Alexandra Klucznik-Schaller – Le 3 juin dernier, le Collectif Parents Suisse1 organisait une conférence qui, dans le microcosme romand, fera date. Des bloqueurs de puberté donnés à des enfants ? Des parents réticents déchus de leurs droits ? Gageons que rien n’arrêtera la vague du questionnement qui s’en vient ; « changement de sexe, l’autorité parentale en question » fut un direct dans la digue du politiquement correct.
Aux avis des professionnels du droit et de la psychologie, le panel associait les témoignages de David Glutz, un papa concerné, et de Lyo Kessler, « desadhérente à théorie du genre ». Le public, composé d’une centaine de parents et grands-parents, semblait impliqué et passablement informé.
Pour appréhender l’état du droit lié à ces faits de société, Perspective Catholique a posé quelques questions à Me Diego Bischof, avocat et vice-président de l’association, à noter qu’il a tenu au préalable à préciser que ses propos ici n’engageaient que lui et non pas le Collectif Parents Suisse.
1 https://www.collectifparents.ch/

Alexandra Klucznik-Schaller : De la crèche à l’école post-obligatoire, les professionnels sont formés à l’identité de genre. Quelles sont les racines de cette nouvelle éducation ?
Me Diego Bischof : « L’identité de genre » est issue de la « théorie critique de la société », ou, dans sa langue originale, l’allemand, de la Kritische Theorie. Élaborée dans les années 1920 à Francfort par certains intellectuels de l’Institut für Sozialforschung, connue plus tard, aux États-Unis, sous le nom de Critical Theory, elle a produit un certain nombre d’idées, notamment celle-ci : « The personal is the political ». Il s’agit de dire que les caractéristiques personnelles, comme la race et l’orientation sexuelle, ont une valeur politique. La Critical Theory veut que la société soit reconfigurée pour qu’elle donne sa place à l’affirmation de l’individu et de ses particularités (affirmative action). Les manifestations sociales de l’affirmative action sont assez connues : « Marche des fiertés », Gay Prides, body-positivity, Black history month, et, justement, l’identité de genre.
Il faut comprendre ces théories comme des outils de subversion de l’ordre social. Cette subversion va si loin qu’elle ne recule pas devant la destruction de la rationalité elle-même. Je vais l’exprimer dans une perspective catholique : Dieu, le Logos dont parle Jean l’évangéliste, en créant l’Homme à son image, lui donne une étincelle de son infinie Sagesse. Le voici donc, cet Homme, capable de se forger une représentation, une image mentale correcte de la réalité dans laquelle il est plongé. C’est l’adaequatio rei intellectus de Saint Thomas d’Aquin, c’est-à-dire la correspondance entre la chose perçue et l’entendement qui perçoit.
Pour les partisans de la théorie du genre, en revanche, il n’est pas question de réalité extérieure que notre intelligence doit saisir convenablement, autrement dit d’objectivité. Tout se passe comme si l’individu lui-même créait sa propre réalité. Autrement dit, être un homme ou une femme n’est pas un fait qui me constitue et dont mon intellect doit prendre acte. Je peux, à ma guise, en prendre ou en laisser, passer de l’un à l’autre. Et d’ailleurs, pourquoi rester dans cette ennuyeuse binarité ? Mille identités s’offrent à moi que je peux m’attribuer par une décision de ma volonté. La lecture chrétienne du phénomène est limpide : il s’agit pour la créature de prendre la place du Créateur, de s’auto-diviniser, ce qui rappelle le péché originel : « vous serez comme des dieux » (Genèse, 3, 5).
Mais, comme je le disais tout à l’heure, the personal is the political. Il ne suffit pas, dans la perspective de ces idéologues, de se dire femme lorsque l’on est un homme, ou l’inverse. Cette volonté doit avoir une portée politique. C’est-à-dire : je revendique que le reste de la société reconnaisse l’identité imaginaire que je me suis forgée. Après tout, ne suis-je pas mon propre dieu ? Que les autres, alors, observent mes décrets ! Que MA volonté soit faite!, en quelque sorte.
AKS : D’où et quand est venue la volonté politique ? Comment et par qui, les dispositions sont mises en œuvre ?
Me Diego Bischof : Nous sommes donc en face d’une tyrannie de l’affirmation du moi hypertrophié, de celui que stigmatisait Blaise Pascal : « le moi est haïssable en ce qu’il veut se faire le centre de tout et le tyran de tous les autres ». Ces idées ont eu des promoteurs très puissants. Parmi eux, certains se sentent une fibre de démiurges cherchant à reconfigurer la société. D’autres ont des intérêts financiers : le marché des bloqueurs de puberté rapporte beaucoup d’argent, de même que les cliniques où se pratiquent les opérations de « changement » de sexe. Ces idées ont une consécration officielle, au sein même de l’Organisation mondiale de la santé. Celle-ci a rédigé un véritable texte de doctrine, en 2010 (2013 pour la version française) : les «Standards pour l’éducation sexuelle en Europe ». Le sous-titre en est très révélateur : « Un cadre de référence pour les décideurs politiques, les autorités compétentes en matière d’éducation et de santé et les spécialistes ». C’est très précis, et vous y trouvez tout le programme de la nouvelle éducation sexuelle, en particulier : invitation à évoquer le plus tôt possible, devant des enfants, les pratiques sexuelles, les multiples identités de genre, et la fameuse « transition de genre », dont on sait qu’elle peut s’accompagner de mutilations physiques terribles.
AKS : Quelles dispositions légales encadrent cette thématique ?
Me Diego Bischof : Beaucoup sont issues des standards de l’OMS, qui fonctionne comme une matrice du droit. Parlons un peu de technique juridique. Les standards de l’OMS sont, en jargon, ce que l’on appelle de la « soft law ». Ce n’est pas du droit « dur », avec énoncé d’obligations légales. La soft law consiste, en droit international par exemple, à adopter une série de recommandations qui, en elles-mêmes, ne sont pas contraignantes. Toutefois, on attend que les États en fassent soit des règles de droit interne, soit une pratique administrative générale. Ce n’est donc pas du droit, mais c’est la matrice du droit ou d’un comportement administratif systématique.
Comme on le lit sur la page de titre, ces standards sont des « recommandations » adressées à des décideurs politiques. Lorsque, comme c’est le cas en Suisse, par exemple, les décideurs sont convaincus, ils mettent beaucoup d’énergie à les traduire dans la réalité institutionnelle du pays. Et on les voit faire adopter des instructions administratives, des lois, des programmes. À cette enseigne, la Suisse a, en 2022, institué une réforme de l’état civil permettant à chacun, dès l’âge de 12 ans, de se déclarer homme ou femme, indépendamment de son sexe biologique. Des cantons adoptent des législations qui, sous prétexte d’interdire certains abus, tendent à rendre incritiquables les interventions thérapeutiques en lien avec le changement de sexe. J’ai écrit un article là-dessus dans la publication Antipresse, n° 462, intitulé La bienveillance médicale et les transgenres.
Tout cela finit par créer – au forceps – des idées reçues, des dogmes imposés d’en-haut : l’identité de genre, la « transidentité » ne peuvent pas être remises en question, et ceux qui le font s’exposent aux traditionnelles manœuvres de discrédit social : « homophobes », « transphobes », « extrémistes », « complotistes », bref, tout le chapelet d’injures concocté par les experts en tératologie politique.
Une situation institutionnelle émerge, appelée à durer et à se développer : c’est qu’il y a désormais des réalités nouvelles : les transgenres, ou la santé sexuelle des enfants, ou encore des familles conservatrices qui briment l’épanouissement de leur progéniture. Ce sont assurément, dans cet univers d’inversions généralisées, des phénomènes inquiétants que les États doivent prendre en compte dans les politiques publiques !
Aussi, lorsque vous me posez la question « Quelles dispositions légales encadrent cette thématique », la réponse courte est : il n’y a pas de cadre législatif clair et repérable. Il faudrait plutôt parler d’une situation juridico-administrative, avec un mélange de recommandations internationales, de fanatisme idéologique, de zèle administratif, et de dispositions légales éparses.
AKS : Comment expliquer qu’un parent puisse être privé de l’autorité parentale ?
Me Diego Bischof : Dans le tableau général que je viens de brosser, où des acteurs importants rejettent les réalités biologiques les plus élémentaires, et où une frange d’activistes a réussi à instrumentaliser l’État lui-même pour réaliser son utopie d’auto-divinisation de l’homme, la famille ne peut apparaître que comme l’ennemi par excellence.
La famille est le lieu de la création humaine. Le petit garçon ou la petite fille à naître sont conçus par une combinaison humaine unique : un homme et une femme. Voilà une première et cinglante réfutation de la prétention à la multiplicité des genres. On est tenté de dire aux zélateurs de la théorie du genre : « votre imagination est fertile à concevoir des identités innombrables, mais, pour ce qui est de concevoir des êtres de chair et de sang, il n’y en a que deux qui font l’affaire : un mâle et une femelle ».
Et, bien entendu, masculinité et féminité structurent l’être humain bien plus profondément que ce que laissent voir les corps : la vie mentale, la sensibilité, les gestes, les humeurs, mille choses enfin, distinguent énormément – et merveilleusement – les deux sexes. Au sein de la famille où ils naissent, les enfants sont immergés dans les deux univers, masculin et féminin, associés pour leur transmettre la vie et la faire croître.
La famille, cette binarité créatrice et structurante, représente ainsi, à tous égards, le démenti cruel apporté aux utopistes de la théorie du genre. C’est aussi, pour eux, un danger : elle ne doit pas imprimer sa marque sur les jeunes esprits. C’est la raison pour laquelle ils tiennent tant à les façonner le plus tôt possible. L’école est pour eux un terrain d’opérations. C’est par elle que seront sermonnés, et au besoin judiciairement dénoncés, les parents qui oseraient regimber contre les idées que les propagandistes du genre auront fait germer dans la tête de leurs rejetons. Dans cette affaire, les considérations légales sont exclusivement tributaires du travail de contextualisation effectué par les idéologues et leurs relais officiels : psychologues, conseillers scolaires, cadres administratifs, médecins, tous acquis à la cause, ou simplement complaisants.
Le syllogisme juridique est le suivant : On pose – c’est le nouveau dogme – que le choix d’une identité ou d’une orientation sexuelle est une facette de l’autonomie personnelle dont les enfants peuvent aussi se prévaloir et qui ne tolère aucune réserve, autrement dit un droit de la personnalité au sens du Code civil. On constate ensuite qu’il y a des parents qui protestent, qui critiquent les « choix » de leurs enfants (alors qu’en réalité ceux-ci agissent sous l’empire des suggestions traumatiques émanant d’adultes pratiquant l’effraction psychique, comme l’explique Ariane Bilheran). Il ne reste plus qu’à conclure : les parents en question sont les auteurs d’une atteinte à la personnalité de leurs propres enfants ! Et voilà comment vous pouvez perdre votre autorité parentale.
AKS : Est-ce que ce sont des pratiques qui sont spécifiques à la Suisse ? Quels recours ont les parents ?
Me Diego Bischof : Cette pratique n’est pas spécifique à la Suisse. Elle est répandue dans tout le monde occidental. Fort heureusement, on commence à voir des lézardes dans cet édifice idéologico-administratif : au Royaume-Uni, en Scandinavie, la prise de médicaments pour les changements de sexe est interdite pour les mineurs. La Cour suprême des États-Unis vient de rendre un arrêt déclarant justifiée, au nom de la liberté de culte, la décision de parents refusant qu’à l’école leurs enfants soient exposés à la propagande LGBT, qui est de facto promue dans tout l’Occident, et très agressivement, au titre de politique publique de protection des minorités. Mais dans ce paysage, la Suisse reste un bastion pour les activistes. Les parents qui veulent – et qui doivent – protéger leurs enfants ont bien entendu la possibilité de saisir les tribunaux. Mais ils se heurteront, malheureusement, à la doxa ambiante. Il faut être tenace…
AKS : À cause de certains messages et appels à manifester, les organisateurs ont dû mettre en place un service d’ordre. Ils ont également dû ruser pour être certains d’avoir une salle à disposition ; la réservation d’une première salle a été annulée et l’adresse de la seconde salle n’a été communiquée qu’au dernier moment aux inscrits. Est-ce que certaines méthodes déloyales et intimidations pourraient tomber sous le coup de la loi ?
Me Diego Bischof : Certainement ! Une ou deux personnes ont écrit à au Collectif Parents Suisse pour l’informer qu’elles ont été frappées par des individus dépêchés sur place par les organisations « anti-fascistes » qui ont appelé officiellement à perturber la soirée du 3 juin 2025. Et un grand nombre de personnes qui se sont inscrites ont été entravées dans leurs déplacements aux abords des lieux. Certaines ont rebroussé chemin. Elles ont donc été victimes d’actes de contrainte. Il s’agit là de délits pénaux, qui se poursuivent d’office. À ma connaissance, toutefois, il n’y a pas eu d’interpellations. La police était présente. Le Collectif avait aussi loué les services d’agents de sécurité pour protéger les personnes et les lieux contre les exactions annoncées, et qui se sont produites.
Nous avons été victimes de la répression de ces organisations. Mais, bien entendu, ce sont elles qui crient à la répression et nous traitent de fascistes sur leurs réseaux de communication ! En quelque sorte et par analogie, la soirée du 3 juin reproduisait ce qui se passe au niveau global dans cette affaire de l’identité de genre : une petite minorité terrorise la majorité. Lorsque, comme l’ont fait le Collectif Parents Suisse et les orateurs de la soirée, un désaccord public, même respectueux, est exprimé, cette minorité attaque avec violence. Et elle se pose hypocritement en victime, lorsque les vraies victimes ont le culot de vouloir se défendre ! Ces gens dénoncent des transgressions imaginaires. Ils ne cherchent pas l’échange, mais la soumission servile à leurs dogmes.
AKS : Les témoignages de David Glutz et de Lyo Kessler, ont été poignants. Par une action en justice, pourraient-ils se retourner contre l’État ou plus directement contre certains individus pour préjudices subis ?
Me Diego Bischof : Je connais leur affaire dans les grandes lignes. Comme je suis un professionnel du droit, je ne vais pas improviser une réponse dans des dossiers individuels que je ne maîtrise pas exactement et où, en outre, les intéressés ne m’ont pas autorisé à m’exprimer pour leur compte.
Toutefois, et en laissant de côté les histoires terribles de Lyo Kessler et de David Glutz, une chose me frappe dans tout ce que je lis et dans tout ce qu’on me rapporte sur ces sujets de l’identité de genre et des transitions de genre : c’est la responsabilité civile des acteurs du monde de la santé qui prêtent leur concours à ces interventions.
Se rendent-ils compte, par exemple, que l’ablation d’organes génitaux fonctionnels, ou de poitrines d’adolescentes en parfait état, paraît contraire aux principes cardinaux de leur art, dont le premier d’entre eux s’appelle le principe de non-malfaisance ? Pour l’instant, dans cette partie du monde où, pour ce sujet comme pour d’autres, la raison et le cœur sont délogés par un curieux mélange de conformisme et de fanatisme, on les honore. Mais le jour où – que Dieu hâte sa venue ! – le serment d’Hippocrate encadrera à nouveau et véritablement l’art de soigner, les mêmes pourraient encourir bien plus qu’un blâme.
CONCLUSION
Cet entretien avec Me Bischof a réveillé le souvenir d’une conférence que Perspective Catholique avait organisé à Genève en septembre 2023. « La fabrique de l’enfant trans »1 avait été animée par le Dr Pascal Gervaz, et ce dernier est par la suite entré en politique.
Le Dr Gervaz avait fait état du bloqueur de puberté Lupron Depot administré aux jeunes ; il expliquait que le médicament avait été développé, à l’origine, pour soigner le cancer de la prostate. On y avait également appris que la Tavistock Clinic, institution londonienne, venait d’être fermée sur demande du NHS (Service national de la santé)2 et que de nombreuses personnes – adolescents traités devenus adultes – déposaient plainte et demandaient réparations. Pour davantage de recul, le public avait été encouragé à prendre connaissance d’un documentaire suédois intitulé « The Trans Train». 3
Deux ans se sont écoulés depuis cette première conférence, et l’on peut dire sans conteste que le public intéressé a changé. Il a changé en quantité (quatre fois plus de personnes présentes en 2025) et qualité (militants en 2023 versus grand public en 2025).
Et surtout, le Collectif Parents Suisse a incarné la problématique : David Glutz, un papa originaire du canton de Vaud, est éloigné de sa fille adolescente et ça se passe là, maintenant. Et il raconte son inquiétude : alors que son enfant refusait d’aller à l’école, ce refus a été interprété par différentes institutions comme un questionnement de genre. Aujourd’hui sa fille reçoit des hormones et l’autorité parentale lui est déniée ; son témoignage complet peut être entendu sur le canal You Tube du Mouvement Fédératif Romand4. Le second témoignage exprimé est celui de la Valaisanne Lyo Kessler. En 2016, Lyo avait entamé un processus de transition chirurgicale qu’elle regrette aujourd’hui, dans une interview récente donné à un média français, elle raconte son vécu : « ils m’ont menti et mutilée (…) les conséquences sont irréversibles 5» soit stérilité et traitements à vie…
« L’enfer c’est les autres » disait Jean-Paul Sartre en même temps qu’il soutenait que « l’existentialisme est un humanisme » ; alors à nous de rappeler : « c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez ».
1 https://perspectivecatholique.ch/deontologie-medicale/
2 https://www.theguardian.com/society/2022/jul/28/nhs-closing-down-london-gender-identity-clinic-for-children
3 https://www.youtube.com/watch?v=3lMa8ph_Xrs
4 https://www.youtube.com/watch?v=1voY2wy1BMw
5 https://www.youtube.com/watch?v=CP5Mn0BdF28
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Newsletter N° 261 – 9 juillet 2025 | Source : Perspective catholique