Le Christ-Roi : histoire, doctrine et liturgie (3) : La FSSPX et le Christ-Roi à Genève

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Quentin Jaques – Durant la troisième conférence, M. Louis-Charles Roth a rappelé que la FSSPX fête cette année le cinquantième anniversaire de son implantation à Genève, et il est revenu sur l’histoire de la Tradition catholique dans cette ville.

Tout d’abord, il faut rappeler que Genève fut un terrain d’apostolat pour Sainte Clotilde (future épouse de Clovis, roi des Francs) et Sainte Sédeleube, deux sœurs catholiques qui ont participé au développement du catholicisme à Genève à la fin du Ve siècle. Selon la tradition locale :

«Après plus de quatorze siècles, voici qu’il reste encore à Genève, dans le quartier du Bourg de Four, un mur de pierre qui l’a vue passer, princesse adolescente, bientôt reine : Clotilde, fille du Rhône et fleur de notre race […], veillant sur notre ville et protégeant de sa main la flamme d’une cire, comme elle a protégé sa foi romaine et son amour dans la ville hérétique où régnait Gondebaud (le roi des Burgondes qui avait embrassé l’arianisme).» [1]

Malgré la pression sociale et politique, Sainte Clotilde resta fidèle à ses convictions religieuses. Par la pureté de sa foi et sa persévérance dans les épreuves, elle joua un rôle important dans la conversion de son mari Clovis en 496. Cet événement transforma profondément le visage du monde occidental en scellant une alliance durable entre l’Église catholique et la monarchie franque, posant ainsi les bases de la France en tant que royaume chrétien et influençant durablement l’avenir de l’Europe. Cette conversion a contribué à la victoire du catholicisme sur le paganisme et l’arianisme en Occident. À Genève, Sigismond, fils du roi Gondebaud, abjura l’hérésie arienne et se convertit au catholicisme vers 505, sous l’influence de l’abbé Saint Avit de Vienne, avant de devenir roi à la mort de son père. Durant près d’un millénaire, Genève demeura donc imprégnée des lumières de la foi catholique, jusqu’en 1535, date à laquelle les protestants reformés prirent le contrôle de la ville et abolirent le saint sacrifice de la messe.

Les principaux instigateurs de la Réforme à Genève, Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox, s’opposèrent tous fermement à l’Église catholique institutionnelle. Ils adoptèrent la devise suivante pour la ville «Post tenebras lux» ce qui signifie «Après les ténèbres, la lumière». Ironie du sort, après la Réforme, Genève se mit à chasser cette même lumière que l’Église catholique lui avait apportée, ainsi que la grâce qui s’y distribuait par ses sacrements. La cité, jadis catholique, érigea désormais la répression de ses anciens croyants en norme sociale. Le catholicisme y fut interdit, et ceux qui refusaient de se plier aux nouvelles exigences furent sanctionnés ou contraints à l’exil, tandis que la vie spirituelle de la ville se conformait aux règles sévères des réformateurs. Aux yeux des catholiques, ces événements prenaient un relief dramatique, comme le rappelle l’adage latin : «Extra Ecclesiam nulla salus (Hors de l’Église catholique, pas de salut)» [2], soulignant l’importance capitale de l’appartenance à l’Église pour le salut des âmes et la perte spirituelle que représentait pour Genève son éloignement de la foi traditionnelle.

Plusieurs siècles après la Réforme, cette tradition d’intolérance envers le catholicisme réapparut. Le Kulturkampf (guerre culturelle), initié par le chancelier allemand Otto von Bismarck, est un conflit politique et religieux qui opposa, dans les années 1870, plusieurs États européens (en particulier la Suisse et l’Allemagne) à l’Église catholique. Entre 1873 et 1875, dans le cadre du Kulturkampf genevois, le Grand Conseil radical imposa une politique résolument anticatholique, animé par la volonté de laïciser la société et de restreindre le pouvoir de l’Église. Cette politique comprenait notamment la suppression de l’administration catholique officielle, des restrictions sévères à l’égard des congrégations, la mise sous contrôle étatique des paroisses et la confiscation de biens religieux, souvent transférés au clergé « catholique-national ». Les vieux-catholiques (ou « catholiques-nationaux » en Suisse) étaient des catholiques schismatiques qui refusèrent le dogme de l’infaillibilité pontificale défini par Pie IX en 1870, date à laquelle ils rompirent avec Rome, et formèrent une Église indépendante, autonome et plus libérale. Les gouvernements radicaux de Suisse leur apportèrent leur soutien, car ils offraient une alternative non ultramontaine au catholicisme romain. L’ultramontanisme est un courant catholique qui affirme l’autorité prépondérante du pape sur les Églises locales, ainsi que l’obéissance au Vatican et la reconnaissance du pouvoir spirituel pontifical. Le cardinal Gaspard Mermillod, l’une des figures ultramontaines les plus marquantes de Suisse au XIXᵉ siècle, incarna cette fidélité à Rome : son attachement au pape, son refus du « catholicisme national » et son action pastorale malgré les interdictions constituèrent l’une des causes centrales du conflit entre l’État genevois et l’Église catholique. Il devint ainsi un symbole de la résistance catholique face à la laïcisation radicale du gouvernement, ce qui conduisit à sa suspension et à son exil du canton de Genève en 1873.

Un siècle plus tard, après la crise du Concile Vatican II et l’instauration du nouvel Ordo Missae, certains catholiques genevois, attachés à la liturgie traditionnelle, se regroupèrent autour d’anciens curés restés fidèles à la messe de leur ordination, tels que les abbés Laurent Gamacchio et Pierre-Marie Marquis. Face à l’afflux croissant de fidèles, ils sollicitèrent l’aide de Monseigneur Lefebvre résidant au séminaire d’Ecône, qui leur assigna un prêtre et facilita la célébration de messes itinérantes dans différentes salles de la ville à partir de 1975. Un rôle déterminant fut joué par l’abbé Denis Roch, converti au catholicisme et ordonné en 1976 à Ecône. Il contribua à structurer la communauté et à trouver un lieu fixe de culte en 1978, l’Oratoire de Carouge (une ancienne ferronerie), inauguré définitivement en 1980. La communauté réussit progressivement à obtenir des permissions historiques, comme la reprise des processions du Saint-Sacrement dans les rues de Carouge en 1993, puis celles de Genève en 1994, marquant la première présence publique catholique traditionnelle dans la cité depuis la Réforme. En 2025, la messe traditionnelle a donc célébré ses cinquantes ans d’existence à Genève, témoignant de la persistance et de la résilience des fidèles catholiques face aux bouleversements liturgiques et culturels de notre époque. La fidélité à la messe traditionnelle a porté ses fruits, produisant à la fois des vocations (8 prêtres, 2 moines et 4 religieuses) mais aussi des initiatives pastorales. À Genève, la paroisse se mobilise pour promouvoir la prière pour la vie, tandis que le MJCF offre une formation solide aux fidèles désireux de s’engager dans l’apostolat.

Bibliographie :
[1] Bondallaz, Marie-Alice, Sainte Clotilde, dans Les Échos de Saint-Maurice, tome 41, 1943, pp. 2-17, Abbaye de Saint-Maurice, 2012.
[2] Saint Cyprien de Carthage, De unitate Ecclesiae, Carthage, 251.

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