Jean Pierre Saw – Selon le Henley Passeport Index publié en ce début d’année, notre document à croix blanche ouvre la porte de 190 destinations sans visa, ce qui le place dans le 5e groupe de pays ex aequo avec quatre autres1 ; il paraît que le reste du monde nous envie ce passeport, ainsi que notre paix et notre sécurité ; que toute l’Europe, dont nous sommes le centre, veut travailler chez nous. Et pourtant…
Être Suisse, c’est accepter de rester petit, de ne pas avoir d’ambition autre que la neutralité, c’est-à-dire quelque part une existence en marge des affaires des grands.
Être Suisse, c’est avoir besoin de grandeur, tout en renonçant à nos rêves ; être obligé de partir pour respirer ; de voyager pour voir au-delà de nos montagnes.
Être Suisse, c’est se glorifier d’une histoire de victoires, d’indépendance et de fierté méritées, mais devoir assister malgré tout aux renoncements successifs à notre souveraineté.
Être Suisse, c’est pouvoir se prononcer sur tout et rien, mais ne pas élire les gens qui nous gouvernent, et devoir ensuite attendre qu’ils démissionnent, las d’administrer dans l’anonymat.
Posséder ce fameux passeport c’est se conformer aux règles, afin de survivre socialement. Ne pas faire trop de bruit, ni de vagues, arriver en avance, rouler à la vitesse autorisée, mais pas en-dessous. Et ne pas dépasser d’une tête, surtout quand vous êtes aux commandes.
Être Suisse, c’est souffrir d’un double complexe : d’infériorité, parce que nous sommes petits, et de supériorité, parce que nous sommes riches, moins endettés, plus efficaces, productifs et attractifs…
La grande tentation, quand on est Suisse, c’est de vouloir jouer un rôle quand nous ne comptons pas. De se pavaner, plutôt que de rester modestement à notre place. Cela vous rappelle quelque chose ?
À considérer les dernières nouvelles de notre Département de la défense, point n’est besoin de commission parlementaire pour constater que le chaos y règne. S’il y a unanimité sur l’augmentation des femmes en uniforme et l’accueil amélioré des troubles de l’identité, les projets militaires, eux, ont accumulé des défauts et des retards jusqu’à pousser la principale responsable à jeter l’éponge. Sans parler de l’analyse de la menace, ridiculement copiée sur celle de l’OTAN, par manque d’imagination sans doute… L’Iran, un danger pour nous, vraiment ?
Talleyrand disait : «Si je me considère, je me méprise ; si je me compare, je me rassure.» Ainsi en va-t-il de la Suisse. Chez nos voisins, c’est en amont que le bât blesse : La France lutte pour pérenniser un gouvernement fragile, l’Allemagne veut interdire le deuxième parti du pays ; l’Autriche teste péniblement sa majorité ; l’Italie, elle, lorgne vers les Etats-Unis. À l’Est, les mal aimés menacent l’Union de leur véto. Pendant ce temps, outre Atlantique, le tonitruant Président promet des taxes supplémentaires et envisage une annexion de sol européen, tout en exhortant ses partenaires de l’Alliance à des dépenses militaires qui les étrangleraient.
Étrangement, il aura fallu attendre que le paquebot européen craque et que le porte-avion otanien prenne l’eau pour que la barque helvétique choisisse de s’en rapprocher… Si notre lenteur légendaire permet souvent d’apprendre des erreurs des autres, elle menace aussi de nous faire manquer les virages trop brutaux de l’Histoire. Après sept ans d’errance au sein de notre Défense, même le remplacement tant attendu d’une Conseillère fédérale s’avère un défi, et pour cause… Un triste symbole des limites de notre personnel politique lorsque le temps se gâte. —

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Newsletter N° 250 – 12 février 2025 | Source : Perspective catholique