Christian Bless –

Peter J. Kreeft ouvre son essai intitulé « Comment détruire la civilisation occidentale » (How to destroy Western Civilization) en affirmant : «La chose la plus nécessaire que nous puissions accomplir – la mesure la plus importante qui puisse jamais être entreprise par les citoyens pour sauver leur civilisation, en tout temps et en tout lieu quelle que soit la culture (…) – est de donner naissance à des enfants. Si vous n’enfantez pas, votre civilisation cessera d’exister. »  Il précise : « Avant de pouvoir être bon ou mauvais, religieux ou irréligieux, vous devez exister. »

Dans ses Mémoires vagabondes, Louis Selim Chedid, ancien directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Institut Pasteur affirmait : « Aux quatre grands révolutionnaires qui dynamitèrent le XXe siècle (Karl Marx, Freud, Einstein et Picasso), j’ajouterai certainement Gregory Pincus (le père de la pilule contraceptive). Largement responsable des églises qui se vident et des bureaux qui se remplissent, du nombre de bébés qui fond au soleil de la pilule et de celui du cinquième âge qui pointe à l’horizon, on lui devrait aussi le déclin de l’Europe. » L’auteur complète cette perspective en citant l’Histoire des Mœurs de Jean Poirier : « C’est ainsi qu’en 1943, à Paris, une sage-femme fut condamnée à mort et exécutée pour avoir pratiqué un avortement. Moins de quarante ans plus tard, le même acte était remboursé par la Sécurité sociale. Nous ne pensons pas qu’il soit possible de trouver, à travers toutes les cultures, un autre exemple (en un temps aussi court) d’un tel renversement de situation. »

Ce ne sont pas seulement les églises qui se vident mais le déclin d’un monde qui s’amorce, un suicide démographique, intellectuel, spirituel. S’installe alors une véritable culture de mort, comme la nommera le pape Jean-Paul II dans les années quatre-vingt-dix. Le suicide d’une civilisation, dite occidentale parce que l’on ne veut plus l’appeler anciennement chrétienne et donc apostate.

La nature ayant horreur du vide, se met alors en place progressivement ce que Renaud Camus a nommé Le grand remplacement. Remplacement des populations déclinantes par des peuples allogènes, des cultures, des mœurs et des croyances hostiles au christianisme.

Les dynamiques démographiques façonnent, dans une large mesure, l’histoire et le destin des peuples. Cet effondrement culturel et religieux de l’Europe, peu ou prou centre du monde et référence enviée jusqu’en 1939, va contaminer les peuples attachés à ce modèle occidental. Notre continent déchristianisé, héritier d’Athènes et de Rome, centre de la catholicité, va contaminer les mentalités et les mœurs des autres peuples qui lui étaient proches. Jusqu’à l’abandon de la loi naturelle, résumée dans le Décalogue.

Longtemps préservé par une forte structure familiale, des coutumes ancestrales et une foi vivante, le Liban de saint Maron, saint Nimatullah al Hardini, sainte Rafka et tant d’autres va progressivement se laisser entraîner dans une soi-disant modernité, amplifiée par le terrible ébranlement de la guerre qui va se dérouler sur son territoire de 1975 à 1991 (pensons que les deux guerres mondiales ont duré environ quatre années seulement !). Les ordres religieux latins, au travers de leurs institutions scolaires et universitaires, vont contribuer à la diffusion de cette atmosphère intellectuelle mortifère.

Le déclin démographique des communautés chrétiennes, parallèlement à la croissance des populations musulmanes sunnites et chiites, va conduire à la marginalisation des chrétiens qui étaient probablement encore majoritaires au moment de la fondation du Grand Liban en 1920, ce qui permit alors de justifier leur prééminence politique. Il nous revient une anecdote des années 1980. Une nuit, en visite dans un poste militaire dans la montagne, un milicien fièrement nous asséna que « contrairement aux musulmans, nous ne faisons pas des enfants comme des lapins». Il lui fut alors répondu que, dans ce cas, rien ne servait de risquer sa vie à défendre cette montagne, que la bataille était perdue. Incident révélateur des mentalités « occidentales » suicidaires et des dynamiques démographiques en cours. Cinq ou six cent milles jeunes chrétiens de plus au Liban créeraient aujourd’hui un cadre politique et culturel différent, sans compter tous ceux qui ont émigré.

Les équilibres démographiques évoluent sur le long terme et il faut plusieurs générations pour influer sur les courbes, quand bien même cela serait envisageable. Le volontarisme en la matière se révélant impuissant contre une cassure de l’âme et de l’intelligence des peuples qui, sans s’en rendre compte, ne croient plus en leur bienfondé et en leur avenir.

L’absence de statistiques précises ne permet pas d’examiner des chiffres exacts mais il est généralement admis que les anciennes communautés chrétiennes, majoritaires en 1920, représenteraient, aujourd’hui, seulement 35% de la population libanaise et cela sans compter les quelque 400’000 Palestiniens chassés et spoliés de leurs terres ancestrales, et qui ne quitteront plus jamais le territoire libanais, ainsi que les 1,5 millions de réfugiés syriens dont on peut penser que, quel que soit l’avenir, la plupart y sont installés pour toujours. Les équilibres démographiques sont ainsi modifiés durablement au détriment des chrétiens. Il reste donc à voir combien de temps encore, les chrétiens auront le droit de faire sonner les cloches des églises, comme le voulait Béchir Gemayel. Des milliers de chrétiens ont donné leurs vies pour ne pas être privés de ce droit à célébrer publiquement l’Incarnation du Fils de Dieu et sa gloire à toutes volées.

Ici encore, le Liban chrétien nous envoie un avertissement. Le martyre des chrétiens du Liban, et des chrétiens d’Orient en général, nous adresse un cri angoissé mais nous sommes occupés ailleurs.

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Newsletter N° 105 – 1er décembre 2022 | Source : Perspective catholique