Mirco Canoci – Le titre de cet article aurait pu s’appeler également «la détresse chez les jeunes» ou tout simplement «nos jeunes vont mal». Force est de constater qu’il s’agit bien de détresse, tant les chiffres sont inquiétants.
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont publié l’une des rares études populationnelles sur l’idéation suicidaire des adolescents et adolescentes depuis la pandémie de COVID-19. Basée sur les témoignages de 492 personnes de 14 à 17 ans, elle souligne que 14,4% des jeunes genevois présentent des idées suicidaires, un taux élevé mais comparable à celui mesuré avant la pandémie.
Les résultats hors de l’arc lémanique ne sont guère plus réjouissants avec une augmentation de plus de 51.8% des troubles psychiques chez les jeunes dans toute la Suisse et une augmentation de 109.1% concernant les tentatives de suicide chez les filles de 10 à 14 ans. Ces phénomènes ne sont pas propres à la Suisse et s’observent dans tous les pays occidentaux.

Source : Pexels – Youth Depression

Un mal-être principalement chez les jeunes filles
Selon une autre étude publiée par l’Office fédéral de la statistique (OFS), de nombreuses jeunes filles de moins de 14 ans vivent des troubles anxieux, des états dépressifs ou des tendances suicidaires. Les hospitalisations de filles entre 10 et 14 ans ont augmenté de 1’327 cas entre 2018 à 2025.
Dans une autre étude encore menée récemment par l’Unisanté de Lausanne, 37% des adolescents de 14 à 19 ans en Suisse présentent des signes modérés ou sévères d’un trouble anxieux et/ou d’une dépression. Le nombre de jeunes luttant contre des problèmes de santé mentale a généralement augmenté. La pandémie du Covid-19 n’a guère aidé, puisque celle-ci aurait profondément affecté nos jeunes. En effet, 47 % des personnes interrogées ont déclaré que leur santé mentale était pire qu’avant la pandémie.
Enfin, cette étude de l’UNICEF de 2021 révèle que de nombreux jeunes restent seuls avec leurs problèmes. 29.1 % des personnes interrogées ont déclaré ne parler à personne de leurs problématiques. Moins de la moitié utilise les offres de soins psychosociaux mises à disposition pour obtenir de l’aide. Seuls 3 % s’adressent à des professionnels de la santé ou de l’éducation.
Cette détresse croissante se manifeste également dans le recours accru à l’assurance invalidité (AI). Cette tendance s’explique par une hausse notable du recours à l’AI parmi les jeunes. D’après la radio et télévision suisse SRF, le nombre de nouvelles rentes accordées aux jeunes Zurichois a presque doublé depuis 2015, une progression particulièrement marquée au cours des deux dernières années.

Réseaux sociaux et anxiété permanente
En menant des recherches approfondies, on découvre de nombreuses études convergeant vers le même constat préoccupant : les troubles psychiques chez les jeunes sont en forte augmentation. Les chiffres parlent d’eux-même. Le constat est alarmant ! Que se passe-t-il pour que nos jeunes soient dans un tel état ? Bien évidemment, la question est complexe et il n’y a pas qu’une seule réponse. Cependant, plusieurs pistes constatées par nombre de spécialistes se recoupent. Première cause souvent évoquée : le temps passé sur les réseaux sociaux. Apparemment, plus l’on passe du temps sur ces plateformes telles que TikTok ou Instagram plus il y aura une augmentation de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes. S’ajoute à cela un contexte global anxiogène. Réchauffement climatique, pandémies, crises économiques, conflits armés : les jeunes grandissent dans un monde perçu comme incertain, voire menaçant. Beaucoup témoignent ne pas réussir à se projeter dans l’avenir tant celui-ci leur semble incertain. Au Danemark par exemple, une étude récente révèle que trois filles sur cinq ne souhaitent pas avoir d’enfants en raison de leurs inquiétudes pour le futur.
Pour certains, le futur n’existera plus d’ici à quelques années et certains n’hésitent donc pas à faire passer des messages écologiques de manière percutante, tel se coller les mains sur la route pour dénoncer des catastrophes écologiques… Les jeunes votent de moins en moins et cela peut se vérifier dans toute l’Europe. En effet, pourquoi voter si l’on estime que plus rien n’a de sens et que la planète n’existera plus d’ici à quelques années ?

Isolement social : un mal silencieux
Ce climat a donné naissance à des phénomènes inquiétants, comme celui des hikikomori, apparu au Japon dans les années 2000. Ces jeunes, désespérés, se coupent du monde et ne quittent plus leur domicile. Ce phénomène s’exporte dans le monde occidental.
Alors, pourquoi faire l’effort de sortir de chez soi et d’entreprendre quoi que ce soit? Les chiffres explosent depuis les années 1990 : de jeunes adolescents mais pas seulement, passant leurs journées à jouer à des jeux vidéo afin d’échapper à une réalité devenue trop difficile à supporter. Le parallèle peut également être fait avec les drogues et son augmentation constante au sein de la population juvénile.

Harcèlement scolaire : la violence continue après les cours
Le harcèlement scolaire est également devenu un phénomène prenant de plus en plus de place dans les écoles, avec des fins tragiques pouvant mener parfois au suicide. Selon les chiffres les plus récents, 13% des élèves jusqu’à 15 ans seraient concernés sur l’Arc lémanique. La Suisse présente l’indice de harcèlement entre élèves le plus élevé par rapport à ses pays voisins européens. Il ne se termine plus aux portes de l’école comme autrefois. Les harceleurs poursuivent leurs victimes grâce aux réseaux sociaux qui n’ont point de limite dans le temps et dans l’espace. À noter que 98% des jeunes en Suisse ont un profil sur un réseau social et que 91% des jeunes utilisent les réseaux sociaux tous les jours ou plusieurs fois par semaine.

Pornographie et sexualité déformée
Autre sujet sensible : l’omniprésence des contenus pornographiques. L’accès facilité par Internet et les smartphones a entraîné une consommation massive chez les adolescents. Selon l’étude James (2022), 73 % des adolescents âgés de 12 à 19 ans ont déjà été exposés à ces contenus, 53 % chez les filles. Pire encore, 8 % des 12 à 19 ans ont déjà eux-mêmes envoyé des contenus pornographiques.
Les conséquences sont lourdes : addiction, perte de repères, pression à reproduire des scènes vues en ligne. Certaines affaires tragiques en témoignent, notamment en France, avec des cas de «tournantes» filmées dans les toilettes scolaires. Beaucoup de jeunes filles disent avoir cédé pour faire plaisir à leur copain.
Les spécialistes observent un lien direct entre consommation de pornographie et dépression, baisse de l’estime de soi, voire troubles de l’érection chez certains garçons. Les relations amoureuses sont profondément altérées.

Conclusion : urgence collective face à une crise silencieuse
La souffrance psychologique touche aujourd’hui une part croissante de la jeunesse, en Suisse comme ailleurs dans le monde. Elle est un phénomène préoccupant dont les chiffres ne cessent d’alarmer. Idéation suicidaire, troubles anxieux ou dépressifs, automutilation et tentatives de suicide sont autant de signaux qui indiquent un profond mal-être, souvent invisible, que vivent nombre de jeunes, en particulier les adolescentes.
La pandémie de COVID-19 a agi comme un révélateur, mais aussi comme un accélérateur de cette crise silencieuse. L’isolement, les périodes de confinement, la perte de repères et l’instabilité généralisée ont pesé lourdement sur la santé mentale des jeunes. Dans une société ultra-connectée mais de plus en plus déshumanisée, les jeunes sont confrontés à une pression sociale constante, alimentée par les réseaux sociaux, l’hyper-exposition aux standards irréalistes, une quête de performance permanente, et un besoin insatiable de validation.
Au-delà de la pandémie, c’est un climat général d’inquiétude qui s’installe. La conscience aiguë des crises écologiques, les tensions sociales, les incertitudes économiques, et l’impossibilité, pour certains, de se projeter sereinement dans l’avenir, engendrent une angoisse sourde. Ce mal-être est souvent exacerbé chez les jeunes filles, plus exposées aux problématiques d’image de soi et à certaines formes de harcèlement, notamment scolaire et en ligne.
Face à ce climat d’angoisse généralisée, la réponse ne peut pas être individuelle. Il est urgent d’agir. Il faut une mobilisation collective. Familles, écoles, professionnels de santé, autorités, Église : chacun a un rôle essentiel à jouer. Sensibiliser, prévenir, éduquer, mais surtout écouter. Offrir des espaces de parole, de confiance et de reconstruction.
Les campagnes de prévention contre le harcèlement, la sensibilisation aux dangers des réseaux sociaux et l’éducation au discernement doivent être renforcées. Mais surtout, il est fondamental d’ouvrir des espaces de parole, d’écoute et de soutien. Les jeunes doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils sont aimés, et que leur souffrance est prise au sérieux.
Dans cette crise, il serait tentant de céder au fatalisme. Pourtant, c’est bien une réponse enracinée dans l’espérance qu’il nous faut bâtir. L’Église, forte de son message d’amour inconditionnel et de sa longue tradition de charité a un rôle essentiel à jouer. Elle peut et doit être un refuge pour ces jeunes en détresse, un lieu de consolation, de reconstruction et d’espérance. Car ce qui se joue ici dépasse la santé mentale. C’est l’avenir de toute une génération et donc l’avenir de notre société qui est en péril. —

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Newsletter N° 256 – 30 avril 2025 | Source : Perspective catholique