Genève et Mgr Lefebvre : histoire d’une promesse tenue

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Eric Bertinat – Dès la clôture du Concile Vatican II, le clergé catholique suisse s’empressa d’appliquer les réformes qu’il appelait de ses vœux depuis longtemps. Acquis au modernisme — ou, pour mieux dire, au libéralisme — bien avant le concile, il s’y engagea avec un zèle que certains ne purent suivre. Quelques fidèles, attachés à la liturgie de toujours, refusèrent ces nouveautés souvent déroutantes, parfois grotesques, voire sacrilèges. Ils soutinrent de rares prêtres demeurés fidèles à la Tradition, tels l’abbé Laurent Gamacchio (1902-1993), ancien curé d’Aire-la-Ville puis d’Avusy, retiré à Drize.
C’est souvent au domicile de ces prêtres que furent aménagées de modestes chapelles, bientôt trop exiguës pour contenir l’afflux croissant de fidèles. Apprenant par la presse la lutte courageuse de Mgr Marcel Lefebvre, ils le contactèrent. Le prélat leur promit l’envoi d’un prêtre, à condition qu’ils trouvent un lieu de messe. En une semaine, tout fut prêt : l’autel, les ornements, le calice — tout ce qu’il fallait pour le Saint Sacrifice — furent rassemblés et transportés chaque dimanche dans un minibus-chapelle confié à la famille de Georges Roth. La salle communale de Plainpalais fut louée, et le 30 novembre 1975, pour la fête du Christ-Roi, la première messe traditionnelle fut célébrée à Genève. C’était il y a cinquante ans.

Pendant plusieurs années, ces montages et démontages d’autel, exigeants, astreignants, marquèrent la vie de la communauté. Puis une ancienne ferronnerie, située rue du Cardinal-Mermillod à Carouge, fut acquise. Après d’importants travaux, Mgr Lefebvre lui-même y célébra la première messe de Noël en 1979. Il revint le 23 mars 1980 pour bénir et inaugurer définitivement le nouvel oratoire.

Pour les anciens de la paroisse, ces débuts demeurent empreints d’une profonde nostalgie. Reviennent alors les noms de abbés Denis Roch, Henri La Praz, Daniel Maret, Bernard Carron et de tant d’autres amis dont quelques uns sont aujourd’hui disparus. Discrets, constants, indifférents aux modes et aux acrobaties doctrinales, ces Genevois ont su maintenir la flamme de la foi.

Une messe en 1975, un prêtre et une cinquantaine de fidèles silencieux et fervents ; en 2025, ils sont désormais quatre prêtres à Genève, célébrant chaque dimanche quatre messes pour près de cinq cents âmes à l’Oratoire Saint-Joseph de Carouge. Autour d’eux gravite encore tout un peuple fidèle — le double, sans doute — qui continue, dans la sérénité et la ferveur, d’honorer la promesse faite il y a un demi-siècle.

Parmi les nombreuses anecdotes qui jalonnent cette histoire, deux méritent d’être rappelées. L’ancien propriétaire de la ferronnerie, protestant, avait vendu le bâtiment à des conditions avantageuses ; peu après, touché par la grâce, il se convertit au catholicisme et reçut le baptême le 9 août de la même année, avant que Dieu ne le rappelle à Lui quelque temps plus tard.

Plus récemment, chacun se souvient de l’éboulement qui a enseveli Blatten le 28 mai dernier. Plus rien ne subsiste de ce village, plus aucun souvenirs. Sauf trois autels : ceux de l’ancienne église Notre-Dame du Rosaire, construite en 1877 lorsque la paroisse s’était séparée de celle de Kippel. Démolie en 1985 et remplacée par une église moderne, ses trois autels néogothiques avaient été rachetés par la Fraternité Saint-Pie X. Le maître-autel fut placé à l’église Notre-Dame de Lépante, à Montreux, et les deux autels latéraux installés à l’Oratoire Saint-Joseph de Carouge, où ils se trouvent encore aujourd’hui. L’oratoire a ainsi l’honneur de conserver ce qui subsiste du patrimoine sacré de Blatten.

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Eric Bertinat
À la suite de la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques, Éric Bertinat cofonde, avec ses amis les abbés La Praz et Koller, la revue Controverses (1988-1995). En 2010, il fonde l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame également une carrière politique dès 1984. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 avec l’UDC et occupe plusieurs postes clés jusqu’en 2013. Il est aussi membre du Conseil municipal de Genève à partir de 2011, où il exerce diverses présidences de commissions jusqu’en 2021. Le 5 juin 2018, il est élu président de ce Conseil pour la période 2018-2019.

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