Le consentement présumé en question

Eric Bertinat – La campagne de votation du 15 mai prochain a officiellement démarré cette semaine. Le Conseil fédéral, par son magistrat chargé de la santé, Alain Berset, a donné une conférence de presse pour défendre la révision de la loi sur la transplantation qui introduit un principe du consentement présumé avec consultation des proches en lieu et place du principe de consentement explicite. Cela, précise-t-il, pour permettre d’augmenter le nombre de donneurs d’organes et ainsi sauver des vies.

Dans son Message relatif à l’initiative populaire «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes» et au contre-projet indirect (modification de la loi sur la transplantation) (cliquez ici !), le Conseil fédéral dresse un bilan des dons d’organes en Suisse. Rappelant le plan d’action Plus d’organes pour des transplantations lancé en 2013 en raison du faible nombre de dons d’organes, et malgré son succès, il constate que la Suisse manque toujours d’organes destinés à la transplantation.

Un objet maintes fois débattus
En 2012, le conseiller national Lukas Reimann (UDC) avait soumis l’initiative parlementaire 12.473, Don d’organes. Modifier la loi sur la transplantation pour introduire un régime du refus. Il entendait introduire la notion de consentement présumé mais en laissant aux proches de la personne décédée la possibilité de refuser le prélèvement. Ce qu’aujourd’hui propose largement la modification de la loi soumise à votation). En 2013, sa demande a été suivie par une majorité dans le Conseil national avant d’être rejetée par le Conseil des États par 24 voix contre 18, dont un certain Alain Berset, alors élu à la Chambre haute, qui a déclaré que mener une campagne d’information aurait bien plus d’effet que de changer le système.

En 2013, le Conseil fédéral avait présenté le rapport Examen de mesures susceptibles d’augmenter le nombre d’organes disponibles pour une transplantation en SuisseLa solution du consentement présumé y était rejetée en particulier pour des raisons éthiques et liées aux implications financières. En outre, à l’époque, il n’existait pas de preuves scientifiques suffisamment claires d’un effet causal entre le principe du consentement présumé et le taux de dons.

Le Parlement avait débattu à nouveau du principe du consentement présumé dans le cadre de la révision partielle du 19 juin 2015 de la loi sur la transplantation, sur une proposition de Felix Gutzwiller, et l’a rejeté après des délibérations approfondies.

En 2019, c’est sous l’impulsion d’une initiative populaire « Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes » déposée par l’organisation Jeune Chambre Internationale (JCI) que le débat redémarre. Nous nous concentrerons sur l’argument principal qui trouvé une large majorité au sein du Conseil national (par 150 voix contre 34), à savoir que le consentement présumé permettra d’augmenter le nombre de dons, qui reste faible par rapport à l’Europe où cette procédure est déjà largement appliquée, comme rappelé par le Vert Christophe Clivaz.

Est-ce que le consentement présumé augmentera le nombre de dons d’organes ?
C’est ce que croient les parlementaires fédéraux. Dans son Message, le Conseil fédéral souligne prudemment que le contexte se prête mieux à un changement de modèle qu’il y a quelques années: les résultats publiés dans la littérature scientifique récente permettent de supposer qu’un changement de système aurait une influence positive sur le taux de dons. L’expérience d’autres pays montre que le consentement présumé est un facteur parmi d’autres de l’augmentation du taux de dons. En association avec les mesures prises dans le cadre du plan d’action, il devrait donc produire des effets positifs en Suisse.

Pas de solutions miracles
En 2019, chercheurs et étudiants de l’UNIL (Université de Lausanne) ont creusé le sujet et ont livré une étude très intéressante (cliquez ici !). Les recherches que nous avons menées ont donc pu montrer que l’instauration du consentement présumé n’est pas une solution miracle. Elle peut certes être bénéfique (au moins à court terme) mais peut également, dans une certaine mesure, avoir un effet contraire à celui attendu, à savoir une baisse du nombre global de dons (notamment à cause de la baisse des dons vivants). (…) Une étude comparant 35 pays ayant des caractéristiques culturelles, économiques et développementales similaires, a montré une différence dans la quantité d’organes disponibles en fonction du système de don. Dans les 17 pays ayant instauré le consentement présumé, il apparaît qu’un changement de législation ait en effet des conséquences positives sur la quantité d’organes récoltés, mais ceci uniquement à court terme. Par contre, il semblerait que l’impact de la discussion et de l’information autour du don d’organes au moment du changement de législation ait joué un rôle plus important dans l’augmentation du nombre de don comparé au changement de législation lui-même. À long terme, le consentement présumé semble n’avoir que peu d’effet sur les dons de donneurs décédés, et même un effet inverse sur les dons de donneurs vivants. (…) Aussi, un point souvent relevé est que la disponibilité des organes n’est pas liée à un cadre contraignant par la loi et qu’il faut donc rechercher d’autres leviers, tels que les aspects moraux et symboliques, pour augmenter le nombre de dons.

La campagne commence donc sur un mantra, celui d’un consentement présumé, solution privilégiée au développement de dons d’organes. Et de s’appuyer sur les nombreux pays européens qui ont adopté ce principe : Allemagne, Autriche, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni, le noyau dur de l’Union européenne. Une fois encore, il sera mal aisé de remettre en question ce choix politique. Alain Berset l’a fait (voir plus haut). Nous ne le ferons pas, peu sensibles que nous sommes au politiquement correct, à sa dialectique marxiste et au mélange détonnant médecins-politiciens ! De nombreuses autres facettes de ce problème vous seront prochainement présentés. A bientôt !

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Newsletter N° 70 – 24 février 2022 | Source : Perspective catholique

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