Jean-Baptiste Bless – Le Geneva Center for Neutrality, récemment créé à Genève par l’ancien ambassadeur Jean-Daniel Ruch et son président adjoint Nicolas Ramseier, organisait ce 9 avril un débat sur la neutralité et la place financière suisse au sein de la prestigieuse Société de lecture (voir notre l’interview de Nicolas Ramseier dans notre numéro 254 – 2 avril 2025) . Etaient invités : Evrard Bordier, associé chez Bordier & Cie, Raoul Würgler, Secrétaire général de l’Association des banques étrangères en Suisse, ainsi que deux banquiers anglo-saxons : Marni McManus, CEO de Citibank Suisse et Peter Nathanial, conseiller bancaire indépendant. La discussion fut modérée par Frédéric Lelièvre, rédacteur en chef de l’Agefi.

Les échanges ont alterné entre principes et pratique, actualité et permanences. L’importance de la neutralité pour la place bancaire suisse, «pierre angulaire de ce que nous vendons», a été soulignée par le banquier genevois ; cependant, la clientèle étrangère éprouverait une certaine crainte depuis la reprise des sanctions contre la Russie. De manière générale, la Suisse a réussi à importer des pratiques et à offrir un cadre propice pour leur développement. La neutralité est essentielle pour attirer tout le monde, mais peut-être s’agit-il de préciser sa définition. En tout cas, les sanctions appliquées aux individus en raison de la nationalité sont un réel problème, car elles ne reposent pas sur une faute personnelle, comme l’exige notre droit pénal.

Pour les intervenants étrangers, ce sont surtout la stabilité et l’autonomie du franc suisse, du système juridique et la qualité du service qui attirent les clients. Les règles sur les données personnelles décourageraient par contre certains investissements : madame McManus réclame la possibilité de «partager plus». La banquière américaine se demande aussi comment la neutralité suisse se positionnera face à la volonté d’une partie du monde de casser la colonne vertébrale du dollar, et si elle se positionnera «avec les démocraties» contre les «régimes autoritaires». Avec la guerre commerciale qui s’annonce, il sera difficile de ne pas «choisir son camp».

Il y a unanimité pour avertir du problème UBS : trop peu régulée, la banque prend trop de risques, et en fait courir à la Suisse, qui dépend d’une seule institution internationale. Peter Nathanial souligne que l’UBS ne conseillerait pas à ses propres clients une telle concentration de risques… Déménager le siège ne représente pas la solution, il faudrait bien plus scinder l’ensemble en différentes unités d’affaires. La FINMA, tout comme la Banque nationale et plus encore le Conseil fédéral, sont dépassés techniquement et humainement pour effectuer un suivi et un contrôle adéquat. En cas de problème, les banques étrangères viendront prendre la place.
Quel est l’impact des droits de douane sur la Suisse ? D’une part, ils ne couvrent pas les services financiers, et d’autre part les sociétés suisses seront moins impactées que d’autres en raison de leur bas taux d’endettement. Il y a bien une rationalité derrière les taxes, puisque les USA sont en déficit commercial depuis 50 ans, mais c’est la brutalité de l’application qui pose problème. Aux dernières nouvelles, elles ont certes été suspendues, mais l’incertitude créée fait partie du problème.

La votation de 2026 sur la neutralité pourrait retourner la situation en imposant un cadre strict à la politique étrangère suisse, ainsi qu’à sa politique d’affaires. De toute manière, la Confédération doit à présent devenir proactive. Si la Suisse a souvent l’avantage de pouvoir passer entre les gouttes en raison de sa taille, elle doit aujourd’hui, selon Raoul Würgler, s’interroger sur son identité, sur ses origines, et les Suisses doivent se demander quelle neutralité ils souhaitent incarner à l’avenir. Le débat ne fait que commencer. —

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Newsletter N° 255 – 16 avril 2025 | Source : Perspective catholique