Une jeunesse en détresse face à un monde sans repères

0
74

Eric Bertinat – Désignée “grande cause nationale” de 2025, la santé mentale des jeunes inquiète chercheurs et praticiens. Les chiffres et les témoignages convergent : anxiété, dépression et comportements à risque explosent, sur fond de bouleversements technologiques, sociaux et environnementaux. Mirco Canoci nous en a fort bien parlé dans son article : «Jeunesse en détresse : alerte sur un mal-être générationnel» (Perspective catholique – 24 avril 2025) Deux spécialistes de la question évoquent ce même jour dans Le Figaro (26 septembre 2025) ce dramatique mal-être qui touche notre jeunesse.

La jeunesse va mal. Plus mal que ne l’ont jamais connu leurs aînés, selon le psychologue Cyril Tarquinio, auteur de Génération à vif (Éditions Dunod) et qui a accordé un interview passionnant au Figaro. «La fatigue d’être soi» touche désormais des individus dès l’entrée dans l’âge adulte, asphyxiés par une «modernité liquide» où tout est incertain : avenir professionnel menacé par l’intelligence artificielle, urgence climatique, instabilité familiale et sociale. Contrairement aux générations passées, les jeunes ne peuvent plus croire que leurs efforts suffiront à bâtir une vie meilleure.

À ce contexte anxiogène s’ajoute l’impact massif du numérique. Comme le souligne Sophie Audugé, directrice de SOS Éducation dans un article intitulé : « L’école n’est plus en mesure de garantir la sécurité des élèves et des professeurs » (toujours dans Le Figaro du jour): Avant l’enfance du smartphone. (…) les enfants grandissaient dans un monde tangible. Aujourd’hui, les écrans sont devenus leur premier espace de sociabilité, au détriment des interactions réelles indispensables à l’équilibre affectif. Résultat : des chiffres alarmants. En dix ans, les hospitalisations psychiatriques pour gestes auto-infligés chez les filles de 10 à 19 ans ont été multipliées par quatre. Rien qu’en 2024, elles progressent encore de 22% chez les 10-14 ans. Chez les garçons, la souffrance se traduit davantage par une montée des suicides, mais aussi par l’externalisation : violences, addictions, conduites délinquantes.

La Suisse connaît les mêmes signaux d’alerte. Selon UNICEF et Unisanté, 37% des 14-19 ans déclarent souffrir de troubles de santé mentale, et près d’un sur dix a déjà tenté de se suicider. Entre 2020 et 2021, les hospitalisations pour troubles psychiques ont bondi de 26% chez les jeunes filles et de 6% chez les garçons. Les consultations liées aux idées suicidaires ont également explosé, avec une hausse de 26% en 2023 selon la ligne Pro Juventute. Ces données rejoignent les constats de Cyril Tarquinio et Sophie Audugé : les filles semblent particulièrement exposées, tandis que les garçons expriment leur détresse par d’autres comportements à risque.

Pour Cyril Tarquinio, cette détresse n’est pas signe de faiblesse mais d’un héritage abîmé. «Nos jeunes subissent le legs d’un monde sans boussole», affirme-t-il, dénonçant un environnement saturé d’instabilité, de pollution et de promesses brisées. Sophie Audugé insiste, de son côté, sur l’effet délétère du virtuel, qui prive les adolescents d’expériences sociales concrètes et accentue la comparaison permanente.

Les deux constats se rejoignent : cette génération, souvent caricaturée comme hypersensible, est en réalité le révélateur d’une société malade. Derrière les accusations de paresse ou de fragilité, se cache une réalité insoutenable : un mal-être croissant, nourri à la fois par la crise écologique, la pression de la performance et la dérive numérique.

La question demeure : comment répondre à cette urgence ? Pour Cyril Tarquinio, il faut introduire les premiers secours en santé mentale dès le lycée, tout en formant les jeunes à garder un regard critique sur la mise en scène de la souffrance sur les réseaux. Pour Sophie Audugé, il s’agit avant tout de recréer du lien réel et de restaurer les interactions humaines. Deux approches complémentaires qui traduisent la même conviction : la jeunesse ne va pas simplement «mal en soi», elle paie le prix d’un monde déstabilisé — en France comme en Suisse.

Article précédent750 ans de la consécration de la cathédrale
Article suivantCharlie Kirk, au-delà de la caricature
Eric Bertinat
À la suite de la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques, Éric Bertinat cofonde, avec ses amis les abbés La Praz et Koller, la revue Controverses (1988-1995). En 2010, il fonde l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame également une carrière politique dès 1984. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 avec l’UDC et occupe plusieurs postes clés jusqu’en 2013. Il est aussi membre du Conseil municipal de Genève à partir de 2011, où il exerce diverses présidences de commissions jusqu’en 2021. Le 5 juin 2018, il est élu président de ce Conseil pour la période 2018-2019.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici