Eric Bertinat – Bizarre, vous avez dit bizarre… comme c’est bizarre ! Voici donc ce «rapport choc», dressant «le tableau édifiant d’un pays miné de l’intérieur», un document «explosif», selon Le Figaro. Le ton est dramatique, la rhétorique bien huilée. Il s’agit d’une étude des services de renseignement français sur l’influence des Frères musulmans, remise à Bruno Retailleau, nouvelle figure providentielle d’une droite française en quête de posture ferme.

Il n’aura donc suffi que de deux auteurs – un préfet et un ambassadeur – pour que le pouvoir, toutes couleurs confondues, découvre soudain l’entrisme islamiste. Étonnement feint ou naïveté sincère, on s’interroge. Pourquoi ce rapport, prêt depuis des mois, n’a-t-il pas été rendu public plus tôt ? Et surtout, pourquoi parler de révélations, alors qu’il ne contient rien que l’on ne sache déjà ?
La présence des Frères musulmans est préoccupante, certes. Mais à en croire l’emballement médiatique, la République serait au bord de l’effondrement. Plus que cette présence, c’est sans doute l’impuissance politique à y répondre qui inquiète – ou qui dérange.
En Suisse, point besoin d’un préfet ni d’un diplomate pour constater l’influence frériste. Depuis des années, Mireille Vallette documente, dénonce et alerte : les Frères musulmans constituent un vecteur central de l’islam politique dans notre pays, notamment dans certaines mosquées et associations. Leur stratégie : agir sur le long terme, influencer les esprits, façonner les normes. Mais chez nous aussi, on regarde ailleurs.
À Berne, comme à Paris, on oppose des formules convenues à une réalité persistante: «surveillance continue», «dialogue interreligieux», «intégration». Le refrain est connu. L’illusion, elle, persiste. On répète que tout est sous contrôle, que l’État veille. En vérité, il temporise.
Car ce n’est pas tant l’islam politique qui surprend : il avance à découvert. C’est la légèreté de nos institutions à en mesurer les effets, à s’y confronter sans faux-semblants. En Suisse comme en France, la principale menace n’est pas l’ombre du frérisme, mais l’aveuglement volontaire face à ce qu’il incarne. —
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Newsletter N° 259 – 28 mai 2025 | Source : Perspective catholique