Lena Rey – Les éléments de cet article sont controversés, comme tout ce qui pourrait risquer d’entraver ce commerce lucratif. Le visionnage de films X ne provoque pas seulement une dépendance, il peut aussi brouiller les repères les plus intimes : orientation, identité, désir. Derrière l’excitation artificielle, c’est la confusion qui s’installe.
Le titre de cet article est volontairement provocateur et pourrait presque évoquer la définition de l’abrosexualité : une étiquette de plus, inventée pour désigner ceux dont l’attirance fluctue au fil du temps, parfois même au cours de la journée : bi à midi, homo à l’apéro. Comme souvent avec le wokisme, il faut tout ranger dans des cases, devenues aussi nombreuses que les catégories sur un site porno – le sujet de cet article.
Dans mon livre Déwox, j’ai consacré un chapitre entier à ce que je nomme « pornocène », cette ère où l’humanité consomme plus de vidéos X que de calories. Et parce que derrière les grands discours sur la dépendance, l’impuissance et l’anxiété, il y a une mécanique plus sournoise : le porno brouille le désir, au point que certains ne savent plus ce qu’ils aiment vraiment.
Quand l’excitation trompe le désir
On connaît tous quelqu’un qui, en silence, après quelques heures de navigation nocturne, finit par cliquer sur des catégories auxquelles il n’aurait jamais pensé, un homme hétéro qui se découvre excité par une scène gay… Le lendemain pourtant, il reprend son café et se dit : « Mais qu’est-ce qui m’a pris ? » C’est là que le piège commence : la confusion entre ce que le corps ressent face à un stimulus et ce qu’on désire dans la vie réelle.
Soyons clairs : les jeunes qui se posent légitimement des questions sur leur sexualité, n’attendent pas de regarder du porno pour savoir qu’ils sont gays. Si en toute honnêteté, un homme qui sait ne pas avoir refoulé ses vraies pulsions pour vivre dans une hétérosexualité de déni et de frustration, ressent ses premiers titillements à 20 ans en regardant une scène entre hommes, cela ne relève pas de l’orientation mais de la consommation. Et pourtant j’en connais qui sont passés par là.
Des chercheurs (Peter & Valkenburg) ont montré que l’exposition répétée à des contenus sexuels en ligne accroît l’« incertitude sexuelle » chez les adolescents. Ce n’est donc pas une lubie morale : l’industrie joue sur une faille psychologique connue.
Le psychologue genevois Adrien Bauer le résume bien : il y a deux addictions qui se superposent. L’une à la masturbation compulsive. L’autre à la chasse au bon clip. Et à force de cliquer, on escalade, comme passer du cannabis au crack, des scènes « soft » aux catégories extrêmes (orgies, humiliations, mineurs), animés par l’accoutumance qui nécessite d’augmenter la dose pour ressentir un effet.
La pornographie normalise des images que l’on ne verrait jamais dans un contexte ordinaire. Un homme croise bien d’autres hommes nus dans les vestiaires, mais pas en pleine excitation. Le porno, au contraire, l’y confronte sans cesse, jusqu’à l’habituer à trouver satisfaction dans le spectacle du plaisir d’un autre. Ce glissement, imperceptible au début, contribue à brouiller encore un peu plus nos propres frontières.
On peut même se retrouver à regarder du contenu trans sans jamais vouloir passer à l’acte, ou être troublé par des scénarios où l’homme se projette dans une identité féminine. Ce phénomène a un nom dans la littérature psychologique : l’autogynéphilie, c’est-à-dire l’excitation provoquée par l’idée de soi en tant que femme. Controversée mais documentée, elle désigne un fantasme qui peut, chez certains, influencer des choix de vie. La plupart de ceux qui en font l’expérience n’ont pas de dysphorie de genre au départ. Jeffrey Escoffier, historien de la sexualité, pionnier des études gays et spécialiste reconnu de la culture pornographique, a même parlé de « transsexualisation de l’homme hétérosexuel » à propos de ces scénarios, où le spectateur se voit invité à explorer, non plus son désir, mais un rôle sexuel qui n’était pas le sien. Là encore, ce n’est pas une orientation nouvelle qui se révèle, mais un brouillage entretenu par l’écran.
Sous l’effet d’une consommation excessive, certains en viennent à envisager des transformations corporelles pour « vivre de nouvelles sensations ». Pas parce qu’ils seraient « nés dans le mauvais corps », mais parce que le porno les a persuadés qu’ils n’étaient plus assez vivants dans le leur.
Quand la violence devient la norme
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a la violence croissante du porno mainstream. Un adolescent n’a de base, pas d’appétit particulier pour l’humiliation des femmes et ne rêve pas de commencer sa vie sexuelle par de la violence. Pourtant, nombreux sont ceux qui tombent sur des images dont leurs parents n’imaginent pas le degré de cruauté, et ces jeunes finissent par l’assimiler à une forme de normalité, où le « non » est un « oui » et où les larmes se mêlent aux autres fluides sans que personne ne s’en émeuve.
Gail Dines (Pornland) a montré combien cette violence n’est pas marginale mais au cœur de l’industrie, car « ce qui choque » vend mieux que « ce qui ressemble à la réalité ».
Derrière ces dérives, il ne faut pas oublier la logique marchande. Comme le rappellent de nombreux auteurs critiques du capitalisme, le marché n’a pas de morale : il exploite les pulsions comme une matière première. Et dans ce domaine, rien ne rapporte plus que la confusion, la transgression et la dépendance.
On croit explorer sa liberté, mais en réalité, on est mené par le bout du nez — ou plutôt par un autre bout. L’indépendance, celle qui permet d’aimer une seule personne dans le réel, se réapprend. Elle passe par une hygiène numérique, par un retour à l’imagination, par une foi qui ne confond pas désir et aliénation.
Bibliographie
- Lena Rey, Déwox – 21 réflexions pour se détoxifier du wokisme, Une Autre Voix, 2025.
- Gail Dines, Pornland – Comment le porno a envahi nos vies, Éditions Libre, 2020.
- Andrea Dworkin, Pornographie – Les hommes s’approprient les femmes, Éditions Libre, 2022.
- Jeffrey Escoffier, « Imagining the She/Male: Pornography and the Transsexualization of the Heterosexual Male », Studies in Gender and Sexuality, 2011.
- Ray Blanchard, « The concept of autogynephilia and the typology of male gender dysphoria », Journal of Nervous and Mental Disease, 1989.
- Jochen Peter & Patti M. Valkenburg « The Influence of Sexually Explicit Internet Material on Sexual Risk Behavior: A Comparison of Adolescents and Adults » Journal of Health Communication, 2011.