Abbé Frédéric Weil (FSSPX) – « Je suis le Bon Pasteur » nous dit Jésus-Christ, qui se représente lui-même en berger des âmes qui doit nous mener dans les verts pâturages du Ciel. Le rôle du pasteur est un rôle d’autorité, de chef, de guide, un rôle hiérarchique. Le pasteur, c’est d’abord Jésus-Christ, mais c’est aussi le prêtre qui est un autre Christ et qui dispose selon une mesure limitée, du pouvoir même du Christ sur les âmes. C’est une chose bien étonnante, qu’on veuille bien y songer quelques instants, parce qu’il y a pourtant une distance infinie entre la dignité de Jésus-Christ, Dieu incarné, et le prêtre qui est un simple homme avec toutes ses faiblesses. Il y a un contraste immense entre l’être parfait et l’imperfection humaine.

Un jour, quelqu’un d’encore trop hésitant pour venir à la foi catholique m’avait un jour fait cette objection : « je conçois bien la nécessité de la religion, j’en vois son importance, sa grandeur, mais justement j’en vois tellement la grandeur qu’il me semble que la religion est une chose trop importante pour être confiée à des hommes ». Son objection était spécialement dirigée contre les autorités humaines de l’Église dont il voit la défaillance. Dès qu’il y a de l’homme, il y a de l’hommerie.
Eh bien il faut reconnaître, que cette objection a du vrai, beaucoup de vrai. La grandeur de la religion et la faiblesse de l’homme sont des vérités que notre foi elle-même atteste. La responsabilité du salut des âmes est une charge immense. Une charge qui dépasse les capacités humaines. Et Dieu sait combien d’hommes chrétiens et même d’hommes d’Église ont défailli dans leur tâche, à commencer par le traître Juda. Le dernier concile, Vatican II n’a été qu’une preuve supplémentaire que les hommes d’Église peuvent bien défaillir et détourner les âmes de la foi au profit d’une doctrine ramollie par les hommes, dont on a fait perdre toute la saveur.
Le problème de cette objection, c’est qu’elle ne va pas assez loin. La société civile, l’État est sans doute moins grand que la société surnaturelle qu’est l’Église, mais n’a-t-elle pas une importance aussi capitale? Un homme d’Etat avait dit un jour que la guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires. Mais la politique n’est-elle pas une chose trop grave pour être confiée à des politiques, dont les imperfections ne nous sont que trop connues ? Et le fait d’être simplement père, mère de famille, est-ce que ce ne sont pas aussi de grandes choses ? Quel père ou mère de famille pourrait s’avouer être parfaitement à la hauteur d’un si beau rôle en tout temps ? L’objection se voulait, de prime abord, à l’encontre de l’autorité dans l’Église, mais si on la prolonge, si on la développe, elle poursuit sa destruction contre l’autorité même naturelle, car nous voyons bien que la défaillance humaine n’existe pas juste dans l’Église.
Et il faut pousser l’objection encore plus loin. Si nous pouvons voir la défaillance dans toute autorité humaine, ne faut-il pas également voir la défaillance aussi des hommes de la base, qui sont fait du même bois ? Oui, l’autorité peut défaillir et n’être pas à la hauteur de sa mission, mais l’individu le peut tout autant, et il défaillira d’autant plus facilement qu’il est sa propre autorité et n’obéit plus à personne. Rejeter le principe même de l’autorité sous prétexte qu’elle peut défaillir, c’est s’abandonner entre les mains de l’être également défaillant que nous sommes. C’est une fuite en avant. Fondamentalement, si c’est l’homme qui le maillon faible, qui est le rouage défaillant, alors c’est lui qu’il faut éliminer tout entier de l’équation et pas juste l’homme d’autorité. Bref, jusque-là, nous voyons que cette objection nous accule à tout détruire.
Mais encore une fois, le problème est qu’elle exprime quelque chose de vrai : le contraste immense entre grandeur de Dieu et bassesse humaine. C’est cette vérité qui a fait que nous voyons dans la Sainte Ecriture à plusieurs reprises des hommes qui rechignaient à recevoir de Dieu une autorité. Moïse objecte à Dieu qu’il n’a pas les capacités d’un orateur. Il s’estime trop petit pour la tache immense qui l’attend. Le prophète Jérémie dit : « ah ah ah », regarder mon Dieu, je sais à peine parler, je ne suis pas apte à prendre cette autorité. Le prophète Jonas, pire encore, fuit devant la tache que Dieu lui donne. Dieu lui dit d’aller à l’est vers Babylone, il fonce vers l’ouest pour prendre le large. Et nous voyons encore saint Pierre dire à Notre-Seigneur après la pèche miraculeuse « éloignez vous de moi car je suis un pécheur ». Bref, souvent c’est l’homme conscient de sa petitesse qui rechigne à prendre une autorité dont il sent la charge écrasante. Il faut dire aussi que la petitesse humaine a bon dos, elle sert aussi à maquiller notre paresse sous les traits de l’humilité. « Je ne sais rien faire, je suis trop petit, donc je ne fais rien ». Et bien sur on voudrait que Dieu fasse tout à notre place. C’est pratique. Trop pratique.
Mais surtout, la réponse à cette objection, elle nous vient de Dieu lui-même qui a répondu à Moise, à Jérémie, à Jonas, à saint Pierre, qui les a désigné et qui n’a pas voulu entendre leurs dénégations. Dieu a désigné des apôtres, il leur a demandé de les suivre, il leur a donné autorité. Et la volonté de Dieu ne souffre pas de refus. Dieu montre qu’il a voulu et établi des autorités, même défaillantes. Il ne nie pas leur faiblesse humaine, mais il les assiste par sa grâce.
Et c’est en réalité une manière pour Dieu de montrer sa puissance. Dieu montre mieux sa puissance en donnant sa puissance à d’autres qu’en faisant les choses directement. Un peintre qui sait faire des chefs-d’œuvre est certainement doué, c’est un maitre. Et on voit davantage son talent s’il arrive à faire une œuvre splendide avec un instrument mauvais, des pinceaux cassés qu’il arrive tout de même à manier, des couleurs fades qu’il arrive tout de même à faire resplendir. Mais mieux encore, le peintre qui sait transmettre son art à d’autres, qui non seulement sait faire des chefs d’œuvres lui-même, mais qui sait également prendre des élèves peu doués pour en former des maîtres capables à leur tour de faire des chefs d’œuvres, celui-là montre encore bien plus de talent.
Et c’est la tache que Dieu se propose quand il prend des hommes bien faibles pour tâcher de façonner des chefs d’œuvres de la grâce. Non seulement cela montre la puissance de Dieu, mais cela montre aussi sa bonté, puisqu’il donne plus de perfections aux êtres de cette manière, il leur donne une responsabilité, une grandeur qui participe de la sienne.
Alors, fort de cette réponse, est-ce qu’il faut renverser totalement la perspective donnée par notre objection et se dire que l’homme est à la hauteur, même des tâches les plus grandes ? Non bien sur, il n’est à la hauteur que si Dieu lui donne de l’être. Il doit d’abord se rappeler sa petitesse et la grandeur de sa tache, c’est l’attitude surnaturelle du catholique. On ne peut pas blâmer Moise, Jérémie, Jonas ou saint Pierre. Leur attitude était normale.
Et c’est l’exemple en particulier de saint Pie X, qui était terriblement effrayé devant la tache immense qu’il voyait lui tomber sur les épaules lorsqu’il a été élu pape. Il a conjuré de toutes ses forces les autres cardinaux de ne pas voter pour lui, et ce n’était vraiment pas du théâtre. On l’a vu en larmes, tourmenté à la pensée de son élection. Une seule chose l’a fait accepter : c’était de lui rappeler que c’est la volonté de Dieu qui s’est exprimée.
Quand un homme se met en avant, qu’il s’estime capable de tout, attention danger. Car si l’homme s’exprime davantage, Dieu s’exprime moins. Même si l’autorité est voulue de Dieu, la défaillance n’est pas voulue de Dieu. Le pape est toujours appelé le « souverain pasteur », c’est un des titres qu’on lui donne habituellement, mais il n’est pas toujours le « bon pasteur ».
Chesterton disait très justement « nous ne devons pas couronner l’homme exceptionnel qui sait qu’il peut gouverner ; nous devons plutôt couronner cet homme beaucoup plus exceptionnel qui sait qu’il ne le peut pas. »
Eh bien prions pour qu’au prochain conclave, on choisisse cet homme exceptionnel, qui, comme saint Pie X, sait qu’il ne peut pas gouverner, qu’il est trop petit pour une tache qu’il ne peut accomplir qu’en se mettant sous la motion divine. —
La rédaction : M. l’abbé Weil, venu en renfort à la paroisse St-Joseph (Carouge) a donné le sermon reproduit ci-dessous le dimanche du Bon Pasteur (4 mai). Nous avons trouvé son intervention particulièrement d’actualité après notre manifestation Oui à l’enfant qui n’a réuni que peu de catholiques, les manquants s’étant dit peut-être « Je ne sais rien faire, je suis trop petit, donc je ne fais rien ». Précisons aussi qu’en ce début de mai, le conclave était en préparation, ce qui explique le sens de son dernier paragraphe. Sans oublier de le remercier.
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Newsletter N° 257 – 14 mai 2025 | Source : Perspective catholique