Abbé Michel Simoulin – René est né à Tourcoing le 22 janvier 1903, près de trois ans avant son frère Marcel. Il est l’aîné de la famille, et sera suivi de 7 enfants, trois autres garçons et quatre filles, dont trois deviendront religieuses.

L’excellent abbé Henri Collin, professeur de philo­sophie et ami de la famille, prépare le petit Joseph à sa première communion à l’âge de cinq ans, et donne même des leçons presque journalières à Marcel. Or l’abbé Collin est un fervent de Rome, attaché au Séminaire français de Rome où il avait étudié de 1910 à 1914. Lorsqu’il apprend la vocation de René, il dit à M. Lefebvre : Il faut envoyer votre fils à Rome ! Et comme René hésite encore, c’est son père qui tranche : Je tiens absolument à ce que tu ailles à Rome !

A Pâques 1919, le petit-séminariste René, âgé de 16 ans, prend la soutane. Il revient à la maison pour l’été, et part pour Rome le 24 octobre, en avant-coureur de Marcel. C’est donc au séminaire français qu’il recevra sa première formation sacerdotale. La bulle qui, en 1853, érigeait à Rome un Séminaire pontifical français, Pontificium Seminarium Gallicum de Urbe, le confiait en même temps à perpétuité à la Congrégation du Saint-Esprit et du Cœur Immaculé de Marie.

A peine trois semaines après son entrée au Séminaire français de Rome, René, enthousiaste, écrit à Marcel : « Je ne te souhaite qu’une chose, c’est de me rejoindre ici dans trois ans. Tu y goûteras des joies qu’on ne peut goûter ailleurs, ni dans le monde ni dans aucun autre séminaire de France, je crois. Rome et le Séminaire français sont deux grâces à demander au bon Dieu. »

Et c’est donc au même séminaire français de Santa Chiara que Marcel, encouragé par son père et par son frère, entre en 1923. Tout est providentiel.

René revient en France en 1924, docteur en philosophie et bachelier en théologie de l’Université grégorienne. C’est alors qu’il entre au noviciat chez les pères du Saint-Esprit à Orly (5 octobre 1924), où il fait profession le 21 septembre 1925. Il suit les trois années de formation théologique à Chevilly et est ordonné prêtre le 15 novembre 1927. Il est religieux depuis deux années.

« Si René n’avait pas désiré faire sa dernière année à Rome, ce qui aurait dû lui permettre d’atteindre le doctorat – il com­prenait que le doctorat menait à l’épiscopat et son désir était d’entrer au noviciat des mis­sionnaires du saint Esprit au plus tôt – Marcel, au contraire, avait conscience qu’il fallait par­faire ses études et il atteignait le doctorat en théologie. » Contrairement à René, Marcel achèvera donc ses études à Rome après son ordination sacerdotale, jusqu’au doctorat le 2 juillet 1930.

A Chevilly, après son ordination, c’est René qui est choisi pour célébrer les fêtes du fondateur, le 19 mai 1928 : Le samedi 19 mai, a eu lieu à Chevilly la réunion familiale que l’incidence du 20 mai au dimanche n’a pas permis de tenir à son jour ordinaire.

La conférence a été faite par M. René Lefebvre, prêtre, scolastique de dernière année. Avec une grande maîtrise du sujet, il a traité du premier contact de l’Œuvre de M. des Places avec le Jansénisme. (Bulletin général n° 454. Juin 1928)

Le 8 juillet 1928, il est admis à faire la Consécration à l’Apostolat. À genoux au pied de l’autel, devant le tabernacle ouvert, il en récite l’acte de toute son âme, avec ses confrères. C’est la même consécration à l’apostolat que fera Marcel le 8 septembre 1932, après avoir fait sa profession religieuse.

René est désigné pour Brazzaville en juillet 1928, mais son obédience est changée au cours des vacances. C’est donc au Gabon qu’il part en septembre. Il y demeurera quarante-cinq ans.

D’un caractère plus vif que son frère cadet Marcel, René Lefebvre avait des sympathies pour l’Action française. Lors de la condamnation de cette dernière, et la démission du P. Le Floch en 1928, il avait manifesté son incompréhension à son jeune frère à propos du fait qu’il restât au Séminaire français dont il venait lui-même de sortir. Il n’avait cependant plus de choix à poser puisqu’il avait déjà été ordonné et était parti pour le Gabon comme spiritain.

Mais, du lointain Gabon, il revient sans cesse à la charge ; ses lettres à Marcel se font pressantes : « Que vas-tu faire à Lille ? Rejoins-moi au Gabon ! » dans un champ d’apostolat plus urgent, plus exigeant. » Il obtiendra gain de cause et Marcel n’attendra pas d’avoir quitté Rome pour prendre sa grande décision. Après mûre réflexion et ardente prière, il écrit à son évêque. Voici ce qu’en raconte M. René Lefebvre au père René le 13 juillet 1930 : « Je ne veux pas laisser passer la décision de Marcel sans t’en causer. Le cher Marcel a quitté Rome, j’ai vivement ressenti la peine qu’il en a eue. Il nous avait avertis de sa demande à Mgr Liénart, demande d’entrer chez les P.P. du Saint-Esprit. Nous en restons très très surpris, car nous ne lui supposions pas la vocation de missionnaire. Si telle est la volonté du bon Dieu, nous en sommes très heureux. Deo gratias ! De toute façon, je ne le voyais pas bien dans le clergé séculier. Je remercie le bon Dieu de cette grande grâce. C’est un événement important pour nous ! Nous savons mainte­nant ce que sont les séparations ! Mais nous devons savoir que tout ce que nous avons est entre les mains de Notre Dame. »

Quant à René, d’abord à Sindara, ancienne mission du Sud-Gabon que l’on venait d’ouvrir de nouveau (1928-29), puis à Port-Gentil où l’on avait besoin de quelqu’un connaissant l’italien (1929-31), il est ensuite nommé à Libreville, où il restera jusqu’au terme de ses forces. Vicaire, puis curé de la paroisse Saint-Pierre jusqu’en 1953, il déploie une remarquable activité. Outre le ministère apostolique et le cercle catholique pour adultes, il lance à Libreville fanfare et sport. Son action en faveur du football fut si remarquée que longtemps le stade de Libreville portera le nom de « Stade Révérend Père Lefebvre« . 

En 1947, il est diacre lors de la messe de consécration épiscopale de son frère Marcel. A partir de 1953, il est successivement supérieur de la communauté du séminaire Saint-Jean et du collège Bessieux, puis procureur du diocèse. Très affecté par un accident survenu en 1958, il ne sera que quelques années curé de la nouvelle paroisse d’Abéké, et en 1969, il demande à se retirer à la maison du district de Libreville. Un court séjour en France lui permet de se faire opérer et de repartir au Gabon ; mais trois ans plus tard, en 1973, il rentre définitivement en France, à Chevilly d’abord, puis à Wolxheim en 1974.

Son jeune frère devenu son supérieur dans la congrégation, veillera sur lui jusqu’à la fin, autant que ses propres occupations le lui permettront.

« Étant nommé supérieur des pères du Saint-Esprit, il (Monseigneur) avait aussitôt pensé pourvoir à une maison de repos pour les pères missionnaires qui revenaient parfois bien fatigués de leur stage de mission. Il l’avait trouvée en Al­sace et l’avait confiée aux sœurs du Saint-Es­prit qui se sont montrées des plus dévouées pour soigner notre grand malade (René). Son terrible accident d’auto, laissant trois morts et lui-même gisant dans le coma sur la route l’avait sûrement brisé. Et pourtant ses infirmières nous assuraient qu’il restait toujours souriant à leur arrivée, toujours reconnaissant. A la fin de son quasi-martyre, Mère Marie-Gabriel le considérait comme Jésus sur la croix, il res­tait anxieux de connaître des nouvelles de Mgr Marcel, c’était toujours sa première question, il offrait toutes ses souffrances pour lui. C’est le 8 décembre 1976 qu’il s’en est allé trouver sa récompense, en la fête de l’immaculée Con­ception, jour où chaque année la famille re­nouvellait sa consécration à la Sainte Vierge. »

Ce même jour, Mgr Lefebvre se trouvait à Écône où il recevait les engagements d’une nouvelle génération de séminaristes. Mgr Lefebvre s’est rendu aux obsèques de son frère célébrées par le père provincial. Le P. René Lefebvre repose au cimetière de Wolxheim, où Mgr Lefebvre vint plusieurs fois se recueillir sur sa tombe.

Nous avons déjà bien des raisons de rendre grâce à ceux qui ont forgé l’âme de Monseigneur. « Bene omnia fecit » …Dieu a bien fait toutes choses : Une mère pour conduire un enfant à la Messe – Un père pour le conduire à Rome, à l’école de Notre-Seigneur Jésus-Christ Roi – Un frère pour le conduire chez les religieux de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie, serviteur du Saint-Esprit et de Notre-Dame.

Tout cela est fort bien mais d’autres influences sont intervenues, et il nous faut revenir un peu en arrière. A la différence de son frère René, Marcel sera prêtre avant d’être religieux, et ce fut l’œuvre du Père Le Floch et de ses collaborateurs, durant « l’âge d’or » du séminaire français. C’est là peut-être la plus grande grâce dont Monseigneur lui-même ne cessera de remercier Dieu : avoir été formé à Rome au séminaire français durant les ultimes années de la direction du vénéré P. Le Floch. Il convient donc que nous en parlions un peu longuement !


Lettre d’information N° 21 – 31 août 2020 | Source : Perspective catholique