Mirco Canoci – Ouvrir TikTok ou tout autre réseau social, c’est aujourd’hui pénétrer dans une véritable usine à clones. Des milliers de femmes exhibent la même physionomie : pommettes parfaitement sculptées, nez affûté, lèvres charnues, et un teint lisse, comme figé sous un filtre immuable. Ce visage uniformisé, c’est typiquement celui des Kardashian : Kim et Kylie. D’innombrables clones à l’image de Bella Hadid ou Emily Ratajkowski. Bien plus que de simples célébrités, elles incarnent une esthétique numérique devenue la norme mondiale, un modèle que l’on pourrait appeler «beauté 2.0».
Cette «beauté standardisée» a engendré une industrie florissante. Ce prototype fascine par son ambiguïté ethnique : ni blanche, ni noire, ni orientale, ni asiatique, cette physionomie qui aurait pu être «générée par intelligence artificielle» séduit universellement, telle une silhouette caméléon s’adaptant aux caprices des algorithmes et des modes.
En France, des figures comme Nabilla ou EnjoyPhoenix illustrent cette homogénéisation faciale, passant d’un style ingénu à ce visage que l’on pourrait appeler «Kardashianesque».

Le visage Instagram : un masque universel
Le visage Instagram s’impose partout : chez les «fit girls», les «instagirls», ou même encore les épouses de footballeurs. Le visage est toujours le même : jeune, symétrique et stéréotypé. Ce phénomène n’est malheureusement pas nouveau et a tendance à perdurer. En 2019, la journaliste Jia Tolentino décrivait déjà ce visage blanc, lisse, sans ancrage ethnique, qui donne un véritable masque fabriqué.
L’avènement des réseaux sociaux a accéléré cette standardisation. Les stars ne sont plus des êtres distants, elles vivent dans nos poches 24 heures sur 24 à travers nos smartphones, elles dictent les tendances à l’échelle mondiale. Imiter un look tendance est désormais à la portée de tous. La mode se fait alors machine à clones, tel un rouleau compresseur effaçant toute singularité.
La chirurgie esthétique, accessoire de mode et clé du succès
Au cœur de ce phénomène, la chirurgie esthétique joue un rôle central. Le clan Kardashian a transformé ces interventions en un business glamour, popularisant des opérations comme la «Lip Revolution». Retoucher son visage est devenu un rite de passage presque incontournable pour atteindre cet idéal universel, à condition d’accepter douleur et coût financier élevé.
Les visages Instagram et TikTok sont de véritables œuvres collectives, le fruit d’une production industrielle de chirurgiens, vendus comme des marques. Ce phénomène touche principalement les femmes, mais certains hommes commencent à s’y mettre, à l’image de Zac Efron, dont la transformation faciale a défrayé la chronique.
Pourquoi cette uniformisation faciale ?
Plusieurs raisons scientifiques expliquent ce phénomène :
- L’effet du visage moyen : les visages proches d’une moyenne génétique sont perçus comme plus attirants, symboles de bonne santé et de diversité génétique.
- L’effet de familiarité : notre cerveau préfère ce qu’il connaît, donc les visages ressemblants.
- Le conformisme tribal : imiter les autres assure une place sociale, une survie dans le groupe.
- Le paradoxe de l’individualisme : vouloir être soi-même conduit souvent à copier les modèles socialement validés.
Pourtant, une ressemblance trop marquée peut engendrer malaise et confusion. Ce phénomène du «double» comme lorsque deux inconnus arborent le même visage vient troubler notre besoin fondamental d’individualité, indispensable pour nous reconnaître et distinguer les autres. Il suffit de penser aux jumeaux, leur apparente similitude suscite souvent stupeur et fascination chez ceux qui les côtoient. Le cinéma d’horreur a largement exploité ce malaise, comme dans le film Shining, avec la célèbre scène des deux jumelles immobiles dans le couloir, une image qui glace encore les esprits.
Conclusion
Ce n’est pas un jugement moral, mais un constat lucide, l’originalité est en voie d’extinction. Dans nos rues, sur nos écrans, le même visage se répète à l’infini. Nous assistons à une standardisation mondiale de la beauté, une uniformisation à laquelle l’idéal esthétique devient global, algorithmique, rentable.
La beauté clonée est le symptôme d’une époque où chirurgie, filtres et réseaux sociaux dictent une forme de totalitarisme esthétique. Un modèle unique s’impose et toute singularité devient anomalie. Cette rentabilité a un coût : elle broie la diversité, efface l’originalité, raye les visages de leurs aspérités.
L’Église catholique, tout en ne condamnant pas la chirurgie esthétique en soi, met en garde contre ses dérives. Selon la Charte des professionnels de la santé (1995), la chirurgie esthétique «devient moralement inacceptable lorsqu’elle traduit un refus de son identité corporelle et une obsession du paraître». Le corps humain, temple de l’âme, ne saurait être réduit à un objet de consommation ou à un produit à modeler selon les modes.
L’exemple emblématique de Rodrigo Alves, alias Jessica Alves, influenceur(euse) ayant subi plus de 100 interventions chirurgicales pour atteindre une image idéale, incarne cette dérive : un visage transformé jusqu’à perdre ses repères humains, au nom d’un idéal standardisé nourri par les réseaux.
Pourtant, derrière cette vague de clones, chaque individu tente encore de s’aimer, de se sentir unique… à travers une copie conforme. Tout le paradoxe réside en cela. Il est à espérer que, dans cette mer de reflets conformes, la singularité humaine finira par ressurgir, fragile, mais intacte. —
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Newsletter N° 261 – 25 juin 2025 | Source : Perspective catholique