Mirco Canoci – Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui une ampleur qui interroge : les titulaires d’un permis G, ces travailleurs frontaliers résidant hors de Suisse, occupent une place croissante dans l’administration publique genevoise, y compris dans des postes stratégiques. Cette évolution soulève des questions légitimes en matière de souveraineté, de sécurité de l’État et de préférence locale dans l’emploi public.
Selon les derniers chiffres publiés par l’Office cantonal de la statistique (OCSTAT), le nombre de frontaliers actifs dans le canton de Genève atteignait 114’900 à la fin 2024, en hausse de 7,1 % par rapport à l’année précédente. Genève concentre à elle seule 28 % de tous les travailleurs frontaliers en Suisse, loin devant le Tessin (19 %). Ce dynamisme frontalier s’observe désormais au cœur même de la fonction publique cantonale.
D’après le rapport du Grand Conseil sur le budget 2025, 18,2 % des postes au Secrétariat général du Département des finances (DF) et 16,67 % à la Cour des comptes sont aujourd’hui occupés par des titulaires de permis G. Ces fonctions ne sont pas anodines : elles donnent accès à des informations financières cruciales, à des bases de données sensibles ou encore à des projets stratégiques pour le canton.
Cette tendance touche plusieurs départements clés :
• DIP : jusqu’à 7 % de frontaliers dans les directions de l’enseignement
• DSM : plus de 6 % dans la Direction générale de la santé
• DT : 9,5 % au Secrétariat général
• IMAD : 17,39 % des cadres des projets stratégiques

La situation est similaire dans de nombreuses entités publiques ou parapubliques :
• 29,53 % de frontaliers aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)
• 26,9 % à l’Office cantonal des systèmes d’information (DIN)
• 17,44 % aux Transports publics genevois (TPG)
• 15,4 % aux Services industriels de Genève (SIG)
Ces chiffres posent une question centrale : peut-on accepter que des personnes résidant à l’étranger aient accès à des postes aussi sensibles dans les rouages de l’État ? Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la compétence des travailleurs frontaliers. Cependant, il est légitime de s’interroger sur le manque de contrôle démocratique exercé sur ces agents, leur lien d’allégeance avec la Suisse, ou encore leur accès à des informations stratégiques, alors même qu’ils vivent hors du territoire national.
Dans un contexte auquel les États renforcent leur vigilance face aux risques de fuite de données, d’ingérence ou de perte de souveraineté, l’ouverture totale de notre administration à des résidents étrangers paraît de moins en moins défendable. Plusieurs pays européens réservent, à juste titre, certains postes de leur fonction publique aux nationaux ou aux résidents. Genève, quant à elle, semble avoir fait le choix inverse. Il est temps d’ouvrir un débat clair sur la place des frontaliers dans les institutions publiques. Car derrière les chiffres, c’est la maîtrise de notre appareil d’État qui est en jeu.
HUG : des infirmières genevoises recalées, des frontalières privilégiées
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) se sont retrouvés au cœur d’une vive controverse en 2024. Leur programme de recrutement « Primo emploi », destiné à intégrer les jeunes diplômés en soins infirmiers de la Haute École de santé (HEdS), a suscité de nombreuses critiques. Opaque, désorganisé et parfois même menaçant, il a mis en lumière des pratiques de gestion du personnel pour le moins discutables au sein du plus grand employeur public du canton.
Mis en place en 2018, ce programme devait offrir un accès facilité à l’emploi pour les nouveaux diplômés. Chaque année, les étudiants de dernière année postulaient au printemps, passaient un entretien en été pour être engagés en octobre. Toutefois, les affectations ne faisaient l’objet d’aucun choix réel : les candidats n’avaient pas leur mot à dire sur le service ou le département dans lequel ils allaient travailler.
Des témoignages recueillis par La Tribune de Genève ont révélé des situations préoccupantes. Une jeune diplômée, après avoir spécifiquement demandé à éviter la gériatrie en raison de son expérience passée en EMS, s’était vu proposer un poste… en gériatrie. Après avoir décliné poliment, elle avait reçu un appel de la responsable RH, qui l’avait menacée de ne plus jamais recevoir de proposition d’embauche.
Officiellement, les HUG affirmaient vouloir concilier les besoins institutionnels avec les préférences des candidats. Dans les faits, cette prétendue flexibilité relevait surtout du discours de façade. Le processus s’apparentait à une assignation forcée, où toute objection était sanctionnée.
Plusieurs candidats ont également dénoncé un système de sélection peu transparent, où la priorité aux résidents genevois, pourtant affichée comme principe, n’avait pas été respectée. Des jeunes diplômés domiciliés dans le canton se sont vu refuser leur affectation, voire tout poste, pendant que des collègues résidant en France étaient engagés, parfois dans des services prisés où ils n’avaient aucune expérience préalable.
Le sentiment d’injustice était d’autant plus fort que les étudiants genevois avaient été formés localement, aux frais du contribuable, et étaient disponibles pour répondre aux besoins de leur propre système de santé. En retour, ils s’étaient vus écarté sans explication. Une politique d’embauche en décalage avec les enjeux locaux. Les justifications avancées par les HUG, invoquant les impératifs de fonctionnement, n’avaient pas convaincu.
Dans un contexte de pénurie de personnel soignant, de nombreuses voix s’étaient élevées pour réclamer une véritable politique de préférence locale. Le bon sens aurait voulu que les talents formés ici soient valorisés et stabilisés dans les établissements publics du canton.
Or, c’est l’inverse qui s’est produit. La priorité semblait aller à des frontaliers, au détriment des résidents. Cette situation posait un double problème : celui de l’efficacité en matière de gestion du personnel, mais aussi celui de la perte de souveraineté dans les recrutements publics. En clair, Genève finançait la formation d’infirmiers qu’elle laissait ensuite sur la touche.
Cette affaire avait mis en lumière une déconnexion croissante entre les attentes des citoyens et les pratiques de certaines institutions publiques. Recruter dans le secteur hospitalier n’est pas anodin : cela engage non seulement des compétences, mais aussi une loyauté envers un territoire, une population, un système.
Laisser se développer un programme d’embauche qui donne l’avantage à des non-résidents, au détriment de jeunes professionnels genevois, relève d’une logique technocratique à contre-courant des besoins du canton. Il aurait fallu en tirer des leçons claires: la fonction publique doit rester au service de ceux qui vivent ici.
Fonction publique à Genève : copinage, mensonges et domiciles fictifs au cœur du scandale Perler
La farce aurait pu passer inaperçue. Elle révèle au contraire l’état de délabrement moral et administratif d’une certaine gauche genevoise bien installée. Au sein du Département de l’aménagement, de la construction et de la mobilité (DACM), dirigé par la magistrate verte Frédérique Perler, des recrutements truqués, des conflits d’intérêts flagrants et des adresses bidon ont servi à contourner les règles et à placer des proches en toute impunité.
En 2023, un poste au service de l’urbanisme s’est libéré. Les candidatures reçues n’avaient pas convaincu ? Qu’à cela ne tienne : la codirectrice a alerté une amie parisienne de cette opportunité à Genève. Celle-ci a envoyé son dossier avec une fausse adresse: une boîte aux lettres fictive chez le beau-père de la codirectrice, dans une ferme à Genolier. Une combine grossière pour simuler un domicile suisse et donc remplir les critères d’embauche réservés aux résidents.
Le plus inquiétant ? Ce n’était pas un cas isolé. La codirectrice elle-même avait déjà eu recours à cette même ferme comme adresse fictive en 2020, pour contourner les délais imposés lors de son propre recrutement. Résultat : deux ans à occuper un poste stratégique en trichant sur son lieu de résidence, avec la complicité tacite de la hiérarchie.
La machine à pistons ne s’était pas arrêtée là
Quelques mois plus tard, c’était au tour du compagnon de l’urbaniste parisienne de décrocher un poste comme comptable, toujours au DACM. Lui aussi avait été informé de l’opportunité par la codirectrice, qu’il connaissait personnellement. Lors de l’entretien, ils se tutoyaient… La sélection ? Biaisée dès le départ. Une certaine Genevoise, pourtant préférée par la DRH, avait été écartée sous pression. Le message était clair : soit le Parisien était engagé, soit le processus entier était annulé. Résultat : le copain prenait le poste.
Le rapport du Contrôle financier interne (CFI) est accablant. Il parle de conflit d’intérêts avéré, de sélections verrouillées et de détournement des critères de résidence. Néanmoins, ce système a prospéré pendant des années, à l’abri des regards. Face à ces révélations, la magistrate Frédérique Perler a tenté de sauver sa peau en jouant l’ignorance. Tout cela ne serait, selon elle, qu’une affaire RH sans importance, dont elle n’aurait rien su. Un aveu d’incompétence ou un mensonge pur et simple ? « Les deux, mon capitaine ! », car depuis 2022, des alertes avaient déjà été lancées. La Cour des comptes avait été saisie, sans rien détecter. Et le Conseil administratif a commandé un rapport uniquement centré sur la codirectrice, en épargnant soigneusement la magistrate.
L’impunité organisée : quand l’administration trahit Genève
Deux situations ont été décrites à titre d’exemples, afin de montrer l’envergure du problème mais ce ne sont pas des cas isolés. En effet, pas une semaine ne se passe dans les médias sans qu’un scandale au sein de l’État, de la Ville ou d’une commune apparaisse. Ce ne sont pas des bavures isolées, c’est un système. Un entre-soi politique et administratif où les règles ne s’appliquent pas aux petits protégés, où le mérite est piétiné et où l’argent du contribuable sert à financer des tricheries organisées. Dans toute entreprise privée, de telles pratiques auraient conduit à des licenciements immédiats, voire à des plaintes pénales. Mais dans l’administration genevoise, on se couvre entre collègues. Les copains sont promus, les frontaliers pistonnés, les Genevois oubliés.
Ces scandales démontrent une chose : la fonction publique ne peut plus être une zone de non-droit. Il faut imposer des contrôles indépendants, une tolérance zéro pour les conflits d’intérêts, et surtout réserver les postes publics à ceux qui vivent et s’engagent pour Genève. Il est temps de mettre un terme à l’impunité, de rétablir l’autorité et de nettoyer les rouages gangrenés d’une administration que les partis de gauche croient leur appartenir. —
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Newsletter N° 257 – 9 mai 2025 | Source : Perspective catholique
Merci d’avoir publié cette excellente analyse d’un phénomène inquiétant. J’ai eu la possibilité à la commission des finances du Grand Conseil d’obtenir ces chiffres qui sont inquiétants.
Jusqu’à fin mai 2025 nous récoltons encore des signatures pour l’initiative du MCG demandant de réduire les frontaliers permis G à l’Etat de Genève.
À signer sur http://www.mcge.ch
Aidons les jeunes et les familles à continuer à vivre à Genève!
François Baertschi, président du MCG