Suisse–UE : Attendre quoi ?

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Éric Bertinat – Le 1er octobre 2025, la Neue Zürcher Zeitung publiait une interview de la conseillère nationale UDC Magdalena Martullo-Blocher. Ses propos confirment une inquiétude largement partagée mais rarement formulée : selon elle, la Suisse s’intègre peu à peu dans l’ordre juridique européen, sans véritable résistance politique ni débat public.

Mme Martullo-Blocher accuse le Conseil fédéral de n’être plus qu’un simple «guichet d’enregistrement» des décisions venues de Bruxelles. À ses yeux, la démocratie directe suisse se vide de sa substance, tandis que le droit européen s’impose toujours davantage, par le biais des traités bilatéraux, des comités mixtes et de l’administration fédérale, sans même passer par le Parlement. Il faut donc parler, dit-elle, d’une véritable «colonisation juridique silencieuse». La souveraineté nationale se dissout progressivement dans un ordre supranational que nul n’ose nommer.

L’urgence est totale, affirme-t-elle. Ce n’est pas en 2027 que tout se jouera, mais maintenant. Chaque loi que nous acceptons sans débat affaiblit un peu plus notre autodétermination. Mme Martullo-Blocher dénonce en outre le double langage du Conseil fédéral : à Bruxelles, il négocierait la soumission à l’ordre européen ; à Berne, il feindrait de défendre la démocratie en annonçant un référendum facultatif, qui exigerait la récolte de 50’000 signatures en cent jours — une procédure qu’elle juge illusoire. Elle rappelle enfin que deux conseillers fédéraux UDC, Guy Parmelin et Albert Rösti, siègent au sein de ce gouvernement qu’elle accuse de duplicité.

L’UDC poursuit sa campagne contre les accords Suisse–UE, aux côtés des associations Souveraineté Suisse, Pro Suisse, le Mouvement Fédératif Romand et les Amis de la Constitution. Le 20 octobre dernier, le groupe UDC des élus nationaux a tenu une conférence de presse. Après avoir étudié le paquet de traités avec l’Union européenne, quelque 2 207 pages dans sa version française, il a conclu qu’il s’agissait d’un véritable traité d’adhésion, susceptible de bouleverser notre système étatique éprouvé et de détruire le modèle de réussite helvétique. Il faut donc, selon le parti, le rejeter sans hésitation.
Les autres formations politiques semblent pour leur part acquises à la signature du traité, soutenues en cela par les syndicats. Le PLR, d’abord hésitant, a finalement accepté l’idée d’une coopération renforcée avec l’Union européenne, notamment sous la pression des milieux économiques.

Trois scénarios se dessinent
Le premier consisterait à continuer d’attendre. L’UDC pourrait choisir de respecter la collégialité gouvernementale, selon laquelle les décisions du Conseil fédéral sont défendues collectivement, même si certains membres y sont opposés. Mais une telle attitude reviendrait à suivre passivement l’agenda du gouvernement, qui prévoit, jusqu’au 31 octobre 2025, une période de consultation, puis en novembre la signature du volet « programmes UE » (recherche, formation, etc.), avant la signature des autres accords en 2026, leur examen par le Parlement et, peut-être, un référendum facultatif.

Le second scénario serait de rompre la collégialité. Face à ce qu’elle qualifie d’«urgence totale», l’UDC pourrait provoquer un électrochoc politique, par une déclaration publique ou un geste fort destiné à alerter l’opinion sur la gravité de la situation. Les conseillers fédéraux UDC ne sont pas élus pour se taire. La collégialité peut avoir sa vertu dans les affaires ordinaires, mais sur un dossier aussi essentiel que celui de la souveraineté nationale, doivent-ils vraiment se soumettre au silence ? N’ont-ils pas été élus pour représenter les positions de leur parti ?

Enfin, le troisième scénario consisterait à quitter le Conseil fédéral. L’UDC, seule formation à refuser clairement l’alignement européen, basculerait alors dans l’opposition. «Cet accord d’adhésion à l’UE reviendrait à abandonner la Suisse», a récemment déclaré Thomas Aeschi, conseiller national et chef du groupe parlementaire UDC. Contrairement à 1992, lors du vote sur l’Espace économique européen (EEE), il ne s’agit plus aujourd’hui d’un projet soumis au peuple, mais d’un processus déjà engagé, presque invisible, d’intégration juridique dans l’Union. Dire que les droits populaires seraient préservés relève, selon Mme Martullo-Blocher, de la pure moquerie. Ce pas vers l’Europe conduirait en outre à un rapprochement inévitable avec l’OTAN et, par là même, à la perte de notre indépendance, ou de ce qu’il en reste.

Quel que soit le scénario retenu, la campagne politique s’annonce difficile. Pour l’UDC, l’enjeu est capital : c’est l’avenir même de la Suisse, son indépendance, sa neutralité et sa démocratie directe qui sont en cause. Les partisans de l’Europe, eux, chercheront à minimiser la portée du vote, à le présenter comme une simple question de bon voisinage ou d’opportunité commerciale. Mais pour Magdalena Martullo-Blocher, l’heure n’est plus aux débats feutrés ni aux compromis consensuels dont la Suisse a le secret. Il s’agit, selon elle, de sauvegarder la souveraineté et la démocratie directe suisses avant qu’il ne soit trop tard. Ce vote ne sera pas une votation comme les autres. Reste à savoir si la campagne, elle, le sera.

 

https://youtu.be/UmhUovgneQs
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Eric Bertinat
À la suite de la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques, Éric Bertinat cofonde, avec ses amis les abbés La Praz et Koller, la revue Controverses (1988-1995). En 2010, il fonde l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame également une carrière politique dès 1984. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 avec l’UDC et occupe plusieurs postes clés jusqu’en 2013. Il est aussi membre du Conseil municipal de Genève à partir de 2011, où il exerce diverses présidences de commissions jusqu’en 2021. Le 5 juin 2018, il est élu président de ce Conseil pour la période 2018-2019.

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