Abbé Alain René Arbez – Dans la compréhension des textes bibliques, on retrouve souvent des interprétations inappropriées dans les messages publics abordant la question de la coexistence entre religions. En voici deux qui méritent réflexion en raison de leurs conséquences problématiques à l’heure du choc des civilisations. L’enjeu est majeur, puisque les messages ainsi diffusés le sont au nom de Notre Seigneur Jésus Christ. Le dévoiement du texte biblique consiste à :
1. Confondre les recommandations interpersonnelles avec des exigences collectives
2. Faire la confusion entre la fraternité humaine universelle et la fraternité de foi dans la relation à Dieu
Comprenons bien, en fonction du contexte initial
Lorsque Jésus demande de respecter son frère et d’être capable de lui pardonner, il considère essentiellement les relations interpersonnelles entre coreligionnaires, au sein du judaïsme, conseils repris dans les communautés issues de son mouvement spirituel (christianisme). Le fait de «tendre l’autre joue» est une invitation bienveillante à sortir de l’engrenage conflictuel entre deux personnes. Mais il ne s’agit aucunement d’en déduire qu’il faudrait baisser la garde devant une agression collective organisée par tout un groupe hostile ou une armée conquérante. Idem face à des attaques idéologiques massives.
De manière générale, Jésus est réaliste face aux ambiguïtés humaines, et il demande de rendre à César ce qui est à César et surtout de ne pas oublier de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Or, s’il faut faire face à une attaque violente qui mettrait en danger la survie de la communauté, on peut comprendre que la capacité du pardon individuel ne s’applique plus et que par conséquent il est légitime de se défendre collectivement avec les moyens appropriés. Permettre au peuple de se défendre n’est pas un droit, mais un devoir moral, et toute la tradition biblique le démontre dans des étapes significatives de l’histoire sainte. Lors de la menace existentielle turque sur la chrétienté, la victoire de Lépante en est une illustration emblématique dans l’histoire de l’Église soucieuse de protéger sa civilisation.
De nombreux documents officiels catholiques et protestants font généreusement référence à la «fraternité» pour exhorter à juste titre à des changements de comportements plus altruistes. Il est vrai que la société actuelle conditionne les jeunes générations à l’individualisme hédoniste. Mais là encore, il y a souvent confusion, car il existe deux niveaux de fraternité qui ne sont pas interchangeables.
Ainsi, après l’encyclique «Fratelli tutti» du pape François, certains commentateurs imaginent que la fraternité en humanité est équivalente à la fraternité dans la foi, ce qui conduit la réflexion sur une pente dangereuse. Certes, tous les hommes sont frères en humanité, dans une égale dignité. Mais tous les hommes ne sont pas frères dans l’adhésion à l’alliance avec Dieu, incarnée dans l’engagement personnel de Jésus et sa présence sacramentelle. Ainsi, affirmer «nos frères musulmans», ou «nos frères animistes», sans préciser qu’il s’agit de fraternité humaine et non de fraternité spirituelle est un dangereux quiproquo. En effet, l’animisme et ses entités n’a aucun lien avec la foi, de même le coran n’est pas une version arabe de la Bible des Juifs et des Chrétiens, chaque tradition doit donc être considérée dans sa spécificité politico-religieuse.
Un danger majeur se manifeste : dissoudre la fraternité de conviction (foi biblique) dans la fraternité universelle. Autrement dit, transformer la catholicité en mondialisme… C’est au nom d’une idéologie de fraternité planétaire que l’identité de foi chrétienne est décrite par certains comme une régression, une arrogance égoïste. Alors que cette identité explicite recouvre une dimension théologique vérifiable dans l’histoire et qui n’est donc pas soluble dans le sentimentalisme.
Ces nécessaires distinctions n’enlèvent rien à un louable effort commun pour rapprocher les peuples, mais il est préférable de savoir de quoi l’on parle afin de ne pas glisser vers des réductions idéologiques à la mode. Souvent le dogme de l’inclusivité abolit les frontières de la logique et du bon sens et renforce le relativisme déjà omniprésent.
Même si elle invite à respecter et à aimer tous les êtres humains, la fraternité, en religion biblique, n’est jamais réductible à la fraternité en humanité. C’est le mystère de la rédemption du monde à travers l’élection d’Israël, lumière des nations, et celle de l’Eglise, greffée sur le tronc hébraïque primordial et sa sève divine. La Révélation du Dieu d’amour exige du discernement et la conscience d’une identité croyante, la foi ne se réduit pas à un humanisme…
« Si le sel perd sa saveur, avec quoi le salera-t-on ? »


