Misère sexuelle et affective chez certains hommes

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Mirco Canoci – Les noms d’Elliot Rodger, Alek Minassian, Marc Lépine ou encore Scott Paul Beierle évoquent des souvenirs tragiques. Tous partagent un même point commun : une haine profonde des femmes, les ayant conduits à commettre l’irréparable à travers des tueries de masse. Ces hommes se réclamaient d’une communauté appelée Incel ; contraction de involuntary celibate, «célibataire involontaire».

Lorsque la souffrance devient violence
Les incels se définissent comme des hommes souffrant d’une misère sexuelle et affective, convaincus d’être injustement rejetés par les femmes. Leur vision repose sur une hiérarchie particulière et bien définie entre les hommes : les «alpha males», dominants, auraient accès à la majorité des femmes, tandis que les «beta males» seraient condamnés au célibat. Dans leur doctrine dite black pill, les relations hommes-femmes seraient déterminées presque exclusivement par l’apparence physique et le statut social, chaque individu étant noté sur une échelle de 1 à 10.
Ces idéologies, souvent pathologiques, révèlent pourtant un malaise plus profond. Si les cas extrêmes font la une des journaux, ils masquent une réalité plus silencieuse : de nombreux hommes souffrent aujourd’hui d’un célibat non désiré, d’un sentiment d’isolement et d’un manque de repères affectifs. Ce vide relationnel est aussi le signe d’une crise plus large : celle du sens de la relation et de la vocation à aimer, inscrite au cœur de la nature humaine.

Un malaise documenté
En 2016, la journaliste américaine Cassie Jaye a réalisé le documentaire The Red Pill. Le film, vivement critiqué avant même sa sortie, donne la parole à des hommes évoquant leurs souffrances et les inégalités qu’ils perçoivent.
Au fil du tournage, la réalisatrice qui était initialement féministe confie voir ses convictions ébranlées face aux témoignages qu’elle recueille : pères privés de la garde de leurs enfants, hommes victimes de violences conjugales, travailleurs exposés à des conditions dangereuses. Le documentaire a suscité un vif débat, certains cinémas allant jusqu’à en annuler les projections. Il a pourtant trouvé son public grâce à Internet.

Quelques statistiques mises en avant dans le film illustrent l’ampleur du problème :
• 93 % des décès au travail concernent des hommes.
• Quatre suicides sur cinq sont commis par des hommes.
• À crime égal, les hommes écopent de 63 % de peines de prison supplémentaires par rapport aux femmes.
• Aux États-Unis, en 2014, 5,4 millions d’hommes et 4,7 millions de femmes ont subi une violence physique de la part d’un partenaire intime.
• Un homme sur quatre et une femme sur trois connaîtront une violence physique conjugale au cours de leur vie.
• La majorité des prisonniers et des sans-abris sont des hommes.
• La quasi-totalité des soldats morts au combat sont des hommes.

Ces chiffres ne doivent pas nourrir une guerre des sexes, mais inviter à reconnaître une souffrance réelle, souvent passée sous silence. Derrière les statistiques se cache une humanité blessée, qui aspire à la reconnaissance, à la relation et à l’amour. Autrement dit, à ce pour quoi elle a été créée.

Un monde de plus en plus solitaire
Depuis la seconde moitié du XXᵉ siècle, les relations entre hommes et femmes ont profondément changé. Le nombre de célibataires ne cesse d’augmenter, atteignant près de deux milliards de personnes dans le monde.
En Chine, environ 297 millions de personnes, soit 20,7 % de la population, sont célibataires. À l’échelle mondiale, 28 % des ménages sont composés d’une seule personne. En Suisse, approximativement 29 % des hommes et 30 % des femmes âgés de 18 à 80 ans sont sans partenaire, et 17 % de la population vivent seules.
Ce phénomène a bien sûr été exploité commercialement : applications de rencontre, agences matrimoniales, événements pour célibataires, voyages ou activités dédiées. L’amour et la solitude sont devenus un véritable marché. Mais l’amour véritable ne se consomme pas : il se donne. Dans une société où tout s’achète, la gratuité du don de soi devient subversive et pourtant, c’est là que réside la promesse d’un bonheur durable.

L’évolution des critères de séduction
Autrefois, les qualités recherchées chez un partenaire étaient relativement sensées et pragmatiques : fidélité, sérieux, capacité à subvenir aux besoins du foyer, et bonne présentation. Aujourd’hui, les critères paraissent démesurés, voire délirants, notamment sur les réseaux sociaux, où certaines vidéos virales montrent des femmes de tout âge énonçant des exigences irréalistes telles que : mesurer plus d’1m90, gagner plus de 10’000 € par mois, être blond aux yeux bleus, sportif, intelligent, cultivé, etc.
Or, les données statistiques montrent que ces critères ne correspondent qu’à environ 1% de la population masculine. Ce décalage entre attentes et réalité nourrit un cercle vicieux de frustration et d’isolement, touchant autant les hommes que les femmes. Derrière ces exigences superficielles, c’est la perte du sens de la beauté intérieure et de la vocation à aimer l’autre dans sa vérité qui transparaît.

Conclusion
La misère sexuelle et affective masculine n’est ni une invention d’Internet ni un simple cri de colère. Elle révèle le vide spirituel d’une société en mutation, où les repères traditionnels des relations humaines se dissolvent dans la modernité numérique et l’individualisme. L’homme contemporain, coupé de la transcendance, cherche à combler par le désir ce que seul l’amour véritable, le don de soi et l’accueil de l’autre peuvent satisfaire.
Reconnaître cette souffrance, sans la justifier ni la transformer en haine, est un premier pas essentiel pour rétablir un dialogue entre les sexes. Un dialogue fondé non sur la compétition, mais sur la compréhension mutuelle, le respect et la redécouverte du sens chrétien de la relation : aimer comme le Christ a aimé, c’est-à-dire jusqu’au don total de soi.

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Mirco Canoci
Mirco Canoci

Mirco Canoci s’est forgé un regard lucide et nuancé à la croisée de l’expérience de terrain et de la réflexion intellectuelle. Titulaire d’un CFC de bibliothécaire, il a travaillé dans des domaines variés allant de la sécurité à la vente, en passant par les bibliothèques publiques et universitaires, ainsi que l’archivage privé. Ce parcours diversifié nourrit une approche ancrée dans le réel, attentive aux enjeux sociaux et culturels de notre époque. Collaborateur de Perspective catholique, il a auparavant écrit pour un parti politique et une fondation. Actif durant plusieurs années dans différentes associations bénévoles, dont la Croix-Rouge, il reste attentif aux réalités concrètes de la vie sociale. Attaché à certaines valeurs morales et sociétales il cultive une pensée indépendante, soucieuse de justice, de vérité et de cohérence humaine. Polyglotte et passionné par le dessin, la lecture, le cinéma, le sport et les voyages, il voit dans ces activités autant de moyens d’élever l’âme, d’exercer le regard et de mieux comprendre la condition humaine. Fidèle à l’esprit des valeurs chrétiennes et enraciné dans celles-ci, il croit que la profondeur d’une pensée naît à la fois de l’expérience, de la contemplation et de la réflexion personnelle.

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