Le Christ-Roi : histoire, doctrine et liturgie (4) : Le Christ-Roi dans la liturgie

0
9

Quentin Jaques – Durant la quatrième conférence, M. l’abbé Cyprien du Crest a rappelé que le règne social du Christ-Roi s’exprime fondamentalement à travers la liturgie. En effet, comme l’indique l’adage latin «lex orandi, lex credendi» [1], notre manière de prier indique notre manière de croire. Ainsi, en changeant le rite liturgique, la foi des fidèles est modifiée. Dans son ouvrage «Ils l’ont découronné», Mgr Marcel Lefebvre, formule à ce propos une critique très nette de la « messe moderne » (le Novus Ordo de Paul VI). Pour Mgr Lefebvre, c’est l’expression d’une « idéologie de l’homme moderne » [2], c’est à dire que la mentalité démocratique de l’homme moderne, centrée sur le pouvoir des masses, s’infiltre désormais jusque dans les rites sacrés, ce qui affaiblit l’autorité divine et sacerdotale. Selon lui, dans cette messe, l’autorité liturgique semble venir davantage de l’assemblée que du prêtre ; il n’y a donc plus de hiérarchie claire séparant le clergé de l’assemblée. Étant très attaché au concept du Règne du Christ-Roi, Mgr Lefebvre voit dans la modernisation de la Messe une perte de la fonction sociale du Christ, relégué à un rôle secondaire. «Ils l’ont découronné» est une métaphore signifiant que le Christ perd sa royauté dans le rite moderniste.

Cette observation sur la hiérarchie liturgique conduit naturellement à réfléchir sur le principe moral qui sous-tend la société et l’ordre du monde. La vertu de justice, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû, offre en effet un cadre hiérarchisé et ordonné de relations : à Dieu revient le culte et le sacrifice parfait, aux autorités civiles le respect et l’obéissance, tandis que la famille et la patrie reçoivent la reconnaissance et la gratitude. Cette structure illustre que l’ordre social, fondé sur la justice, repose sur une hiérarchie claire de responsabilités et de devoirs, semblable à celle qui devrait régir la vie liturgique et la foi des fidèles. Il y a donc une réelle distinction entre les ordres : le culte rendu à Dieu est absolu et unique, tandis que le respect dû aux hommes est relatif, fondé sur leur excellence et la dépendance que nous avons envers eux. Mais le sacrifice total et parfait n’appartient qu’à Dieu, car il symbolise l’oblation due à l’autorité suprême et la reconnaissance de sa primauté. La vertu de justice est donc un devoir hiérarchisé et ordonné, qui place Dieu au sommet, suivi des autorités civiles, puis la famille et la patrie, et qui s’exprime par la piété, le respect, l’obéissance et l’honneur.

À partir de ce principe de justice hiérarchisée, on peut mieux comprendre le rôle central de la liturgie. Celle-ci ne se réduit pas à un simple instrument utilitaire, elle répond avant tout à un besoin fondamental de l’âme, en offrant un terrain spirituel stable et transcendent. Par son caractère solennel et collectif, la liturgie constitue une école de fraternité et prône l’anti-individualisme. Elle invite l’homme contemporain à se confronter à Dieu et à renoncer à sa propre individualité. Elle favorise ainsi un esprit monastique chrétien, fondé sur la contemplation, le silence et le recueillement. L’expérience monastique montre que la liturgie ne se limite pas à l’édification spirituelle individuelle, mais structure également la vie communautaire et inspire des transformations sociales concrètes.

L’histoire de l’Europe chrétienne illustre parfaitement ce rôle de la liturgie et de la vie contemplative. On peut citer les monastères bénédictins, qui ont joué un rôle central dans la christianisation du continent. En cultivant la terre, en enseignant la lecture des Saintes Écritures et en chantant les psaumes, ils ont favorisé ce que l’on a appelé le «miracle de la civilisation bénédictine». La Sainte Liturgie constituait le moyen privilégié par lequel le moine se présentait devant Dieu. L’ordre de Saint Benoît a fondé plus de 1800 monastères, contribuant également au développement du droit civil en Europe et démontrant ainsi l’articulation entre vie contemplative et construction sociale.

La civilisation chrétienne se fonde sur la supériorité de la contemplation des réalités divines par rapport à l’action purement mondaine. Or, ces formes de vie intellectuelle et spirituelle sont de moins en moins comprises dans la société moderne. Le modernisme, en se tournant toujours davantage vers le monde et en s’éloignant de Dieu, tend à négliger la valeur de la vie contemplative. La liturgie permet au fidèle de participer au culte céleste rendu par les saints et les anges, reflétant ainsi l’ordre social dans le cadre de la Cour céleste. Dans cette perspective, l’honneur que nous rendons aux saints n’entame en rien celui dû à Dieu. L’architecture des basiliques illustre cette inclusivité : chaque fidèle, baptisé, y occupe sa place, même si tous ne sont pas égaux selon leur rôle ou leur fonction. Dans un monde contemporain marqué par l’absence de Dieu, l’homme est comparé à un aveugle tâtonnant dans l’obscurité. La liturgie, et plus particulièrement la Sainte Messe, lui permet de retrouver la transcendance et de se remettre à sa juste place devant Dieu. Il ne perd pas son honneur en s’agenouillant devant le Roi des rois. Au contraire, c’est là qu’il atteint la grandeur véritable, en s’inclinant devant le maître des cieux.
Ainsi, la liturgie ne se limite pas à un simple rituel : elle exprime le Règne social du Christ-Roi, restaure la hiérarchie divine dans la vie du fidèle et rappelle l’ordre moral qui fonde la société. Elle place Dieu au sommet, puis les autorités civiles, la famille et la patrie, tout en formant l’âme à la fraternité, à la contemplation et à l’obéissance. Comme le soulignait saint Benoît : «Dans toutes tes œuvres, souviens-toi de ton Créateur.» [3]. Cette injonction nous rappelle que toute vie humaine et sociale doit s’ordonner selon la primauté de Dieu, et que la Sainte Messe demeure le moyen privilégié par lequel l’homme, en se confrontant au divin, retrouve sa juste place dans l’ordre de la création.

Pour conclure la série de conférences célébrant le centenaire de Quas Primas, il est important de rappeler la centralité de la royauté universelle de Jésus-Christ dans la vie des hommes et des sociétés. Le combat contre le laïcisme et le relativisme de l’époque moderne est aujourd’hui plus que jamais d’actualité, et nous devons continuer à affirmer la primauté du Christ dans nos vies et dans le monde
Le fait que Jésus-Christ soit Roi de l’univers est un dogme révélé. De ce dogme découle la royauté sociale du Christ, qui ne se limite pas à une théorie abstraite mais s’exprime concrètement dans la vie quotidienne et dans l’ordre social à travers le respect de la morale naturelle, l’élévation du travail humain, l’éducation religieuse, la transmission des valeurs dans la vie familiale, la charité envers les autres, ainsi que l’engagement des laïcs dans les sphères politique et culturelle.

Les siècles d’histoire chrétienne, de Sainte Clotilde à l’action résolue de la FSSPX à Genève, témoignent de la persistance de la foi dans les épreuves et de la nécessité de défendre la liturgie et les sacrements comme fondements de la vie spirituelle et sociale. La liturgie, et en particulier la Sainte Messe traditionnelle, constitue le cœur vivant du règne du Christ. Elle forme l’âme, restaure l’ordre moral, rappelle la hiérarchie divine et éclaire toutes les sphères de l’existence humaine. Dans un monde en quête de repères, chaque fidèle est appelé à prendre part à ce combat en honorant Dieu par la prière, en défendant la vérité de la foi, en promouvant la justice et en contribuant à l’édification d’une société éclairée par l’Évangile. Ainsi, la royauté du Christ n’est pas seulement un idéal du passé. Elle est un appel pressant à l’action, une responsabilité qui nous engage ici et maintenant.

Bibliographie :
[1] Prosper d’Aquitaine, De gratia Dei et libero arbitrio, ch. VIII, Marseille, vers 432.
[2] Marcel Lefebvre, Ordinations sacerdotales à Écône, Ecône, 29 juin 1976.
[3] Saint Benoît, Règle de saint Benoît, ch. IV, v. 20, Mont-Cassin, vers 530.

Article précédentL’unité de la foi autour du Credo
Eric Bertinat
À la suite de la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques, Éric Bertinat cofonde, avec ses amis les abbés La Praz et Koller, la revue Controverses (1988-1995). En 2010, il fonde l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame également une carrière politique dès 1984. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 avec l’UDC et occupe plusieurs postes clés jusqu’en 2013. Il est aussi membre du Conseil municipal de Genève à partir de 2011, où il exerce diverses présidences de commissions jusqu’en 2021. Le 5 juin 2018, il est élu président de ce Conseil pour la période 2018-2019.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici