Abbé Alain-René Arbez – Dans son évangile, Matthieu nous parle de la naissance de Jésus avec une grande retenue. Il nous dit simplement que Jésus (dont le nom signifie : Yahvé sauve) est né à Bethlehem de Judée. Mais ce petit village proche de Jérusalem est déjà célèbre: c’est le lieu de naissance du roi David.

Depuis Matthieu, les siècles ont amené leur lot de bouleversements, et aujourd’hui, comme nous l’entrevoyons à travers ce que veulent bien nous en dire les médias, Bethlehem vit des situations difficiles. A l’époque de Jésus, des petits enfants de son âge ont été tués, éliminés dans un calcul politique : c’est le massacre des saints innocents, qui révèle le côté sombre et brutal de l’humanité. Ensuite, après les invasions successives et les déportations des autochtones, Bethlehem n’a plus donné cette image de la Judée, le « pays des Juifs », tel que Jésus et les siens l’ont connu. A la période contemporaine, les chrétiens qui étaient largement majoritaires à Bethlehem il y a encore 25 ou 30 ans ne sont maintenant qu’à peine 20%…Et comme dans tout l’Orient, sous la pression hégémonique de l’islam, les familles chrétiennes quittent peu à peu la région et les juifs s’isolent dans des implantations retranchées.

Quand Matthieu annonce dans son évangile la naissance de Jésus, il donne lui aussi les précisions politiques qui caractérisent l’époque, car cela explique les événements : l’évangéliste relève que c’est sous le roi Hérode que ce petit enfant a vu le jour. Il est l’enfant des promesses faites à Israël et en raison de ce qu’il est, malgré son apparence fragile, Jésus est nettement plus roi des juifs que le roi Hérode qui détient le pouvoir officiel : en effet, Hérode est l’homme de paille parachuté par les Romains occupants et il n’est même pas du pays. C’est un Iduméen, dont la mère est arabe nabatéenne.

Or, justement, l’enfant juif que les bergers d’Israël ont accueilli dans la nuit de Noël attire, à travers tout ce qu’il représente, trois autres personnages énigmatiques venus des grandes cités d’Orient. La tradition les a souvent appelés les rois mages, mais ils ne sont ni rois, ni mages. Ce sont des savants, qui représentent des civilisations évoluées à l’époque. Ils étaient des chercheurs de vérité, car en ce temps-là il en était déjà comme de nos jours: face à quantité de fausses nouvelles, il fallait scruter le vaste horizon des effets d’annonce pour y déceler une lueur authentique, en sachant discerner le vrai du faux!

Par exemple, aujourd’hui, alors que beaucoup s’interrogent sur le sens de la vie, on voit de faux prophètes qui par le biais des médias lancent leurs annonces extravagantes… des sectes recrutent parmi des personnes déboussolées, souffrant de mal-être, et des sociétés secrètes se présentent comme porteuses de connaissances réservées aux initiés.

L’évangile de l’épiphanie nous dit tout autre chose : Jésus est né de l’Esprit même de Dieu dans le sein de la Vierge Marie, fille de Sion. Il n’est pas le produit d’un processus humain, et en cela, il est la pure expression de la volonté de Dieu. Ce Dieu rédempteur qui veut transformer notre humanité non par la force mais par un dialogue intérieur, sans faire violence à qui que ce soit. C’est l’alliance entre l’amour de Dieu pour l’humanité et la foi humaine en Dieu. L’événement de Bethlehem nous rappelle ainsi le sens du mystère de la vie, la grandeur de l’aventure humaine sous le regard de Dieu. C’est parce que cet enfant Jésus est né sous le signe de l’humilité, qu’il laisse rayonner toute l’authenticité de la Parole de Dieu. Et en lui, toute la tradition de la Bible hébraïque chante la grandeur de la destinée humaine. Car la joie et la paix de la Nativité concernent non seulement le peuple de Dieu, premier témoin, mais aussi tous les peuples en recherche de vérité. Les prophètes avaient annoncé que les autorités de toute la terre sauraient un jour reconnaître la lumière qui, à Jérusalem, émane de la Torah et des Ecritures saintes. C’est l’épisode des trois visiteurs étrangers venus de loin honorer Jésus roi des juifs, comme étant la figure du monde à venir.

Matthieu insiste sur la nouveauté mais aussi sur la continuité : Jésus est vraiment de la lignée spirituelle de David, mais il va en même temps permettre à son peuple de réaliser l’ouverture à une dimension universelle de la foi au vrai Dieu déjà annoncée par les prophètes.

Cette naissance, c’est donc une promesse pour l’humanité entière: un signe majeur dans l’horizon de tous les peuples encore sous l’influence de l’idolâtrie. L’événement de Bethlehem nous offre le critère décisif pour discerner la valeur des cultures et des religions de notre temps : culture de vie ou culture de mort, religion de service ou d’asservissement? Conformisme légaliste ou éducation à la responsabilité?

A la suite de la manifestation de l’étoile lumineuse dans le ciel de Judée, voici l’arrivée de ceux qu’on appelle les mages, qui représentent toutes les cultures. Ils se sont mis en mouvement vers Bethlehem, un peu comme s’ils étaient aimantés vers la Terre sainte, le lieu symbolique de la Parole de Dieu. A l’inverse, dans nos sociétés d’aujourd’hui, déstabilisées par toutes sortes de courants contradictoires, on a le sentiment que la boussole spirituelle est détraquée et que les individus comme les sociétés tournent en rond ou font même marche arrière, en tout cas ne vont pas dans la direction d’un accomplissement humain.

Pour exprimer leur confiance dans la personne même de Jésus, les mages n’ont pas fait de tour de magie ! en se prosternant, ils ont apporté des présents qui sont riches de sens : de l’or, de la myrrhe et de l’encens. Ils ont ainsi tenu à rendre hommage au roi des juifs, car leurs cadeaux correspondent précisément à ce qu’est Jésus. Les Saintes Ecritures désignent Israël « peuple royal »: le cadeau royal correspondant, c’est l’or. Israël, peuple sacerdotal : le cadeau correspondant, c’est l’encens. Israël peuple prophétique: (donc une mission dangereuse) et c’est la myrrhe qui évoque l’embaumement.

Cette fête a été plus importante que Noël dans les premiers temps de l’Eglise, elle a pris le nom d’Epiphanie… c’est-à-dire « manifestation », le même terme qu’on employait couramment dans l’antiquité lorsqu’un roi venait rendre visite à son peuple. Cette manifestation royale donnait cours à des festivités, des illuminations, et à la distribution de cadeaux à la foule rassemblée en son honneur.

La fête de l’épiphanie célèbre celui qui vient visiter son peuple, pour reprendre la formule biblique. Car Dieu, berger d’Israël, est toujours soucieux d’aller à la rencontre des siens, pour rassembler dans sa paix toutes les nations du monde. La paix de Noël est offerte pour être transmise. Elle est d’abord donnée à tous ceux qui aspirent à la guérison, à la réconciliation, au progrès de la fraternité, au respect réciproque entre cultures. Au vu des événements du monde, ce message de paix est d’actualité, il reste providentiel : les bergers de Bethlehem l’ont accueilli, les mages venus d’Orient l’ont accueilli, et nous, nous sommes aussi prêts à l’accueillir, à le transmettre et surtout à le concrétiser par nos initiatives personnelles et communautaires.

Alors avec Marie et Joseph, contemplons cet enfant de la crèche qui nous rappelle que toute vie est une promesse ! Amen.

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Lettre d’information N° 37 – 8 janvier 2021 | Source : Perspective catholique