Eric Bertinat – La campagne pour une 13e rente se déroule sur un ton très désagréable. La droite écrase toute envie d’améliorer le quotidien des retraités : leur principal argument étant de rappeler, non sans lourdeur, que la 13e rente « va nous coûter cher ». Et d’être plus pesante encore : l’augmentation du premier pilier est non seulement coûteuse mais antisociale ! Ainsi, augmenter l’AVS est antisocial donc préjudiciable pour la collectivité. Merci pour les seniors !

Des arguments que l’on a jamais entendu lorsqu’il a fallu financer l’installation durable de populations étrangères. Ainsi, depuis le 24 février 2022, la Suisse a débloqué environ 1,3 milliard de francs pour des mesures d’aide en faveur de l’Ukraine : plus de 270 millions pour aider le pays dans le cadre de la coopération internationale et d’autres types d’actions, et 1,035 milliard de francs pour l’accueil de réfugiés ukrainiens. Il n’y avait alors rien de coûteux, ni d’antisocial. A Genève, combien de ménages ont vu un logement leur échapper et être attribué à une famille ukrainienne ? Écoles, enseignants, psychiatres, aides communales (135 millions rien que pour le canton de Vaud), la facture est élevée et les Suisses se sont montrés généreux dans leur accueil. On peut deviner que la plupart des Ukrainiens installés en Suisse, et ceux qui viendront encore, y resteront durablement. Doit-on comprendre que pour la droite (et la gauche), ce sont des coûts utiles pour l’économie, alors que les rentiers AVS ne le sont pas ?

A Genève, lorsque la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG) a dû être recapitalisée à hauteur de 4,9 milliards de francs dont quelque 4,1 milliards de francs remboursables par des transferts en espèces ou de terrains à bâtir de l’Etat sur une période de 40 ans, nous n’avons pas entendu la droite dénoncer cette opération de sauvetage comme étant particulièrement coûteuse et antisociale. Pourtant, elle ne concernait que les fonctionnaires, leur assurant ainsi une retraite confortable, contrairement à de nombreux rentiers ayant travaillé dans le privé.

Ce qui nous amène à un autre argument à nuancer. Décaisser 4 milliards, dont une participation de la Confédération d’environ 800 millions. chaque année, nécessitera un relèvement de la tva. Une augmentation relativement faible pour la gauche, mais une hausse d’impôt quoi qu’on en dise. Ce que la gauche ne dit pas, pas plus que la droite, c’est que l’injection de 4 milliards dans l’économie est également une aide directe à la consommation. La 13e rente ne restera pas dans la poche des rentiers, n’y comptez pas !

A noter le dernier sondage de la SSR, réalisé par l’institut gfs.bern, donne les Suisses largement favorables à la 13e rente AVS. L’initiative sur les rentes des Jeunes PLR est, quant à elle, rejetée à 53%.

Eric Bertinat – Perspective catholique est avant tout une association qui s’intéresse à la question politique lorsqu’elle croise l’Enseignement bimillénaire de l’Église catholique. Certains sujets sont en marges de ce cadre, un pied dedans, un pied dehors. Ainsi en est-il des deux prochains sujets de votations fédérales (3 mars). Voilà plusieurs chroniques écrites sur ces objets dans lesquelles j’expose ma position. Elle vous invite à voter dans un sens mais sans plus, la liberté de vote est trop précieuse pour être confisquée par qui que ce soit. Les arguments de chaque camp méritent d’être entendus. C’est pourquoi je vous livre ce texte de l’excellent journaliste François Schaller, mesuré et dont la conclusion est, je l’espère, proche de la réalité d’un lendemain de votation.

13e rente : l’esprit plutôt que la rente

François Schaller – Mise au vote le 3 mars prochain, l’initiative populaire pour une treizième rente AVS part de la meilleure intention possible : « Mieux vivre à la retraite ». C’est d’ailleurs son nom, et cela ne veut certainement pas dire que le gouvernement et le parlement, qui l’ont rejetée, sont opposés à une si noble ambition. Les revenus de vieillesse sont devenus clairement insuffisants dans bien des cas, personne ne le conteste.

Les motifs de rejet sont dès lors de deux sortes. Il y a d’abord la question du financement incertain de cette treizième rente. On parle de cinq milliards de francs par an sur le long terme, soit à peu près le budget militaire d’avant-guerre (en Ukraine). Dans quelle mesure faudra-t-il augmenter les cotisations AVS paritaires, ou même la fiscalité?

Ce genre de prévision dépend de paramètres démographiques notoirement peu fiables lorsqu’ils dépendent eux-mêmes d’une immigration nette et active. Où en seront, dans les années trente, l’économie suisse et surtout l’emploi, pourvoyeur de contributions AVS à répartir? Nul ne le sait. Entre 1990 et 2020, la population cotisante est passée de 4 à 5 millions d’unités… on se souvient à quel point personne n’avait prévu cela. C’est en premier lieu ce prodige qui a démenti jusqu’ici le pessimisme ambiant sur le poids croissant des boomers et le sombre avenir de l’assurance vieillesse.

L’autre argumentaire est beaucoup moins prospectif. Il s’en prend simplement au mauvais ciblage de l’initiative. Au secours de qui veut-on venir au juste ? Certainement pas de celles et ceux qui n’ont besoin de rien. Les hauts salaires cotisent beaucoup à l’AVS, admettons que l’on puisse leur faire cadeau du treizième plafonné de madame et monsieur tout le monde. Mais les investisseurs et dirigeants d’entreprise qui se font rémunérer uniquement en tant qu’actionnaires ? Ils auront droit à la rente minimale, bien que n’ayant pas cotisé. Va-t-on leur verser en plus une treizième mensualité ?

Sans parler des grandes et moyennes fortunes. 15% environ des retraités (individuels ou en couple) déclarent une fortune de plus d’un million de francs. Un franc sur deux vient des héritages (les 3/4 des 1% les plus riches sont d’ailleurs des héritiers). Et 60% de tous les héritages perçus le sont par des personnes de soixante ans et plus.

A l’opposé, 15% seulement des retraités ne déclarent aucune fortune. 12% perçoivent des prestations complémentaires (PC), prises sur les dépenses courantes de la Confédération et des cantons (plus de 3 milliards). Il n’est heureusement pas question de les supprimer. A noter qu’il n’est pas nécessaire non plus de n’avoir aucune fortune pour bénéficier des PC. Une personne seule peut les obtenir avec 100 000 francs, un couple avec 200 000. Ce sont leurs héritiers qui devront se priver (en partie du moins).

Va-t-on par ailleurs verser une treizième rente au tiers de l’ensemble des bénéficiaires actuels de l’AVS, qui résident à l’étranger (800 000 personnes environ) ? N’ont-ils pas déjà bénéficié, au fil des ans, d’une appréciation de quelque 45% du franc par rapport à l’euro ? Au final, l’équivalent de 5,4 treizièmes rentes chaque année, avant même d’évoquer les écarts de coût de la vie.

En gros, ce sont bien plus de la moitié des gens qui n’ont de toute évidence pas «besoin» de treizième rente. Cela ne veut pas dire que cette étrange initiative, qui vient de l’Union syndicale suisse (USS), n’a aucune chance d’être acceptée. Si elle l’était, on imagine quand même que la loi d’application tiendrait compte de certaines réalités. Quitte à n’intégrer qu’une partie du nouvel article constitutionnel. L’esprit plutôt que la lettre, dira-t-on, ou quelque chose comme cela. Ce ne serait pas la première fois. »

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Newsletter N° 184 – 29 janvier 2024 | Source : Perspective catholique