Abbé Thibault de Maillard (FSSPX) – Les réglementations liberticides ne cessent pas de resserrer leur étreinte sur les pays occidentaux. Les citoyens qui, en réaction, militent pour un système où la liberté est posée comme principe suprême tombent pourtant sous le reproche de Chesterton : « ils déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes. » Retour aux principes.

Saint Thomas d’Aquin considère que la société est naturelle. Pour Saint Thomas, la société n’existe donc pas uniquement parce qu’un accord a été établi entre les citoyens d’un même pays. Elle existe parce que l’homme est naturellement sociable. (Voir St Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia-IIae, q. 94, a.2)

Les penseurs des Lumières pensent au contraire que la société n’est pas naturelle. Seul l’individu est naturel. Seul l’individu est donc titulaire de droits naturels : ce sont les Droits de l’Homme. La majorité des idéologies politiques occidentales sont issues de ce principe, qui se définit sous le terme d’«individualisme». Il existe cependant plusieurs manières de décliner le contrat social. Un contrat social dont le but est l’instauration de l’égalité (Rousseau) et un autre de la liberté (Locke) ou un autre (Hobbes) de la sécurité.

Pour Rousseau (1712-1778), l’égalité naturelle entre les hommes prime sur la liberté individuelle. Pour que cette égalité naturelle soit transposée en politique, tous les hommes renoncent à leurs droits individuels pour recevoir en échange des droits civiques tous égaux, qu’ils tiennent de l’Etat seul. La liberté est donc abandonnée à l’Etat : selon Rousseau, « chacun de nous met sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale. » C’est la base de tous les totalitarismes. C’est aussi le système de pensée de tous les régimes occidentaux actuels.

Nombre de nos contemporains, opposés aux politiques liberticides occidentales, et par rejet compréhensible de cette intrusion de l’Etat dans la liberté individuelle, adoptent le système des Droits de l’Homme de Locke (1632-1704). Pour Locke, la société a d’abord pour but de garantir les droits naturels des individus : droit à la vie, à la liberté, à la sûreté corporelle ou à la propriété des choses nécessaires. Dans cette mesure, l’Etat libéral est, en priorité, garant de la liberté des citoyens. (Voir Jean-Marie Carbasse, Manuel d’introduction historique au droit, puf, coll. Droit fondamental, Paris, 2002 p. 245).

Mais cette option est également une impasse. En effet, dans ce dernier cas, l’homme reste l’unique créateur de son système idéologique, sans référence au réel et à Dieu. Rien n’empêchera, là non plus, le législateur d’étirer ou de restreindre la notion de liberté en fonction de l’utilité du moment. C’est l’État qui garantit les libertés : il les donne, donc il peut les reprendre. De plus, « dans une société d’hommes, la liberté digne de ce nom ne consiste pas à faire tout ce qui nous plaît : ce serait dans l’Etat une confusion extrême, un trouble qui aboutirait à l’oppression. » (Léon XIII, Encyclique Libertas, 20 juin 1888). Dans les faits, l’option libérale absolue a toujours été jugée irréalisable, parce qu’elle repose sur une conception naïve de l’homme.

Pour garantir l’équilibre entre liberté et contrainte, le recours à la doctrine de Saint Thomas se présente comme une option adaptée à notre époque. La société est naturelle. Ses lois, naturelles aussi, doivent donc toujours être appliquées. L’une d’entre elles, le principe de subsidiarité, règlera la répartition des libertés, demandant que le pouvoir de décision dans une société soit délégué au plus bas possible de la hiérarchie, à proportion des capacités du subordonné. Par ce principe organique et intelligent, Saint Thomas trace une ligne équilibrée entre l’étatisme omnipotent et l’individualisme libéral.

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Newsletter N° 141 – 22 juillet 2023 | Source : Perspective catholique