle France et nous appelle au secours»2, son dernier livre politique, paru en décembre 2025.
De l’entretien, d’inspiration profondément chrétienne, on retiendra quelques fulgurances : «Soit on sert l’argent et on met l’être humain au service de l’argent, soit on sert l’être humain et on met l’argent au service de l’être humain. (…) nous avons remplacé les principes politiques chrétiens par des idéologies. (…) le rôle du chef est de servir et non pas de se servir (…) Et si ce système désastreux des partis n’est pas évincé, eh bien la France continuera à décliner».  Voyons donc pourquoi, pour avoir la paix et donc un avenir, il conviendra, comme nous l’explique le général, de s’attaquer aux racines du mal.

Alexandra Klucznik-Schaller : Je souhaitais avoir votre avis sur le plan de paix qui pourrait peut-être mettre fin au conflit ukrainien. Ces derniers jours, nous assistons à une sorte de négociation publique. Le président Trump a mis sur la table des propositions, l’Union européenne fait des contre-propositions. Qu’en penser ?

Général Didier Tauzin : J’espère que ce plan de paix réussira à mettre fin à cette guerre. Mais ce ne sera, à mon avis, qu’une fin temporaire. Parce qu’il ne va pas au fond des choses.
La guerre en Ukraine, c’est l’OTAN qui en est responsable. J’ai vécu l’époque où l’URSS s’écroulait et où la Russie avait du mal à se remettre en route, à émerger, et à ce moment-là, la Russie a demandé à intégrer l’OTAN. Et l’OTAN a refusé ! Certains occidentaux, des Américains surtout, comme Wolfowitz et Brzezinski, considéraient que si la Russie se redressait, il faudrait la détruire. Il y avait aussi des gens qui proposaient de diviser la Russie en une multitude de petits États qui seraient tous passés sous la domination de l’OTAN et donc des Etats-Unis. Brzezinski écrivait même que, pour détruire la Russie, il faudrait faire la guerre en Ukraine. Et donc, je suis aussi témoin du fait que, depuis maintenant 30 ans, l’OTAN, en particulier les Américains, mais pas qu’eux, aussi les Européens malheureusement, ont fait ce qu’il fallait pour que la situation en Ukraine se détériore. Et je sais que Moscou a très souvent fait savoir aux Occidentaux, et à l’OTAN en particulier, qu’il fallait arrêter ces «petits pas agressifs» car la Russie ne pourrait pas accepter cela éternellement. On n’a pas arrêté, et Poutine a déclenché la guerre en 2022. Donc ce plan de paix va peut-être apaiser le conflit, mais il ne va pas aux racines du problème et ne débouchera pas sur une vraie paix.

AKS : Il ne va pas aux racines du problème. Pour vous, la racine du problème, c’est le bellicisme de l’OTAN ?

Général Didier Tauzin : C’est le bellicisme de l’OTAN ! Or je suis radicalement pour la paix, mais la paix juste bien sûr. J’ai fait suffisamment de conflits dans ma vie militaire pour savoir ce qu’est la guerre, et ce que j’ai vécu était bien peu à côté de ce que vivent les Russes et les Ukrainiens en ce moment, et à côté de ce que nous pouvons tous vivre bientôt, c’était bien peu ! Donc oui, il faut mettre fin au bellicisme de l’OTAN, et particulièrement des pays européens qui constituent l’OTAN, sinon je pense que ce plan de paix n’aura pas d’effets bénéfiques sur le long terme.
Nous sommes dans une situation où l’humanité entière a désormais des armes de destruction absolument terribles. En 1994-95, quand j’étais à l’état-major de l’Armée de terre à Paris, je participais à une étude prospective. Il nous était demandé d’envisager la situation de la France, de l’Europe et du monde dans les années 2020 à 2030. Nous y sommes ! Sachant que, déjà, on refusait l’entrée de la Russie dans l’OTAN, nous étions arrivés à une perspective terrible. Nous avions écrit que cette situation pouvait dégénérer de telle manière qu’on pourrait aller – ce n’est évidemment pas une certitude mais c’est une possibilité – qu’on pourrait aller jusqu’à 6 milliards de morts au niveau mondial sur les 8 milliards d’humains que porte aujourd’hui la Terre.
Kennedy Junior, qui travaille avec Donald Trump, a dit la même chose, il y a à peu près un an et demi. Et, en septembre de cette année, j’ai vu aussi une étude de l’intelligence artificielle qui disait la même chose… Cette possibilité est donc quand même avérée. Mais malgré cela, nous continuons avec des gouvernants, en particulier en Europe, qui font comme si l’on était encore avec des arcs et des flèches. Nous risquons de vivre une catastrophe mondiale gigantesque qui pourrait marquer la fin de l’humanité, mais nos gouvernants continuent comme s’il n’y avait aucun risque ; je considère qu’ils sont soit aveugles, soit traîtres ! Il faut changer radicalement de façon de voir les choses. Radicalement.

AKS : Est-ce que les racines de ce mal résident dans une espèce de partenariat public-privé ? On sait que des lobbies peuvent acheter des politiciens. D’ailleurs, le président Trump a reproché à l’Ukraine une vaste corruption. Est-ce une histoire d’argent ? Parce que le privé prend le pas sur la politique et l’intérêt général ?

Général Didier Tauzin : Vous avez raison, mais il n’y a pas que ça ; la civilisation occidentale puise ses racines dans le christianisme. Jésus nous a dit qu’on ne peut pas servir Dieu et l’argent. On peut transposer ces paroles de Jésus en : «on ne peut pas servir l’être humain et l’argent». Soit on sert l’argent et on met l’être humain au service de l’argent, soit on sert l’être humain et on met l’argent au service de l’être humain. Aujourd’hui, on est dans une ambiance d’enrichissement permanent, de poursuite effrénée de l’argent. Dans cette logique, les êtres humains n’ont aucun intérêt ; maintenant, on envisage même de les euthanasier dès qu’ils ne sont plus rentables. C’est horrible. Nous sommes dans une voie d’ensauvagement et pouvons aller vers des situations bien pires que celles qu’ont vécu nos très lointains ancêtres ! Et ça, vous avez raison, c’est à la racine. Mais on peut aller plus loin.

Nous, les Européens en particulier, avons rompu avec notre civilisation d’essence chrétienne. Ça n’a jamais été parfait, bien entendu, lorsque l’Europe était chrétienne. Ça n’a jamais été parfait et ça ne sera jamais parfait. Mais on a quand même connu des progrès magnifiques d’humanisation, d’apaisement, de civilisation, pendant plus de mille ans. Et puis, du moment où l’on a commencé à abandonner nos racines chrétiennes, nos références politiques chrétiennes, nous nous sommes certes très enrichis, mais nous sommes entrés en voie de décadence civilisationnelle.

Et aujourd’hui, je crois que nous arrivons – ce n’est que mon appréciation ! – à la fin du processus. Maintenant, il va falloir choisir : continuer sur cette pente avec une probabilité de plus en plus forte de détruire une grande partie de l’humanité ou décider de revenir à nos racines politiques chrétiennes.

Après ce drame, il resterait quelques-uns qui seraient très riches, qui auraient le pouvoir, l’intelligence artificielle, etc., et environ 2 milliards… ou moins, je ne sais pas, qui seraient leurs esclaves. Si on continue vers ça, ce ne sera plus une humanité véritable, ce sera un retour à la sauvagerie ! Il faut donc radicalement changer de perspective et tout remettre, la politique, l’argent, etc., au service des êtres humains, de la paix et du bien commun mondial. Il faut revenir à nos racines politiques chrétiennes !

AKS : Le président Poutine avait deux objectifs principaux : démilitariser l’Ukraine et dénazifier l’Ukraine. L’Union européenne, l’OTAN, souhaiteraient que l’Ukraine continue à être militarisée. Il me semble donc qu’il n’y a pas lieu à ce que l’objectif du président Poutine soit rempli. L’autre point est la dénazification et on peut dire que le nazisme était une sorte de suprémacisme. Et de ce suprémacisme, vous venez d’en parler : peu d’hommes qui détiennent le pouvoir et qui dirigent les autres, les euthanasient si nécessaire. Cela met les Russes en position de défense d’une civilisation plus humaine. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

Général Didier Tauzin : C’est très intéressant et en même temps potentiellement assez dramatique. Tous les êtres humains, dans toutes les civilisations, savent qu’il y a le bien et le mal. Et beaucoup de religions les ont personnalisés : pour les Juifs, le bien est Yahvé et le mal est Baal, pour les Musulmans, ce sont Allah et Iblis, pour les Chrétiens, ce sont Dieu et Satan.
Et toutes ces civilisations constatent que le bien et le mal sont en permanence en train de « se faire la guerre ». Et dans ce contexte, il nous appartient, à nous, êtres humains, de choisir notre camp.

Or, quand on regarde l’histoire sur la très longue durée, en Europe la quasi-totalité des pays ont choisi, pendant plus d’un millénaire, ce que j’appelle «le camp du bien» contre «le camp du mal». Bien entendu, je le répète, cela n’a jamais été parfait, mais l’Europe s’est progressivement apaisée et a diffusé sa conception du bien à l’humanité tout entière. Aujourd’hui, s’il y a des Chrétiens en Chine, en Indonésie, en Amérique du Sud, en Afrique, c’est parce que cela est venu d’Europe.

Mais, depuis plusieurs siècles, petit à petit, à peu près partout en Europe, mais plus particulièrement en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, eh bien on a changé de camp.

On est passé du «camp du bien» au «camp du mal». Pour l’immense majorité des gens, cela s’est fait sans qu’ils s’en rendent compte, sans qu’ils s’en aperçoivent ; ils étaient conduits par quelques malfaiteurs, très habiles à manipuler. Et ce mal a remplacé les principes politiques chrétiens par des idéologies. Les idéologies – le nationalisme, le nazisme, le communisme, le wokisme, etc., toutes les idéologies, et il y en a des dizaines maintenant ! – ont ceci en commun qu’elles utilisent le besoin d’absolu qu’il y a dans l’être humain pour diviser, manipuler, régner et pour séparer les êtres humains de Dieu. Donc, c’est la tyrannie des idéologies qui détruit la civilisation chrétienne, et qui détruit l’humanité. Et nous sommes dans des temps idéologiques, de manière accentuée depuis 1789, mais en fait, très progressivement depuis bien avant. Et il faut remarquer que, par exemple, Staline et Lénine se référaient à 1789. J’ai vu aussi, il y a une cinquantaine d’années, une photo du président chinois Mao Tse-tung avec, derrière lui, des photos de Voltaire et Rousseau.

C’est très important ça. Nous sommes passés du camp des gens qui choisissent le bien contre le mal, au camp des gens qui choisissent le mal contre le bien, et y avons entraîné une grande partie de l’humanité, développant ainsi une ambiance de conflits de tous genres, de dominations diverses, de racisme, d’esclavage de fait sinon avoué, etc… mais avec des moyens de destruction absolument gigantesques.

AKS : Dans le plan de paix, il y a également un volet économique. Les terres de l’Ukraine sont réputées pour être très fertiles et seraient passées maintenant aux mains de fonds d’investissement, tels BlackRock. Et dans les deux plans de l’UE et des USA, il est question d’un accès privilégié voire d’un accès direct au marché européen. C’est un nouveau danger pour les agriculteurs ?

Général Didier Tauzin : On est en train de détruire l’agriculture et tout ça au nom du mondialisme économique. C’est quelque chose qui peut avoir des conséquences terribles, bien sûr des conséquences immédiates pour nos agriculteurs, mais aussi dans l’avenir pour les nations. Par exemple, si demain la guerre redémarre, s’il y a une guerre lourde au niveau mondial, la France et l’Europe pourraient ne plus être approvisionnées. Et nous pourrions avoir des famines en France, mais aussi en Allemagne, etc.

Qu’est-ce qu’il y a derrière cela ? Le service de l’argent par ceux qui se font qualifier, de manière usurpée, «d’élites». Beaucoup d’eux adorent l’argent et le pouvoir, travaillent uniquement pour l’argent et le pouvoir et non au service de la nation, des nations. C’est une déviation radicale de la politique, car la vocation de la politique, c’est de servir. C’est un intellectuel musulman au Liban qui m’a fait comprendre cela. J’étais beaucoup plus jeune que maintenant, nous parlions politique, et il m’a dit que la différence entre la conception musulmane de la politique et la conception chrétienne de la politique, était très simple : «chez nous musulmans, le chef prend le pouvoir pour se servir ; éventuellement il détruit, il tue, pour se servir, lui et ses affidés ! Tandis que chez vous, pays chrétiens, la politique découle de ce que Jésus a dit à ses apôtres : « vous m’appelez maître, et vous avez raison ! Je suis venu non pas pour être servi, mais pour servir. »» Cette idée est fondamentale : le rôle du chef est de servir et non pas de se servir. C’est immense, ça ! Or, aujourd’hui, on a complètement inversé cette définition à peu près partout en Occident.

Si bien que… tant pis pour les paysans français… tant pis s’il y a un jour une famine en France, en Angleterre, etc. Ce n’est pas grave, les tyrans idéologues se font du fric… C’est affreux ! On a inversé la signification de la politique et de beaucoup de choses. J’ai fait beaucoup d’opérations militaires, et on ne fait pas la guerre pour le fric. Il y a un principe qui a été développé par nos lointains ancêtres : le principe de « juste guerre ». Aujourd’hui, on n’en parle plus, de ce principe de juste guerre. Pourtant, c’est un principe très important ! Et puis il faut bien sûr faire la guerre si elle est juste et nécessaire, mais avec le moins de morts et de dégâts possible, et l’objectif de la guerre doit toujours être la paix, et une paix aussi sereine et aussi juste que possible. Avec l’introduction des idéologies, que ce soit le nationalisme, le nazisme, le communisme, le libéralisme occidental, etc. on a complètement inversé les choses. Et – pardonnez-moi de me répéter mais c’est une perspective très lourde – je crois que, si maintenant nous ne changeons pas – progressivement bien sûr, car on ne peut pas le faire d’un seul coup, mais avec détermination – pour revenir à l’ancienne conception de la politique dans nos pays de civilisation chrétienne, eh bien, c’est fichu ! Nous allons au drame et nous y engageons l’humanité entière. Je le crois vraiment.

AKS : Mais comment faire vu qu’il y a une crise de l’autorité, de la légitimité de l’autorité. Les jeunes qui n’écoutent plus les plus anciens, les peuples qui ne croient plus dans leurs gouvernements, ça, c’est plutôt propice aux guerres civiles ?

Général Didier Tauzin : Vous avez complètement raison, mais les racines sont toujours au même endroit. Ce qui devrait être la devise d’un chef, que ce soit chef de famille, chef d’entreprise, chef militaire ou chef politique, etc. la devise d’un chef devrait être : «aimer, unir, servir». Aimer, non pas au sens des sentiments, mais de discerner et faire ce qui est bien, bon et juste pour ceux dont on a la responsabilité. Unir au lieu de diviser et servir au lieu de se servir. Eh bien, aujourd’hui, on fait exactement le contraire. Exactement le contraire ! On se sert et on divise, ce qui est de la haine, pour régner. Donc, forcément, cela conduit à des situations potentiellement explosives. Donc, oui, il faut changer de façon de voir les choses.

AKS : Comment faire cela ? En trois ans et demi de guerre, l’Ukraine a perdu des milliers d’hommes, beaucoup d’habitants sont partis habiter ailleurs, il y a des champs de mines, des destructions massives et pourtant, selon les plans de paix il y aurait une amnistie ? Et ce qui se passe en Ukraine se passe aussi chez nous : les décideurs ne sont jamais tenus pour responsables. À la limite, c’est ceux qui disent le contraire des hommes qui sont au pouvoir qui sont mis en prison : il y a maintenant des délits d’opinion, et les faits ne sont pas punis. Comment une telle injustice peut prospérer ?

Général Didier Tauzin : Fondamentalement c’est toujours la même raison. On arrive à de telles situations parce que les gens qui ont pris des mauvaises décisions se protègent. Par exemple, le président François Hollande et Mme Merkel avaient fait savoir que les accords de Minsk étaient de la frime dont l’objectif était d’avoir le temps d’armer l’Ukraine. Donc, d’une manière complètement indirecte, ils ont avoué qu’ils voulaient armer l’Ukraine dans une perspective de guerre avec la Russie. Et ils ne sont pas les seuls à avoir agi ainsi ! Maintenant, il faut que ces gens-là fassent attention. Donc, ils se protègent avec des décisions comme celles que vous avez rapportées. Et la plupart de nos États sont aujourd’hui complètement pervertis par cette fausse définition de la politique et même si la guerre en Ukraine s’arrête maintenant ou qu’il y a une pause, eh bien cela risque fort de redémarrer ailleurs.

AKS : Quelles solutions pourraient être proposées ? Présumons que nous soyons colonisés, que nos États soient effectivement entravés par des accords, des traités avec l’Union Européenne, ou alliances avec l’OTAN, et que nos États voudraient reprendre une marge de manœuvre et se libérer de cette espèce de colonisation endogame. Comment faire ? Quelle méthode utiliser ?

Général Didier Tauzin : Pour qu’il y ait un changement, il faut qu’il y ait un déclencheur. Alors, quel déclencheur ? Je ne préconise pas les coups d’État, je ne préconise pas les révolutions populaires, je ne préconise pas les guerres civiles (j’en ai connu 4 sur le terrain, et je ferai tout ce que je pourrai pour éviter cela à mon pays !) etc. Non, mais il va falloir un déclencheur. Et je suis certain qu’il va y avoir un déclencheur. Quel sera-t-il ? Quand ? Je ne sais pas. Mais il faut que l’on se prépare à ce déclencheur, à reprendre la main ensuite pour refaire de la vraie politique au service des nations et des êtres humains. Si l’on ne s’y prépare pas, eh bien on risque fort, après, de ne rien pouvoir faire.

AKS : Un déclencheur ? Comme la guerre ? La guerre sert à rééquilibrer et le général Fabien Mandon a dit qu’il fallait se préparer à la guerre contre la Russie d’ici quelques années.

Général Didier Tauzin : Franchement, je ne comprends pas de tels propos. Parce que, comme chef d’état-major des armées, il est forcément informé, il sait forcément que c’est l’OTAN qui est à l’origine de la guerre en Ukraine. Ensuite, il sait que la Russie n’a pas du tout de haine contre la France. Donc, s’il a dit cela, c’est soit parce qu’il considère, lui-même et pour des raisons que j’ignore car je ne le connais pas, qu’il faut aller à guerre, mais je ne comprends pas une telle position, soit parce qu’il en a reçu l’ordre du président Macron. Moi, je dis tout de suite que si j’avais reçu un ordre comme celui-là, j’aurais instantanément démissionné. Et je l’aurais fait savoir publiquement. J’ai parfois désobéi en opération parce que les ordres que je recevais allaient contre ma conscience, et professionnelle, et humaine, et chrétienne. Là, à la place du général Mandon, j’aurais aussitôt démissionné. Point ! Parce que si on continue comme ça, oui, on aura la guerre avec la Russie. On l’aura. Et c’est nous, encore une fois, qui en serons les responsables. Donc, je ne suis pas du tout d’accord avec ses propos, mais je ne suis pas en responsabilité.

AKS : Il y aura des élections municipales en 2026, des présidentielles en 2027. Emmanuel Macron ne va pas pouvoir se représenter parce qu’il aura déjà fait deux mandats. Est-ce que vous pensez que l’on peut espérer un changement de politique avec un autre gouvernement ?

Général Didier Tauzin : J’ai vécu une expérience rare et très intéressante : celle de l’élection présidentielle de 2017. Je m’étais présenté et j’ai eu officiellement 84 parrainages, alors qu’il en faut 500 pour être officiellement candidat. Je ne dirai pas mes sources, mais je sais que j’ai eu plus de 1000 parrainages. J’en ai conclu depuis cette époque que le système politique en France est complètement verrouillé par les partis politiques, qui se chamaillent en façade mais s’entendent bien en coulisses. C’est ce que de Gaulle lui-même appelait «le système désastreux des partis».

Aujourd’hui, pratiquement tous les politiciens français se disent plus ou moins gaullistes, mais ils trahissent de Gaulle, parce que dès le départ de de Gaulle, le «système désastreux des partis» s’est progressivement réinstallé, et nos politiciens en vivent très bien ! Et désormais ce système bloque tout. Et, comme j’étais un candidat hors système, on m’a bloqué. Si ce système désastreux des partis n’est pas évincé, eh bien la France continuera à décliner, et cela peut aller jusqu’à l’écroulement de notre patrie. En tout cas, comme l’avait prévu de Gaulle lui-même, la Vème République est morte, même si son cadavre bouge encore. Et cela parce que les partis politiques exercent ce que j’appelle une tyrannie de fait.

Bien sûr, ce n’est pas une tyrannie sanglante, pas encore… Mais ils exercent une tyrannie de fait. Il n’y a plus de véritable liberté. Et l’immense majorité des politiciens en France n’ont même pas la conscience d’exercer sur nous une tyrannie. Et ils prétendent que nous sommes en démocratie. Nous ne sommes plus en démocratie. Et depuis longtemps.
Et je pense que la France n’est pas le seul pays en cause. Je crois que la Grande-Bretagne est bien mal partie, elle aussi, ainsi que l’Allemagne.

AKS : Sauf erreur, lorsque de Gaulle est revenu d’Angleterre, il a pu s’appuyer justement sur l’administration, les préfets, pour ne pas laisser le pays aux mains de l’AMGOT, gouvernement militaire des alliés. Vous pensez que l’administration est toujours patriote, comme elle l’était en 1945 ?

Général Didier Tauzin : C’est une situation très, très différente. On sortait d’une occupation allemande, de la guerre. Et puis, il y avait encore un sentiment national très fort même s’il avait déjà beaucoup décliné, il existait des liens nationaux qu’on a beaucoup détruits, depuis des années, ne serait-ce que par l’enseignement. Bien sûr, il y a toujours des gens qui ont la France vissée au cœur, – j’en fais partie – et qui sont vraiment prêts à se donner pour le pays, mais il y a aussi ce système désastreux des partis, plus tout ce qu’il y a derrière lui : des clubs de pensée, des milliardaires, des banques, etc., qui ne pensent qu’à développer leur emprise sur la société pour régner d’une manière tyrannique.

Aujourd’hui, je l’ai écrit dans mon dernier livre politique dont vous faites mention en introduction à notre échange, et je maintiens l’idée, aujourd’hui, dans beaucoup de pays occidentaux, l’être humain n’est plus qu’un producteur – consommateur, avant de devenir un vieux truc bon pour l’euthanasie, parce qu’il coûte plus qu’il ne produit. Voilà. Et cela est absolument dramatique et il faut le changer radicalement.

Alors maintenant, comment faire ? Il faut avoir des chefs pour ça. Il faut avoir des gens qui sont prêts à se donner vraiment, et avec le sens du devoir, c’est-à-dire : « je suis ici pour gouverner, et, en politique, gouverner signifie servir, et non pas se servir. Ça veut dire unir, et non pas diviser ». Il y en a en France, il y en a partout, de ces gens. Il faut les mettre au pouvoir, et ce n’est pas facile.

AKS : Donc il faut remettre l’Église au milieu du village, le service de l’être humain au centre de tout.

Général Didier Tauzin : Il faut remettre l’Église au milieu du village et le service de l’être humain et du bien commun au centre de la politique. Nous sommes d’accord.

AKS : Je vous remercie beaucoup, Général, pour cet entretien.

Entretien réalisé le 26 novembre 2025.

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(1) « Apprends lui à aimer la France à en crever », général Didier Tauzin, Mareuil Éditions, 2023
(2) « Elle s’appelle France et nous appelle au secours », Amazon 2025

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