Abbé Alain René Arbez – Pour les juifs et les chrétiens la Bible hébraïque est le témoignage substantiel d’un peuple de croyants dont l’aventure spirituelle a commencé il y a 40 siècles. C’est aussi la lumière inattendue d’une révélation dans les obscurités d’un monde en proie aux incessants méfaits de ses démons.

Calvin estimait que la Bible est le miroir de notre humanité. En effet, ce n’est pas un livre à l’eau de rose, c’est le portrait contrasté du meilleur et du pire qui nous animent depuis les origines. Mais c’est aussi une thérapie de l’âme, individuelle et collective, si bien illustrée par les 10 paroles et la sagesse qui en découle.
Face aux questionnements qui traversent nos sociétés, on comprend combien l’histoire mouvementée de cette relation d’un peuple avec Dieu nous concerne. A l’homme d’aujourd’hui, les textes de la Bible apportent le ressourcement qu’il ne trouvera nulle part ailleurs, ni dans les exploits scientifiques, ni dans la technologie la plus avancée, ni dans les programmes politiques les plus audacieux. Si nous souhaitons une humanité qualitativement et spirituellement augmentée, la Bible a des choses déterminantes à nous dire sur nous-mêmes. Cette Parole est un processus d’humanisation en lien avec le divin.
Car la Bible n’est pas qu’un livre ! L’islam appelle juifs et chrétiens « ahl al kittab » peuple du livre… Il n’est en rien : la Bible est la religion d’une Parole vivante qui est inséparablement celle de Dieu et celle des hommes. Des êtres humains inspirés l’ont transmise d’abord oralement, puis rédigée dans la culture de leur époque par souci d’éclairer les générations futures. La Bible n’est pas non plus un seul livre : constituée de 73 livrets, c’est une véritable bibliothèque qui défie les siècles.
Nos amis protestants ne reconnaissent aujourd’hui que 39 livres pour le Premier testament. Cependant, jusqu’au 19ème siècle, ils gardaient en annexe dans leurs Bibles 7 œuvres qu’ils ont écartées depuis : Tobie, Judith, 1 Maccabées, 2 Maccabées, Sagesse, Siracide, Barukh, les parties grecques d’Esther et Daniel.
C’est l’Église qui a défini au 4ème siècle quel serait le canon des Écritures, en sélectionnant rigoureusement les textes inspirés de la tradition biblique. Au concile de Rome, en 382, le pape Damase signe un décret énumérant les livres bibliques reconnus par l’Église catholique. Les 73 livres de la Bible (AT et NT) ont été écrits entre le 13ème siècle avant Jésus-Christ et la fin du 1er siècle après Jésus-Christ. La composition rédactionnelle de la Bible des chrétiens s’étale donc sur quatorze siècles. Ces livres présentent une étonnante diversité mais aussi une impressionnante unité de pensée. Nous découvrons dans ces textes inspirés une surprenante fresque spirituelle véhiculée par une tradition d’abord orale puis écrite, qui nous dévoile un dessein divin, un projet d’envergure qui nous dépasse mais s’adresse cependant au cœur de chacun.
Pour entrer dans l’articulation de ces 73 livrets, il ne faut pas se fier à l’ordre de publication qui prédomine dans les éditions bibliques. Leur historicité ne correspond pas à cet échelonnement : Job qui se situe bien avant Isaïe a été écrit 300 ans après. Le livre de la Sagesse qui se situe avant Jérémie, a été rédigé plus de 500 ans après. Le livre de la Genèse qui commence par les mots « bereshit bara » (au commencement…) est d’une rédaction finale datant de l’exil.
Le déroulement de l’histoire sainte illustre les différentes étapes de cette prise de conscience du divin qui a été progressive et s’exprime dans des genres littéraires différents. Ce qui frappe le plus, c’est que la Parole de Dieu a agi au sein d’un peuple dans les phases successives des événements qu’il a vécus. Car cette Parole de Dieu est simultanément Parole de l’humain. Il s’agit réellement d’une action de Dieu en l’humain et pour l’humain, dans une synergie permanente. Dieu révèle son visage à travers la recherche de l’homme qui avance pas à pas en réponse à l’appel intérieur qui le met sans cesse en mouvement vers un avenir.
Pendant des siècles l’Ancien Testament, (ou plutôt Premier Testament) a été plutôt réservé aux théologiens et aux religieux. Le premier penseur à avoir insisté sur l’unité fondamentale entre les deux testaments était Jean Calvin au 16ème siècle. Même si antérieurement dans le monde catholique, il est vrai que le Premier Testament était communiqué au peuple chrétien à travers les scènes bibliques des chapiteaux d’église ou des vitraux tels des bandes dessinées.
A la suite du Concile Vatican II, les catholiques ont pris conscience du fait que le Premier Testament est vital pour comprendre la logique de la révélation et accueillir l’évangile du Christ. En plus des bases de la foi chrétienne dont elle est la matrice, la Bible hébraïque nous offre un trésor littéraire, culturel et poétique hors du commun. Pensons à son impact sur les écrivains du Moyen Age, également sur Marot, Racine, Hugo, Vigny, Péguy, Claudel et tant d’autres.
Mais le Premier Testament est aussi à la racine même de la dévotion catholique : la prière quotidienne des psaumes, prière de l’Église, est une prière juive. De cette tradition hébraïque proviennent aussi le rituel de la messe, les grandes fêtes chrétiennes, mais surtout l’expression religieuse comme la louange, l’adoration, la contrition, la confiance, l’angoisse, l’offrande, la gratitude, etc. L’Évangile dans ses quatre versions est tissé de passages de Premier Testament, et son matériau d’expression midrashique ne peut se décrypter que par les clefs de la Bible hébraïque.
Histoire sainte
L’histoire sainte dans le Premier Testament se déroule sur 20 siècles et Abraham se situe grosso modo à la même distance de Jésus que nous par rapport au Christ. Le dessein de Dieu commence par le choix qu’il fait du peuple d’Israël. Un petit peuple presque insignifiant par rapport à ses puissants voisins aux brillantes civilisations. L’attachement de ce peuple sémite au Dieu qui se révèle à lui par étapes est surprenant. Il progresse dans sa relation malgré ses insuffisances, ses péchés, ses malheurs et ses trahisons.
Le Premier Testament nous communique ainsi un ensemble de préceptes et de convictions qui font partie intégrante de la foi chrétienne. Pour en saisir toute la portée, quelques clefs de compréhension sont indispensables, afin de contextualiser les messages. —

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Newsletter N° 227 – 26 juin 2024 | Source : Perspective catholique