Abbé Michel Simoulin – Dans le premier article paru, nous avons évoqué les belles figures de nos amis valaisans à l’origine du séminaire d’Écône. Les philosophes vous diront que nous avons considéré la matière de notre fondation. Il nous faut donc à présent considérer la forme qui va lui donner cette vie qui dure encore. Cette forme, toute révérence gardée, c’est – outre la grâce divine – Mgr Marcel Lefebvre ! Sans lui, qui aujourd’hui connaitrait Écône ? Mais avant de parler de lui, je veux faire encore œuvre de piété filiale en m’arrêtant à considérer ces autres préliminaires qui ont fait que monseigneur Marcel Lefebvre a été ce qu’il a été.
Tout a été dit sur la vie de Monseigneur, sur ses parents et sur sa famille, ou presque. Je pense à « Marcel Lefebvre » par Mgr Tissier de Mallerais, je pense à « un père et une mère », à « la petite histoire de ma longue histoire », et je pense aussi à ce témoignage de Mère Marie-Christiane « mon frère, monseigneur Marcel ». C’est surtout à ce témoignage peu connu que j’en appellerai. Je ne veux pas tout redire, mais je tiens à relever quelques points relatifs à ce que nous leur devons dans la « constitution » de l’évêque sauveur et gardien de notre fidélité.
« La famille est une école où se forment l’âme et le caractère » (R.P. Le Floch)
Saint Pie X disait volontiers : « La vocation sacerdotale vient du Cœur de Dieu, mais elle passe par le cœur de la mère. » Le Révérend Père montfortain Louis Le Crom, directeur spirituel de Mme Lefebvre et rédacteur de « Une mère de famille » disait : « Si j’ai accepté de présenter cette esquisse biographique, écrite d’après les témoignages directs et irrécusables, c’est que je crois en la sainteté de Madame Lefebvre. Certes, nous ne devons pas préjuger des décisions de l’Église, mais, en pleine soumission à son autorité, ne nous est-il pas permis d’exprimer nos sentiments d’admiration pour des âmes qui semblent avoir réalisé l’idéal de la perfection chrétienne ? »
« C’est dans son voyage de noces en visitant l’étable où le pape saint Marcel avait été ignominieusement rejeté, que maman, indignée d’un tel sort réservé à un Pape, résolut de venger l’outrage qui lui avait été fait en donnant à son second fils le nom de Marcel. L’aîné, dans nos familles du Nord, devant porter nécessairement le nom de son père pour que le nom se perpétue dans l’industrie. Et ainsi Marcel nous arrivait le 29 novembre 1905, trop tard dans la nuit pour être baptisé le même jour, mais baptisé dans les 24 heures, et maman après le baptême lui prédisait son grand rôle auprès des Papes. »
« Le cher Monseigneur a un don spécial de nous donner les vérités les plus profondes dans un langage que même les plus ignorants peuvent comprendre. Je suppose que c’est parce qu’il les a vécues dès son enfance. Elles sont ainsi toutes simples dans sa vie et c’est ce qu’il nous communiquera. C’est bien le Bon Dieu vécu en lui qui nous parle » (Mère Marie-Christiane)
Certaines mères ont une âme de prêtre et la donnent à leurs enfants.
Dirigée spirituellement par le père Huré, montfortain, l’âme de Madame Lefebvre accède à une vie d’union constante à Jésus-Christ ; elle pratique l’oraison et la lecture spirituelle; virile et magnanime, elle exerce la mortification, le renoncement et fait, en 1917, le vœu du plus parfait (renouvelé de confession en confession). Elle vit de foi, reliant tous les événements à Dieu, à sa volonté. Le trait le plus constant de son état d’âme est l’action de grâce à la divine Providence.
Elle est au surplus excellente éducatrice. Son mari a pour ses enfants un idéal élevé, mais en fait pratiquer les exigences avec une sévérité excessive ; elle, en revanche, très équilibrée, préfère gouverner en établissant un régime de confiance qui n’écrase pas la spontanéité d’un enfant, mais stimule la générosité par la vertu de l’exemple.
Le foyer familial des Lefebvre est un sanctuaire qui a son rituel.
« Tandis que papa, accompagné de Louise, va à la messe de 6 heures et quart qu’il sert à M. le doyen, maman éveille les enfants, leur traçant le signe de la croix sur le front, leur faisant faire l’offrande de la journée, puis elle va à la messe de 7 heures avec les enfants en âge de marcher, à moins que, plus grands, ils n’aillent à la messe au pensionnat.
Tous les soirs, la prière en commun répare les anicroches de la journée et soude les cœurs dans la même charité de Dieu. Les enfants ne vont pas dormir sans avoir reçu la bénédiction des parents.
« Au mois de mai, raconte Christiane, nous allions faire le pèlerinage de La Marlière, à l’extrémité de la ville de Tourcoing, près de la frontière belge. Nous tâchions de faire une neuvaine de pèlerinages pendant le mois. Il fallait se lever à 5 heures, nous avions trois quarts d’heure de route à pied (et à jeun) pour assister à la messe de six heures et revenir à temps pour nos classes. »
La Messe. La Messe quotidienne suivant les pas d’une Maman. Telle fut l’enfance de Monseigneur Marcel Lefebvre.
« J’ai eu bien fréquemment l’occasion d’assister à la messe non loin de Madame Lefebvre – rapporte une paroissienne de Notre-Dame de Tourcoing – et j’ai été fort édifiée de sa piété et de son recueillement, surtout après la sainte communion ; on la sentait tellement absorbée en Dieu que ce n’est pas une distraction de la regarder, c’était un appel à la sainteté qu’elle diffusait à son insu autour d’elle ».
« Lorsque Marcel est revenu pour un court séjour à la maison aussitôt la fin de la guerre de 40, quelle ne fut pas sa souffrance de retrouver ce vide profond du départ pour le Ciel de ses parents. En effet, il est toujours resté profondément attaché à sa famille. Venant me voir au Carmel, il me rappelait combien maman avait été particulièrement l’âme, la vie du foyer. C’est elle surtout qui nous avait tous formé durant les nombreuses absences de papa retenu souvent en voyages d’affaires et surtout pendant les années de la guerre de 14. Il me confiait combien il avait été édifié en maman par « sa force d’âme », me rappelant le trait qui l’avait le plus impressionné : pendant la guerre de 14, maman étant chargée de surveiller l’usine, Marcel avait remarqué qu’un employé de l’usine la recherchait. Il venait chaque soir à la maison, soi-disant pour lui montrer les comptes. Maman allait régulièrement à l’usine, cela aurait dû suffire. Mais non, il venait à la maison au retour de son travail quotidien, la servante le conduisait au salon de réception, mais voici qu’après quelque temps, au lieu de suivre la servante, il s’est introduit dans la salle où se trouvait la famille. Surprise de maman qui, cette fois, n’a pas hésité à le renvoyer : « Ce n’est pas ici que l’on traite des affaires de l’usine !» C’était dit d’un ton ferme. Le malheureux n’avait plus qu’à tourner les talons pour ne plus revenir. Et Marcel avait été témoin de la scène, ainsi que les enfants, il se souvenait comme le témoignage de la force d’âme de sa mère l’avait frappé d’admiration. »
René Lefebvre 23/02/1879 – † 4/03/1944
Mariage le 16/04/1902
Filateur de Tourcoing honoré et estimé, il avait rempli un rôle important au cours du premier conflit mondial. Non mobilisable, il s’était mis à la disposition de l’Intelligence Service et avait permis l’évasion d’un grand nombre de prisonniers. Il retrouva du service dans les réseaux de résistance dès l’année 1940, en transmettant des messages radiodiffusés sur Londres ou en recueillant des prisonniers français, belges ou allemands.
Le 21 avril 1941, ce lieutenant des Forces françaises combattantes, membre du réseau Zéro-France, fut arrêté par la Gestapo. D’abord incarcéré à la prison Saint-Gilles de Bruxelles, il fut déporté en Pologne, au camp de Sonnenburg, connu pour ses mauvais traitements et brutalités et dont les dernières centaines de prisonniers furent éliminés à la mitraillette dans la nuit du 30 au 31 janvier 1945. D’abord tenu par les S.A., il était géré par les S.S. à l’époque où le père de Monseigneur Lefebvre y entra.
Sans abandonner son chapelet, son missel et son imitation de Jésus Christ, René Lefebvre périt le 4 mars 1944. Son corps a disparu dans les charniers du système concentrationnaire nazi. Le 16 juillet 1953, une décision gouvernementale lui attribua la qualité de déporté résistant.
Quelques extraits de ses lettres :
“J’attends l’heure de la Providence, Ce qu’il y a de certain c’est que nous gagnons quelques mérites et que nous avons une petite notion du Purgatoire”.
“Grâce à Dieu, j’ai senti son secours, il y a eu des moments terribles mais j’ai pu constater que j’ai été aidé dans les instants où je me sentais au plus bas”. “Comme tout homme est mortel je viens faire par écrit mes adieux à mes chers enfants, à mes amis, à ma famille.
Vous savez que je meurs en catholique français, monarchiste, car pour moi c’est dans l’établissement de monarchies chrétiennes que l’Europe, le monde peuvent retrouver la stabilité, la véritable paix. Si je trouve ici la mort c’est que le Bon Dieu en aura décidé de cette façon et sans une retraite spéciale préparée pour le Ciel, le purgatoire aura été commencé ici-bas. De tout je remercie Dieu. La souffrance purifie. Ce me serait un grand sacrifice de ne pas retrouver mes enfants avant de mourir. De tout cœur je bénis mes enfants que je confie à Notre-Dame, la Sainte Vierge fut si bonne pour moi, je veux donc rester son enfant aimé et particulièrement béni. Elle aimera bénir ma famille qui doit lui rester consacrée, lui être toute dévouée et rechercher par Elle l’extension du règne de son Divin Fils…”
Quelques témoignages :
Il était mon voisin de travail, me racontait sa vie familiale, ses voyages, me documentait sur son industrie, il ne cessait d’évoquer la mémoire de sa femme, me parlait en détail de chacun de ses enfants, de ses projets d’avenir.
Très pieux il priait beaucoup ; à l’aide d’une corde, il serrait sous la chemise un Missel et une Imitation de J. C. qu’il put conserver par miracle. Après la soupe de midi il récitait à haute voix le De Profundis pour les camarades dont, chaque jour, nous apprenions le décès.
Il garda toujours un excellent moral et avait une foi inébranlable en notre Victoire… Hélas il ne l’aura pas connue… II nous avait remis ses deux livres de prières, un chapelet, des médailles. Ces objets nous furent enlevés quelques semaines plus tard au cours d’une fouille.
Ce sont ces fortes convictions chrétiennes qui, avant de le conduire à une sainte mort, lui firent accepter la vocation de ses enfants (deux prêtres et trois religieuses), et, plus encore, le décidèrent à envoyer ses fils au séminaire français de Rome, plutôt qu’au séminaire de Lille, plus proche. Il voulait pour eux une formation solide et romaine. Lorsqu’il avait appris la vocation de René, et comme René hésitait encore, c’est lui qui trancha : Je tiens absolument à ce que tu ailles à Rome ! Et lorsque Marcel, à son tour, exprima son désir d’être prêtre, il lui répéta la même certitude : « Tu vas rejoindre ton frère ! ton frère est à Rome, tu vas à Rome aussi ! »
Après la tourmente qui vit le départ de Rome du P. Le Floch, Mr. Lefebvre eut encore la délicatesse de lui écrire une belle lettre de reconnaissance, datée de Tourcoing, le 17 octobre 1927 : « Mes deux fils, René́ et Marcel, avaient tant apprécié́ votre direction et la vérité́ de vos conseils. »
Cette décision de Mr Lefebvre sera décisive pour l’orientation de toute la vie de notre Marcel : parti à Rome en 1923, il sera formé sous la direction si sûre du R.P. Le Floch. A Rome, il bénéficia d’une formation spirituelle, doctrinale et théologique nourrie aux sources les plus sûres, entre autres St Thomas d’Aquin. C’est là qu’il acquit ces convictions qui feront de lui un ardent apôtre du règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Quas primas » publiée en 1925 confirmera en son âme cette forte conviction qui ne le quittera plus : Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, est Roi pour Sauver et Sauveur par son sacerdoce ! Toute sa vie sacerdotale, épiscopale, missionnaire… et toute la formation qu’il voulut donner ensuite à ses prêtres se ramène à cette grande lumière de Notre-Seigneur Jésus-Christ Roi ! C’est la foi solide et la fermeté de son père que nous retrouverons chez son fils, monseigneur Marcel !
Mais il est une autre influence familiale qui a joué fortement dans le cheminement de Mgr Lefebvre, en lui donnant son orientation religieuse et missionnaire, et j’aimerais rendre un hommage particulier à son frère ainé, René, né à Tourcoing le 22 janvier 1903, près de trois ans avant son frère Marcel. Nous en reparlerons donc le mois prochain.
Lettre d’information N° 20 – 24 août 2020 | Source : Perspective catholique