Eric Bertinat – Dimanche à Phoenix, devant près de 100’000 personnes venues honorer la mémoire de Charlie Kirk, son épouse, Erika, a prononcé un message de pardon à l’adresse de l’assassin de son mari. «C’était un moment rare et bouleversant», témoigne Laure Mandeville dans Le Figaro du 23 septembre. «Car ce pardon est sorti difficilement de sa gorge, dans la douleur, avec une sorte de grimace qui, l’espace d’un instant, a déformé son beau visage, tant il lui coûtait.»
À ce pardon généreux et douloureux, à l’image du Christ crucifié entouré des deux larrons, répondait le discours de Donald Trump, qui lançait un appel à la vengeance destiné à ses adversaires politiques.
Ces deux paroles révèlent tout le malheur de notre monde. Dans le christianisme, celui qui refuse de pardonner à son prochain ne peut espérer que Dieu lui pardonne ; pire encore, il se condamne lui-même en priant : «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés», ainsi que nous le rappelle Le Catéchisme de saint Pie X. Pardonner, c’est refuser d’entrer dans la spirale de la vengeance et de la haine, cette même haine qui ensanglante sous nos yeux attristés juifs et musulmans en Palestine. Ni loi du Talion, ni soumission : Mme Kirk, dans la souffrance, a laissé parler sa foi. Donald Trump, lui, n’a exprimé que sa colère et son recours à la justice des hommes. Il y a fort à parier que sa diatribe pèsera sur sa conscience.
Car pour qu’il y ait pardon, il faut cette double souffrance de celui qui pardonne : la douleur du mal subi et la douleur d’un pardon qui n’est jamais spontané, mais mûri dans un cœur-à-cœur avec le Créateur. Ce chemin peut être long, parfois inaccessible. Le lendemain de cet hommage national, sur le plateau de Christine Kelly (Face à l’info, CNews), Blandine de Karlan, mère de Philippine – cette jeune fille violée, assassinée puis enterrée dans le bois de Boulogne le 20 septembre 2024 – a expliqué ne rien pardonner à l’assassin de son enfant.
Qui pourrait ne pas comprendre la sourde colère de ces parents ? Comme l’écrivait Henri Pourrat dans La Bienheureuse Passion : « Il faut comprendre – quelle révolution ! – que ce monde social n’est pas le bon : le monde invisible de l’esprit, voilà le monde réel. Les choses du dehors ne sont rien, l’homme intérieur est tout. Ce larron, ils l’ont justement condamné, sinon, aucune sécurité dans la cité : ne pas mettre le malfaisant hors d’état de nuire, c’est nuire aux faibles, aux enfants, aux femmes. » En ce sens, Donald Trump et Mme de Karlan ont raison dans leur vindicte contre les coupables.
Mais ajoute Pourrat : « Qui peut savoir combien il fut coupable ? Quelle enfance l’a amené là, quelles rencontres, quelles tentations ? Dans le crime, comment a-t-il consenti ? Le monde véritable, véritablement, c’est le monde des esprits et des sentiments. Et ce monde, invisible aux hommes, Dieu seul le voit. Dieu seul est donc le vrai juge. » C’est ce que Mme Kirk a compris, malgré son indicible douleur, en pardonnant.
Donald Trump, quant à lui, a conclu son discours par ces mots : «Peut-être Erika arrivera-t-elle à me convaincre.» Je ne doute pas qu’elle y parvienne. Elle pourrait lui rappeler cette histoire que rapporte Mgr Fulton Sheen dans La Vie du Christ. Une femme, désespérée, alla trouver le curé d’Ars : «Depuis des années, mon mari n’a pas assisté à la Messe ni reçu les sacrements. Il a été infidèle, méchant, injuste. Il vient de tomber du haut d’un pont et s’est noyé : il est mort deux fois, dans son corps et dans son âme.» Le saint prêtre lui répondit : «Madame, il y a une petite distance entre le pont et l’eau : cette distance vous interdit de juger.»
Mgr Sheen en tire cette conclusion lumineuse : «Ce fut la distance entre les deux croix qui sauva le larron pénitent. (…) Et la réponse du Rédempteur à sa requête prouve qu’à l’égard des miséricordieux, l’Amour est aveugle. Car si nous aimons Dieu et notre prochain, alors même que ce dernier serait notre ennemi, l’Amour divin se fera aveugle, comme il arriva pour le bon larron. Le Christ ne pourra plus voir nos fautes, et cet aveuglement sera pour nous l’aurore de la vision de l’Amour».