La Suisse sans l’UBS

0
90

Jean-Pierre SawLes rumeurs de départ vers les Etats-Unis du siège de l’UBS mettent en lumière le bras de fer qui oppose la principale banque helvétique aux autorités fédérales. Tandis que le gouvernement et la FINMA insistent sur une augmentation des fonds propres de CHF 25 milliards, l’institution financière se bat pour une meilleure rentabilité. Imaginons un instant à quoi ressemblerait la Suisse sans sa dernière grande banque.

Un départ aurait évidemment pour effet direct une certaine baisse des entrées fiscales, mais ce n’est pas tout. Il priverait la place financière suisse d’une série de prestations spécialisées, propres aux banques commerciales, comme les fusions/acquisitions et les mises en bourse. Le secteur financier, qui compte pour près de 10% du PIB suisse, perdrait ainsi son plus grand acteur. La Suisse ne conserverait que les banques de proximité (cantonales et groupe Raiffeisen) et les banques privées de gestion de fortune. 22% des hypothèques suisses se trouveraient menacées par un éventuel changement de stratégie, au mieux fragilisées par l’expatriation des centres de décision. Outre la perte de compétence, le départ d’une institution qui a petit à petit absorbé toutes ses concurrentes signifierait une atteinte considérable à l’image du pays.

Il est à noter que le géant bancaire n’est déjà plus entièrement helvétique, puisque plusieurs de ses actionnaires institutionnels sont notamment américains et norvégiens. Cet actionnariat étranger continuera sans doute d’influencer la stratégie à l’avenir. Le fonds d’investissement Cevian Capital, quoique qu’actionnaire à 1.5% seulement, milite par exemple déjà pour un déplacement du siège vers les USA.

Mais il y existe une alternative : scinder l’activité internationale de celle qui se déploie sur notre sol. Cette dernière pourrait alors être rachetée par une banque suisse – mais laquelle ? – ou fonctionner en autonomie. L’UBS redeviendrait ainsi une institution intégralement suisse, entité supra-cantonale consacrée au fonctionnement de l’économie du pays et à ses citoyens. Cette option pourrait finalement satisfaire toutes les parties et rassurer tant les petits épargnants que les 22’000 employés suisses.

Dans une interview du 16 septembre sur Léman Bleu, la journaliste économique Myret Zaki disait toutefois ne pas croire à la délocalisation des activités internationales vers les Etats-Unis. D’une part, l’UBS resterait toujours une banque étrangère sur territoire américain, et d’autre part elle perdrait son « assurance vie » que représentent les 3 millions de clients suisses.

Du point de vue helvétique, le géant forme une épine dans le pied d’un Conseil fédéral, qui se retrouve en position de faiblesse pour négocier avec lui. A titre de comparaison, le bilan de la Banque nationale suisse ne fait que la moitié de la banque d’affaire… et les discussions actuelles, à supposer qu’elles n’aboutissent pas, ressurgiront demain en cas de statu quo.

Le scénario de la scission des activités pourrait constituer l’objectif d’un Conseil fédéral soucieux tant de sa sécurité financière que de celle de sa population.

Comme le souligne un ancien banquier de la place genevoise, il n’est pas impossible que le durcissement de la concurrence internationale, conjugué à des décennies de nonchalance ultralibérale, oblige notre pays à renoncer à quelques points de PIB pour renforcer son indépendance par rapport aux pressions étrangères. Notre conseillère fédérale en charge du dossier a l’occasion ici de faire oublier ses déconvenues passées.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici