Pèlerinage de Chartres : Messe tridentine, rite ancien, ferveur nouvelle

Éric Bertinat – Le week-end de la Pentecôte, quelque 25’000 pèlerins ont parcouru les 100 kilomètres séparant Paris de Chartres. Ce pèlerinage, remis en lumière par Charles Péguy en 1912 — « J’ai prié comme jamais je n’avais prié » — s’inscrit dans une tradition ancienne. L’écrivain y marcha seul, puis accompagné, vers Notre-Dame de Chartres. Huysmans, Psichari, René Schwob et bien d’autres convertis célèbres ont emprunté ce même chemin.

La renaissance d’un pèlerinage
C’est en 1982, lors de la 3e Université d’été du Centre Henri et André Charlier au Mesnil-Saint-Loup(1), que germe l’idée de raviver ce pèlerinage tombé en désuétude. Bernard Antony, Rémy Fontaine et Max Champoiseau décident de relancer cette route historique, mais avec un style propre. En 1983, la première édition voit le jour : trois jours de marche, des chapitres organisés, une logistique solide, une atmosphère de chrétienté vivante, et surtout, la messe tridentine comme colonne vertébrale spirituelle. Parti de Notre-Dame de Paris, le millier de pèlerins se retrouve à 3’000 sous le portail nord de la cathédrale de Chartres pour la grand-messe.

S.Exc. Mgr Anasthasius Schneider a célébré la sainte messe le dimanche de Pâques sous les caméras de CNews.


Le succès est immédiat et croissant. En 1985, les pèlerins accèdent exceptionnellement à la cathédrale pour entendre Dom Gérard, qui évoque «notre Czestochowa national» et lance alors un vibrant appel : «Demain, la Chrétienté !» Le cardinal Gagnon, alors préfet de la Congrégation pour la famille, envoie un message de soutien : «que ce pèlerinage, composé essentiellement de jeunes, soit le symbole de la chrétienté en France.»Les tensions ecclésiales
L’année suivante, après une homélie jugée trop marquée par Dom Gérard, l’évêque du lieu exige de nommer lui-même le célébrant et le prédicateur. Le Centre Charlier refuse, et la messe retrouve le parvis de la cathédrale. Le nombre de pèlerins ne cesse pourtant d’augmenter. En 1988, le parvis et ses abords sont nécessaires pour accueillir les dizaines de milliers de fidèles — la messe étant toujours interdite à l’intérieur.
En 1989, après les sacres réalisés par Mgr Lefebvre et la publication du motu proprio Ecclesia Dei par Jean-Paul II, le pèlerinage se scinde. Renaissance Catholique organise un parcours incluant la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX). Peu après, cette dernière mènera son propre pèlerinage, en sens inverse (de Chartres à Paris), qui se termine par une messe au Sacré-Cœur de Montmartre, rassemblant cette année plus de 5’000 fidèles.
En 1991, le Centre Charlier passe le relais à l’association Notre-Dame de Chrétienté. Celle-ci regroupe les instituts religieux issus ou proches de Mgr Lefebvre, notamment les «communautés Ecclesia Dei», qui ont choisi de rester dans l’Église en conservant la messe tridentine. Ce positionnement, à la fois traditionaliste et en communion avec Rome, suscite bien des réticences de la part des évêques français, inquiets du dynamisme de ces centres spirituels.

Une jeunesse attirée par la Tradition
Le succès du rite tridentin dépasse les clivages. De plus en plus de jeunes sont attirés par sa beauté : prêtres en soutane, encens, chant grégorien, autel tourné vers Dieu, confessionnaux, processions. Et au-delà des formes, ils redécouvrent un enseignement bimillénaire, l’appel à la sainteté, la cohérence d’une vie chrétienne enracinée dans la tradition.
Le cri de Dom Gérard — «Demain la Chrétienté !» — continue de résonner. Cette année, 19’000 pèlerins se sont agenouillés pour la messe célébrée dimanche par Mgr Athanasius Schneider, bien connu des fidèles de Perspective catholique. La messe, de toute beauté, fut retransmise en direct par Cnews (il convient de remercier vivement cette chaîne d’infos en continu tant décriée !), ses images puissantes touchant sans doute bien au-delà du cercle des pratiquants. (cliquez ici!)
Dans les jours précédents, des pressions ont été exercées pour qu’au moins une messe moderne (rite de Paul VI) soit célébrée durant le pèlerinage. Les organisateurs ont tenu bon. Une nouvelle tactique semble émerger : plutôt que de contester frontalement le rite ancien, les tenants du modernisme réclament désormais la cohabitation des deux formes comme preuve de communion avec Rome.
S.Ex. Mgr Schneider a répondu dans son sermon à cette tentative de relativisation, en réaffirmant la force et la profondeur du rite traditionnel :

«Le rite traditionnel de la Sainte Messe nous offre une atmosphère spirituelle propice à l’ardeur du cœur, tout en restant sobre et ordonnée, guidée par la raison éclairée par la foi, la beauté et la dignité du rite. C’est pourquoi il attire les jeunes. C’est le rite aimé et chéri d’innombrables générations catholiques. Il reste toujours nouveau, toujours actuel, jamais dépassé.»

Une Pentecôte vivante
Deux pèlerinages, 25 000 fidèles, une messe : celle de toujours. Une Pentecôte qui continue de se renouveler, portée par la ferveur de ceux qui refusent que s’éteigne l’âme de la chrétienté.
On peut légitimement se demander si, en réalité, ce qu’on reproche le plus au pèlerinage de Chrétienté – ainsi qu’à son pendant, le pèlerinage de Tradition de Chartres à Paris – ce n’est pas simplement d’incarner, par sa jeunesse, son dynamisme et son rayonnement international, un cinglant rappel de l’échec des pastorales post-conciliaires, censées renouveler l’Église mais qui, au contraire, l’ont conduite à la ruine.


(1) Le village du père Emmanuel et d’Henri Charlier, berceau de Notre-Dame de la Sainte Espérance.

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Newsletter N° 260 – 13 juin 2025 | Source : Perspective catholique

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