Christian Bless« S’il y a une seule chose sur la terre qui, par sa nature même, doit manifester la centralité de Dieu, c’est bien la sainte messe. » C’est ainsi que Mgr. Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de l’archidiocèse d’Astana au Kazakhstan, conclut et résume l’important ouvrage qu’il consacre à La messe catholique (Éditions Contretemps, Paris). Ce n’est pas là une affirmation faite comme en passant mais bien le cœur de son ouvrage. Il appuie son propos d’une citation du pape Benoît XVI qui, contre les relativismes et les subjectivismes qui minent toute réflexion moderne, nous enseigne dans la préface de l’ouvrage de dom Alcuin Reid intitulé Le développement organique de la liturgie (The organic Develoment of the Liturgy, Ignatius Press) : « Si la liturgie apparaît d’emblée comme un atelier où se déploie notre activité, cela veut dire qu’on oublie l’essentiel : Dieu. Car dans la liturgie, il ne s’agit pas de nous mais de Dieu. »

La messe n’est pas une réunion humaine où s’expriment les sentiments et la débilitante convivialité très en vogue dans le désert intellectuel et spirituel contemporain, elle est le lieu du renouvellement non sanglant du Sacrifice de la Croix sur l’autel consacré. Le prêtre spécialement et irrévocablement ordonné à cette action sacrée, y réalise pleinement, in persona Christi, le renouvellement du Sacrifice du Christ au Golgotha voici quelque 2000 années. Cet acte central de l’histoire, source unique du salut éternel de l’homme, n’appartient à personne, le prêtre consécrateur et le fidèle n’y apportent rien. Il se poursuit à travers les siècles sans changement. C’est le Fils de Dieu qui accomplit cette action. Le fidèle prosterné est façonné par cette action divine. « Bonorum meorum non indiges», nous fait chanter le Psaume, « Seigneur, vous n’avez pas besoin de mes biens. » Parce que, révèle-t-il à Moïse : «  Je suis Celui qui suis. » A sainte Catherine de Sienne, Il enseignera : « Je suis Celui qui suis, tu es celle qui n’est pas. » Le fidèle est invité à franchir une porte sacrée et à prendre pied dans l’Éternité. La célébration de la messe n’a pas plus de valeur si y assiste une foule nombreuse ou si elle est renouvelée par un prêtre seul à l’autel. Elle est un acte éternel qui nous dépasse infiniment.

La liturgie millénaire nous rappelle ces réalités infinies en nous enseignant sans cesse, dans l’Introït de la messe de la dédicace des églises, que : « Terribilis est locus iste : hic domus Dei est et porta caeli.» Une église consacrée, où se renouvelle le Saint Sacrifice de la messe est un lieu terrible, demeure de Dieu et porte du Ciel. L’abandon mystérieux par le clergé de la compréhension et de l’enseignement de ces immenses réalités les a fait totalement disparaître de notre horizon spirituel, intellectuel et culturel. La plus humble chapelle n’est pas un local polyvalent, ce n’est pas un lieu d’accueil qui permette à des êtres esseulés de se retrouver, ce n’est pas une salle de concert même de « musique sacrée » qui vous procure bien-être et émotions « spirituelles». Nous sommes là fermement établis dans une autre dimension. Dieu s’est fait homme afin que l’homme soit divinisé par la grâce. La Sainte Église, l’Épouse, chante alors le verset de l’Apocalypse : « En ces jours-là, je vis la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descendre du ciel d’auprès de Dieu. » Le Verbe infini de Dieu, par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait, Créateur et Sauveur hors de qui il n’y a point de salut, vient sur l’autel par l’intermédiaire du prêtre à qui ce pouvoir inouï a été conféré par un successeur des Apôtres, lui-même l’ayant reçu de Celui qui est le grand Prêtre éternel. Pouvoir qui le met définitivement à part, quels que soient ses insuffisances, ses faiblesses et même ses péchés.

Ces immenses réalités ont été abandonnées et saccagées par une hiérarchie ignorante, impie et apostate qui avec une suffisance confondante a réduit en cendres le rite de la messe et des sacrements, l’Office divin qui en est comme l’écrin, le sanctoral millénaire, la musique sacrée grégorienne qui vient du ciel et faisait l’admiration même de ceux qui étaient éloignés de l’Église une, sainte, catholique et apostolique.

Déjà en 1969, avant mêmel’entrée en vigueur du Nouvel ordo Missae (NOM) promulgué par Paul VI, et donc avant que les supposés abus aient pu survenir, les cardinaux Ottaviani (ancien Préfet du Saint Office, ce qui n’est pas tout à fait rien) et Bacci écrivaient au pape : « Le nouvel Ordo Missae (…) s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe cession du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les « canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère. » Savons-nous lire ? Comprenons-nous la gravité de ce que nous lisons ? Les cardinaux réclamaient alors au Saint Père, dans cette même lettre du 3 septembre 1969, l’abrogation de ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle messe. En effet, que reste-t-il d’une messe qui s’éloigne de façon impressionnante de la théologie catholique de la messe ? Elle n’est catholique ni dans son texte ni dans son esprit même. La barrière infranchissable a été abattue par celui-là même qui avait charge de la défendre, un pontife romain. Mystère d’iniquité.

Dans les pas des cardinaux cités et de ceux subséquents de Mgr Marcel Lefebvre, Mgr Athanasisus Schneider offre à notre méditation un ouvrage important sur La messe catholique. Avant de parcourir ces pages, arrêtons-nous un instant sur l’hommage que l’évêque Kazakh adresse à l’ancien archevêque de Dakar, dans un précédent ouvrage, Christus vincit (Contretemps, Paris) : « … c’est surtout Mgr Lefebvre (…) qui a commencé, avec une franchise semblable à celle de certains des grands Pères de l’Église, à protester contre la destruction de la foi catholique et de la sainte messe … ». Comparer Mgr Lefebvre à un Père de l’Église, voilà un compliment qui n’est pas mince.

Comme un prêtre monte les marches qui vont le conduire à la célébration de la messe, face à Dieu, Mgr Schneider va, par degré, élever sa contemplation du Mystère eucharistique attirant notre attention sur l’infinie richesse des prières qui tissent la toile de l’action liturgique. Il n’est sans doute pas de page où le lecteur n’approfondira sa connaissance de ces textes millénaires et n’en pénétrera plus intimement l’inépuisable missel romain.

Invité dans le cadre de l’émission Les hommes en noir, Mgr. Athanasisus Schneider est interrogé sur ce qu’il conviendrait d’entreprendre pour rectifier le NOM. L’évêque d’Astana répond : orienter à nouveau le déroulement liturgique vers Dieu et le soleil levant, tournant le dos aux fidèles pour lesquels il intercède et dont il offre les prières unies à celle de la Victime divine, rétablir les prières de l’Offertoire et le Canon romain expression de la foi et de l’unité catholique. C’est, en fait, ce qui a été appelé, malencontreusement, la réforme de la réforme. Les mots ont un sens et, comme nous l’avons vu plus haut, en 1969, il n’y a pas eu une réforme, mais bel et bien une révolution contre la tradition et les principes liturgiques les plus éprouvés ; une volonté de rupture contre la liturgie traditionnelle qui avait rendu gloire à Dieu et sanctifié les âmes des siècles durant. De plus, cette rupture a été imposée par la violence et contre le missel restauré et, en quelque sorte, canonisé par le pape saint Pie V et l’Église au XVIe siècle, contre le droit, la justice, la piété filiale et le bien des âmes. On ne réforme pas une révolution, l’on doit revenir aux principes qu’elle a voulu détruire, la rendant illégitime quand bien même elle serait, probablement de moins en moins souvent, valide. Vraisemblablement, il n’y aura pas de réforme de la réforme pas plus que d’enrichissement mutuel des deux rites car l’on ne voit pas bien ce que l’indigence, la laide médiocrité du NOM pourrait bien apporter à l’usus antiquor ? Lentement, irrésistiblement, malgré les persécutions d’une hiérarchie à la dérive, malgré Traditionis custodes, les âmes seront attirées surnaturellement par la célébration de sainte messe selon le rite traditionnel romain, défendue par la fidélité des laïques et l’abnégation d’un clergé qui aura compris que sa vocation première est de monter tous les matins à l’autel pour renouveler le Sacrifice de la Croix, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. Le reste nous sera donné par surcroît.

Sans penser même, dans un premier temps, épuiser l’enseignement de ces pages, il faut témoigner ici la plus grande reconnaissance à Mgr Athanasius Schneider et à son éditeur Jean-Pierre Maugendre pour cet ouvrage d’une richesse abyssale dont la lecture approfondit la foi et nourrit la prière contemplative. Dieu premier servi ! Il faudra donc y revenir.

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(1) https://www.youtube.com/watch?v=gy8-XRJqFvY

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Newsletter N° 107 – 6 décembre 2022 | Source : Perspective catholique