La Palestine et nous

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Christian Bless – Contrairement à ce que les gros médias et les politiciens installés dans les allées du pouvoir, et ceux qui aspirent à s’y installer, payés par notre poche, veulent vous faire accroire, à Gaza, tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Jamais peut-être la propagande n’a fonctionné aussi activement. Nous allons tenter d’inscrire les événements qui se déroulent au jour le jour sous nos yeux dans la plus longue durée, afin d’essayer de voir clair à travers le brouillard médiatique et de dégager quelle devrait être notre position dans la perspective de la neutralité de la Confédération. Les rayons des librairies nous proposent de très nombreux livres qui nous permettent de serrer les faits au plus près, au-delà des émotions et des préférences personnelles.

Professeur au Collège de France, historien arabisant, spécialiste du Moyen-Orient, Henry Laurens a publié de très nombreux ouvrages, notamment une monumentale La question de la Palestine en 5 volumes qui fait référence. Les sous-titres des premier et cinquième volumes disent tout le drame qui traverse le XXème siècle et le nôtre : «L’invention de la Terre sainte» et «La paix impossible». Publiés entre 1999 et 2015, ces milliers de pages décrivent par le menu la lente descente aux enfers des Palestiniens. Agonie sous les coups de boutoir du sionisme soutenu par les puissances anglo-saxonnes, agonie que rien ne semble devoir arrêter.

La Déclaration Balfour
Bien qu’il ait des antécédents, nous pouvons faire remonter ce cauchemar des populations vivant sur les terres de l’ancienne province ottomane de Palestine à la Déclaration Balfour. Compte tenu des conséquences que ce texte va entraîner tout au cours du siècle passé et jusqu’à nos jours, il vaut la peine de le citer dans son intégralité. Le texte original étant en langue anglaise, c’est la traduction figurant dans l’ouvrage d’Henry Laurens qui suit, signé par Lord Arthur James Balfour, le 2 novembre 1917 :

« Cher lord Rothschild,
J’ai le grand plaisir de vous adresser de la part du Gouvernement de Sa Majesté la déclaration qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui.
« Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les juifs disposent dans tout autre pays. 
« Je vous serai obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »

Dès le départ, cette démarche ne fait pas l’unanimité chez les Juifs qui resteront profondément divisés et ce, jusqu’à nos jours. Les intentions des politiciens anglais sont troubles. Invoquant la Bible, ils dissimulent à peine des intentions politiques. Renée Neher-Bernheim écrit à ce sujet : «Pourtant, il ne faudrait pas idéaliser. Comme Mark Sykes, Lloyd George a vu tout le parti qu’il pourrait tirer des demandes sionistes pour l’intérêt de son pays. Il s’agit d’acquérir la Palestine pour l’Angleterre en l’enlevant aux Français.» Et, un peu plus loin : «… les motivations de la politique la plus réaliste et celles du mysticisme teinté d’un certain sentiment de culpabilité à l’égard des Juifs …» Et : «… l’intérêt pour l’impérialisme anglais de se concilier les sionistes est l’élément déterminant de son (Balfour) attitude.» (La déclaration Balfour, Les Belles Lettres, 2005). L’auteur insiste sur ce point : «Le désaccord entre Français et Anglais sur le plan diplomatique … trouve une sorte de parallèle dans la lutte entre sionistes et antisionistes au sein du judaïsme anglais (…) l’opposition au sionisme est largement répandue dans certains cercles, surtout chez les Juifs occidentaux. (…) … Jacob Schiff et les quelques financiers juifs aux U.S.A. étaient aussi hostiles au sionisme …» Ces divisons demeurent et surplombent les crises contemporaines.

Renée Neher-Berheim se livre à une exégèse de certains termes de la Déclaration qui présente au lecteur des précisions importantes expliquant la suite des événements : « Dans cette troisième mouture d’un même projet (la Déclaration), apparaît pour la première fois le terme de National Home proposé par Sokolov (Nahoum Sokolov, dirigeant sioniste né en Russie ; n.d.l.r.) : il traduit à peu près l’hébreu Bayit Leoumi ; il ne correspond pas au français « Foyer National », couramment utilisé pour le traduire. Car Home (comme Bayit) signifie aussi bien Foyer que Patrie ; l’hébreu Bayit a une acception encore plus large, puisqu’il désigne aussi le Temple de Jérusalem et même l’État juif tout entier. » ! Tout est clair dès le début, il s’agit d’établir un État juif et donc de reconstruire le Temple ! A la racine du mouvement sioniste, il n’y a pas de place pour les Palestiniens vivant sur cette terre. Ce qui se déroule depuis plus de cent ans découle de cette intention initiale. L’insurrection du 7 octobre n’est donc qu’un épiphénomène, le sursaut d’un peuple acculé, sursaut d’ailleurs peut-être voulu et permis par le sionisme afin de tenter de parachever l’établissement d’un État ethniquement et religieusement pur.

Les conséquences
Et comme l’on sait, les ambitions territoriales du sionisme dépassent les frontières actuelles de l’État d’Israël et incluent des territoires appartenant au Liban, à la Syrie, à la Jordanie et à l’Égypte. C’est dans le contexte de ces prétentions territoriales qu’il faut comprendre les actions de l’armée israélienne notamment au Liban et en Syrie.

La publication de la Déclaration Balfour a immédiatement suscité des inquiétudes et un rejet de la part des Arabes, rejet qui s’amplifiera dès la fin de la première guerre mondiale et les premiers heurts auront lieu en 1920. Contrairement à ce que demandaient certaines instances internationales, à aucun moment, les populations ni leurs représentants n’ont été consultés. «Comme prévu dans le traité de Sèvres, le mandataire de la Palestine (l’Angleterre) est explicitement chargé de réaliser la Déclaration Balfour.» (Renée Neher-Bernheim). Les impérialismes anglais et états-uniens imposent donc une greffe restée étrangère, au détriment des populations locales, et qui engendre depuis cent ans des heurts et des conflits sanglants qui déstabilisent toute la région.

Le Liban fondé en 1920 par le Général Henri Gouraud au nom de la France va sombrer dès 1975 dans une guerre souvent qualifiée de civile mais qui aura pour catalyseur plusieurs centaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs terres ancestrales et réfugiés dans des camps au Liban comme en Jordanie et en Syrie.

 

La paix impossible
La récente trêve ne règle aucune des causes qui nourrissent un conflit dont on ne voit pas l’issue : déplacements massifs de populations (quelque quatre-cent à cinq-cent mille Palestiniens sont parqués dans des bidons-villes au Liban, sans avenir) au Liban, en Syrie, en Jordanie, sans compter ceux qui sont dispersés à travers le monde. Spoliation de leurs terres et de leurs biens. Grignotage constant des terres palestiniennes par une colonisation armée des sionistes. Guerres à répétition contre des mouvements désignés comme « terroristes ».

Dans ce contexte, le sous-titre de Henry Laurens paraît tragiquement réaliste : «La paix impossible». En tout cas, aussi longtemps que l’État d’Israël recevra le soutien inconditionnel et illimité, financier et militaire des États-Unis. Mais malgré toutes les horreurs dont nous sommes les témoins presque en direct, le Sionisme ne pourra pas exterminer sept millions et demi de Palestiniens, ni même les chasser de la terre qui les a vu naître ainsi que leurs aïeux, d’autant plus que la dynamique démographique les favorise. Il faudra trouver une issue digne au sort des Palestiniens réfugiés, depuis plusieurs générations, notamment au Liban où ils sont un facteur de déstabilisation.

Elias Sanbar, dont on lira avec intérêt le Dictionnaire amoureux de la Palestine (Plon) écrit dans une récente contribution, sous le titre de «La dernière guerre ?» (Tracts, Gallimard) : «Il suffit de remonter à ce qui oppose les sociétés palestiniennes et israéliennes depuis 1948 pour comprendre ce qu’il y a d’existentiel, de part et d’autre, dans le conflit qui, depuis les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre, a placé Gaza sous les bombes et causé des pertes effroyables dans sa société civile. La naissance d’Israël, et les deux guerres qui l’ont précédée et suivie, s’est joué sur un socle d’injustice : la négation du droit des Palestiniens à résider sur leur terre. Ce point presque aveugle de la tragédie en cours est bien la source de toutes les désolations ; il réduit à néant tout ce qui, depuis des décennies, a pu faire espérer un horizon de partage, de reconnaissance et de cohabitation pacifiée. Jusqu’à conduire, presque fatalement, à cette «dernière guerre», selon les termes d’Israël … L’épilogue d’épisodes dilatoires qui, à défaut d’annoncer des jours radieux délivrés de la menace souterraine du terrorisme, conduirait à l’éviction des Palestiniens hors des terres «israéliennes» et à la négation définitive de leur droit au retour. Une sortie de scène irréversible, au mépris du droit international, dont nul ne saurait douter qu’elle ne conduise à de pires malheurs.»

Laissons Henry Laurens conclure en soulignant les causes profondes de l’impossibilité d’une paix, malgré le verbiage des puissants du jour et des médias serviles, impossibilité en raison de : «… l’insécurité existentielle de l’État d’Israël à cause de son déficit de légitimité dans le Moyen-Orient. Il n’est pas possible pour les Palestiniens d’admettre la légitimité de l’État d’Israël comme État juif si cela sous-entend la légitimité de leur expulsion. Ils peuvent le reconnaître comme existant, et non comme légitime. Une paix véritable ne peut se faire qu’en remettant en cause, en partie, les fondements du sionisme, c’est-à-dire par la reconnaissance du fait que ce projet n’a pu se réaliser qu’en portant tort aux habitants de la Palestine, en les forçant au minimum à être «transférés» ailleurs, sinon cantonnés dans des réserves. La violence du conflit réside dans ce fait élémentaire, et non dans la méchanceté des gens.» Contre la logique des Palestiniens réclamant leur retour, au moins partiel, sur les terres dont ils ont été chassés, se dresse la revendication non moins absolue, bien au contraire, du sionisme qui se réclame de l’alliance que «Yaweh fit avec Abraham, en disant : «Je donne à ta postérité ce pays, depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve de l’Euphrate …» (Genèse, XV, 18. A. Crampon), malgré l’écoulement des siècles. La paix impossible …

Quoi qu’il en soit, le vœu exprimé dans la Déclaration Balfour, «rien ne sera fait qui puisse porter atteinte (soit) aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine …», restera lettre morte. Jean-Pierre Filiu rappelle les étapes de «l’une ou l’autre des quinze guerres livrées par Israël à ce territoire depuis la Nakba, la « Catastrophe » palestinienne de 1948.» ; il dénonce «le dessein d’éliminer non plus seulement le Hamas, mais la bande de Gaza en tant que telle … en réduisant Gaza à un champ de ruines … qui fut, jusqu’au milieu du XXe siècle, une des oasis les plus prospères du Moyen-Orient.» (Un historien à Gaza, Les Arènes. Lire également du même auteur : Histoire de Gaza, Fayard, et Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, Seuil.)

Mais, par-dessus tout, il faut garder à l’esprit la dimension religieuse, eschatologique, du conflit qui le rend irréductible et sur lequel tout processus de paix s’est fracassé : «… sur la question de Jérusalem, et en particulier sur le mont du Temple/esplanade des mosquées.» Le récent cessez-le-feu ne résistera sans doute pas longtemps aux ambitions sionistes et au désespoir du peuple palestinien acculé. Les rodomontades américaines n’y pourront rien, sauf à prolonger un affrontement séculaire. Comme dans d’autres régions du monde d’ailleurs.

Nous n’oublierons pas non plus que c’est sur cette terre que le Christ s’incarna, qu’Il y fonda son Église, qu’Il y mourut crucifié pour nous sauver. Et que c’est un grand mystère que les chrétiens aient presque disparu du berceau de l’Église. Traversant les paysages de Palestine, contemplant les lys des champs, le Fils de Dieu enseignait à ses apôtres qu’Il était «la Voie, la Vérité, la Vie». Au dernier jour avant la crucifixion, le Verbe, «par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait», répondait à Pilate qui l’interrogeait, représentant de la puissance du moment : «Tu l’as dit, je suis Roi.»

Quelles que soient nos propres appréciations de ce drame historique, en tant que Confédérés, nous devons exiger que les autorités de la Confédération maintiennent, modestement et sans postures moralisantes qui donnent bonne conscience, une stricte neutralité, s’abstenant de déclarations intempestives condamnant de supposés «terroristes», ne serait-ce que pour permettre l’intervention de la Croix-Rouge au secours des populations abandonnées et des civils qui sont systématiquement des cibles privilégiées et demeurer un lieu où les protagonistes puissent se rencontrer.

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