Votation fédérale : Quand l’impôt devient idéologie

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Eric Bertinat – Le 30 novembre prochain, nous serons appelés à nous prononcer sur une initiative déposée par les Jeunesses socialistes, intitulée « Initiative pour l’avenir ». Sans surprise, elle propose l’instauration d’un nouvel impôt fédéral sur les successions et les donations dépassant cinquante millions de francs (nous ne doutons pas que, petit à petit, ce seuil soit abaissé). Ainsi se voit l’avenir selon la gauche suisse. Le texte, d’une rigueur implacable, ne prévoit aucune exception, ni pour le conjoint survivant ni pour les descendants directs. Le produit de cet impôt devrait être consacré à la lutte contre la crise climatique, cette grande angoisse existentielle de notre temps, partagée, hélas, jusque dans certaines sphères ecclésiales.

Pourtant, rappelons que la Confédération dispose déjà de deux milliards de francs par an pour la protection du climat et le renforcement de la sécurité énergétique, selon des programmes approuvés par le peuple. Malgré cela, le projet recueille le soutien de personnalités de divers horizons. Au Parlement, seuls les Vert’libéraux et le Parti évangélique ont choisi de l’appuyer, alors que la majorité des Chambres fédérales et du Conseil d’État s’y opposent pour des raisons à la fois économiques et de principe.

Mais au-delà des arguments techniques, cette initiative nous invite à réfléchir plus profondément à la nature même de l’impôt, devenu pour beaucoup une rançon imposée au travail et à la réussite, quelle que soit la situation de chacun.

C’est ici qu’il faut rappeler la notion de consentement à l’impôt, évoquée récemment par Philippe de Villiers sur CNEWS. Il y rappelait qu’historiquement, l’impôt ne reposait pas uniquement sur la contrainte, mais sur un accord : les États provinciaux ou les corps intermédiaires devaient consentir à l’impôt, garantissant ainsi un équilibre entre l’autorité publique et la liberté des citoyens. Or, dans de nombreux pays, en France, en Suisse ou ailleurs en Europe, cet équilibre semble rompu. L’État, défaillant dans ses missions régaliennes essentielles – sécurité, frontières, protection des citoyens – perd peu à peu sa légitimité fiscale. Comment consentir à l’impôt quand l’État ne remplit plus ce pour quoi il est payé ?

Cette crise du consentement se double d’un autre déséquilibre : l’inflation fiscale. L’impôt s’étend, se multiplie, s’enracine dans tous les domaines sans véritable contrôle ni contrepartie visible. Le projet d’impôt sur les grandes successions en Suisse illustre cette tendance : non seulement il outrepasse les compétences cantonales, mais il incarne aussi une vision politique de plus en plus uniformisante, où la fiscalité devient un instrument de nivellement.

La doctrine sociale de l’Église nous aide à retrouver la juste mesure. Elle rappelle que la propriété est une extension de la personne, un moyen d’agir librement dans le monde et de transmettre ce que l’on a reçu. L’homme ne peut atteindre ses buts qu’en disposant de moyens stables, fruit de son travail et de son effort. Or, quand la fiscalité prétend redistribuer ces moyens au nom d’une égalité abstraite, elle détruit le lien vivant entre liberté, responsabilité et solidarité.

Dans la pensée chrétienne, l’impôt n’est pas un mal. Il est la contribution de chacun au bien commun, à condition qu’il reste ordonné à sa fin.

Mais lorsque la fiscalité cesse d’être un instrument de justice pour devenir une arme idéologique, elle perd sa légitimité morale. Pie XI, dans Quadragesimo Anno, le rappelait avec force :

«Il n’est pas permis à l’autorité publique d’imposer aux citoyens des charges excessives ou disproportionnées. L’impôt, quand il dépasse la mesure, étouffe la liberté, décourage l’effort et sape la responsabilité des familles.»

Et Pie XII d’enfoncer le clou, en septembre 1944,«Dans l’intérêt commun, nous connaissons déjà le sens de cette expression, l’intérêt commun sera en jeu quand les biens seront mal gérés par leurs détenteurs privés ou quand leur possession privée constituera un danger pour le bien public.»

Aujourd’hui, la logique de solidarité s’efface devant une logique d’égalitarisme. Sous couvert de redistribution, l’État devient l’arbitre des fortunes et des mérites, prétendant corriger les différences au lieu de les ordonner au service de tous. Cette tentation du « socialisme d’État », que Jean-Paul II dénonçait déjà dans Centesimus Annus, menace la dignité même de la personne. Car l’égalité imposée par la contrainte n’est pas justice : c’est une forme d’appauvrissement moral et spirituel.

L’Église n’appelle pas à la révolte contre l’impôt, mais à sa purification morale. Le citoyen n’a pas à refuser de contribuer, mais à demander que sa contribution serve effectivement le bien commun. Si l’impôt devient un instrument idéologique, un moyen de confiscation ou de nivellement, il cesse d’être un acte de charité sociale pour devenir un signe d’orgueil politique.

La véritable justice fiscale, selon la sagesse chrétienne, ne consiste pas à rendre tous les hommes égaux dans leurs biens, ce que tente aujourd’hui d’imposer l’initiative des Jeunesses socialistes, mais à permettre à chacun de vivre dignement. Nous pouvons, nous devons, refuser cet objet soumis à notre sagacité.

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