Eric Bertinat – Lors d’une intervention jeudi 21 août 2025 sur la RTS, Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse (USS) et conseiller aux États (PS/VD), a indiqué que l’organisation syndicale est prête à soutenir les accords conclus entre la Suisse et l’Union européenne, à condition que le Parlement ne modifie pas substantiellement le projet présenté par le Conseil fédéral. Le paquet comprend notamment des mesures renforçant la protection des salaires.
Selon lui, le résultat des négociations est «déjà un peu meilleur» que l’accord-cadre refusé en 2021. Les garanties obtenues, ainsi que les quatorze mesures additionnelles proposées par le Conseil fédéral pour renforcer la protection des salaires, constituent la base du soutien exprimé par l’USS. La décision finale reviendra toutefois à l’assemblée des délégués de l’USS, une fois le processus parlementaire achevé.
En revanche, l’USS s’oppose fermement à l’accord de libéralisation du marché de l’électricité. Pour M. Maillard, une telle mesure irait à l’encontre des intérêts de l’industrie et de l’autonomie énergétique de la Suisse : «C’est la dernière des choses à faire dans un pays qui veut défendre son industrie et son autonomie énergétique.» Il souligne que cet accord n’est pas juridiquement lié au reste du paquet et qu’il serait préférable de le traiter séparément. L’USS annonce donc son intention de s’y opposer.
Un revirement assumé
En 2021, Pierre-Yves Maillard s’était montré l’un des plus virulents opposants à l’accord-cadre avec l’UE, dénonçant le «sacrifice de la protection salariale» et l’affaiblissement des mécanismes de contrôle. À l’époque, il jugeait préférable de maintenir le statu quo plutôt que d’accepter un «mauvais accord bilatéral», allant jusqu’à accuser le Conseil fédéral d’avoir cédé à une logique de libéralisation contraire au modèle social suisse.
Depuis, le ton a changé. La prise en compte par le gouvernement des préoccupations syndicales et l’ajout de mesures de protection renforcées expliquent ce repositionnement.
Politiquement, Pierre-Yves Maillard s’est aussi imposé comme un interlocuteur pragmatique, apprécié jusque dans les rangs de la droite nationaliste. Son invitation à l’Albisgüetli en 2024, en présence de Christoph Blocher, illustre ce statut singulier : celui d’un syndicaliste capable de dialoguer avec ses adversaires historiques.
Ce soutien conditionnel aux nouveaux accords avec l’UE marque donc un revirement stratégique : après avoir incarné le «non», Pierre-Yves Maillard s’affirme aujourd’hui comme l’un des artisans d’un compromis possible entre protection sociale et rapprochement européen.
Les réserves des milieux économiques
Rappelons encore qu’economiesuisse soutient globalement les mesures 1 à 13, qui permettent selon elle de garantir efficacement la protection des salaires tout en préservant la flexibilité du marché du travail. En revanche, la mesure 14, qui vise à offrir une protection renforcée contre le licenciement pour les représentants élus des travailleurs, suscite une opposition claire de la part des employeurs. Ce clivage montre que si le monde économique admet la nécessité de renforcer les protections salariales, il marque une limite lorsque ces mesures touchent à la sécurité de l’emploi des délégués syndicaux.
Il n’existe pour l’instant aucune prise de position publique documentée de l’UDC ou de Pro Suisse sur ces mesures complémentaires. Le débat semble davantage animé entre syndicats, employeurs et Conseil fédéral, sans que ces deux opposants traditionnels aux accords avec l’UE apparaissent comme des voix majeures sur ce point précis.
De l’opposant acharné à l’accord-cadre en 2021, le revirement de Pierre-Yves Maillard illustre le chemin parcouru par le syndicaliste : il se positionne désormais en stratège prêt à soutenir un compromis avec Bruxelles, pour autant que les acquis sociaux soient préservés. Un virage politique qui le place au cœur du jeu, entre syndicats prudents, employeurs réticents et un Parlement appelé à trancher. Avant, nous l’espérons, que le peuple s’exprime. –