Eric Bertinat – Un mois seulement s’est écoulé depuis que Donald Trump et Ursula von der Leyen annonçaient à grands renforts de superlatifs « l’accord le plus important de tous les temps« , censé éviter une guerre commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne. Une semaine plus tard, une déclaration conjointe venait formaliser ce compromis déjà défavorable à l’Europe. Et il y a seulement quelques jours, la présidente de la Commission européenne défendait encore son choix de « stabilité et de prévisibilité ».
Mais cette stabilité s’est évaporée en un instant. Dans un post rageur publié sur son réseau Truth Social, Donald Trump a menacé d’imposer de nouveaux droits de douane aux pays qui « attaquent » les géants technologiques américains. Selon lui, les taxes numériques et la réglementation européenne — notamment le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) — seraient « discriminatoires » et profiteraient aux entreprises chinoises.
Ce que Trump vise : le DMA et le DSA
• Le DMA impose des règles strictes aux géants du numérique, les « gatekeepers » (Google, Apple, Meta, Amazon…), pour limiter leurs abus et rétablir la concurrence.
• Le DSA responsabilise les plateformes en ligne, les oblige à retirer les contenus illégaux, à rendre leurs algorithmes plus transparents et à mieux protéger les utilisateurs.
Ces deux textes incarnent la tentative européenne de reprendre la main dans l’économie numérique. Pour Donald Trump, ils sont une menace directe aux intérêts américains.
Ursula Von der Leyen choisit la soumission
Face à ce chantage, Ursula von der Leyen a choisi l’évitement. Sa porte-parole a refusé de commenter, se contentant de rappeler que « l’UE régule son marché de façon souveraine ». Mais dans les faits, aucune riposte n’est envisagée. La Commission continue même à préparer la mise en œuvre du fameux accord de Turnberry (1), comme si de rien n’était, alors qu’il est déjà caduc.
L’outil anti coercition, qui permettrait de riposter aux pressions américaines, reste dans les tiroirs. Les formations politiques Renew, les Verts et certains libéraux dénoncent une capitulation, mais Ursula von der Leyen reste dans sa ligne de conciliation permanente. Là où le Canada a tenu tête à Washington et obtenu de meilleures conditions, l’Europe, elle, se soumet.
Le « plan de sauvetage » imaginaire de Mario Draghi
C’est dans ce contexte qu’intervient Mario Draghi. Vendredi 22 août, l’ancien président de la BCE et ex Premier ministre italien était invité à prononcer un discours devant un auditoire catholique à Rimini. Les médias mainstream s’en sont emparés comme s’il s’agissait d’un plan de sauvetage pour l’Union européenne. Mais à l’arrivée, Mario Draghi n’a rien dit.
Le constat d’impuissance européenne
On retient de son discours un passage souvent cité :
« Cette année restera dans les mémoires comme celle où l’illusion s’est dissipée.
Nous avons dû nous résigner aux droits de douane imposés par les États-Unis.
Nous avons été poussés à accroître nos dépenses militaires selon des modalités qui ne reflètent pas l’intérêt de l’Europe.
Nous avons financé massivement la guerre en Ukraine tout en étant marginalisés dans les négociations de paix.
La Chine nous traite en partenaire mineur et accroît notre dépendance aux terres rares.
Pendant que Gaza s’embrasait, l’Europe est restée spectatrice. »
Autrement dit : l’Union européenne a perdu toute illusion selon laquelle sa puissance économique lui garantirait un rôle géopolitique.
La parade : toujours plus d’Europe ?
Que propose Mario Draghi face à ce constat ? Rien d’autre que « plus d’Union européenne » : suppression des barrières internes, approfondissement du marché unique, mutualisation des dettes, investissements communs dans la défense, l’énergie et les technologies.
En clair, Mario Draghi appelle à transformer l’impuissance européenne en… impuissance à plus grande échelle.
Certains y ont vu l’ébauche d’un super-État européen. C’est faux. Il ne propose aucune souveraineté nouvelle, aucune volonté politique. Son unique obsession est de ne pas revenir aux nations. Tout ce qui ressemble à une stratégie concrète se réduit à des chiffres de productivité ou à des appels abstraits à « l’échelle européenne ».
L’Europe spectatrice du monde
Mario Draghi souligne pourtant la vérité : Chine, Russie, Inde, États-Unis avancent en s’appuyant sur une forte cohésion nationale. La taille n’est pas un obstacle, comme le montre la Corée du Sud. Mais ce qu’il refuse d’admettre, c’est que l’Europe, privée de sentiment national commun, est condamnée à rester spectatrice.
Deux faces d’une même impuissance
Le discours vide de Draghi et la soumission de von der Leyen illustrent le même problème : l’Europe n’agit plus, elle subit.
Ursula von der Leyen se couche devant Trump au nom d’une « stabilité » qui disparaît à la première menace.
Mario Draghi dresse un constat lucide de l’impuissance européenne… pour aussitôt se réfugier dans les incantations du « toujours plus d’Europe ».
L’un et l’autre confirment que l’Union européenne n’a plus de stratégie, ni économique, ni géopolitique. Elle ne fait qu’accompagner les rapports de force imposés de l’extérieur, sans jamais donner l’impulsion.
De son côté, la Suisse, encore très ébranlée par les droits de douane imposés par Donald Trump, aurait promis de renoncer à une taxe numérique en échange d’un meilleur accord douanier, malgré des débats encore en cours au Parlement. Mais ces mêmes gouvernants n’en rêvent pas moins de se soumettre à l’UE de von der Leyen et de Draghi. Qui donnera enfin le coup de pied dans tout cet édifice vermoulu ?
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(1) Compromis politique conclu entre Donald Trump et Ursula von der Leyen lors d’une rencontre en Écosse, dans le golf de Trump à Turnberry