Abbé Thibaut de Maillard, FSSPX – Carouge, 22h30. Dans l’appartement des voisins, un hurlement de colère déchire le silence. Un confinement qui tourne mal ? Tout le monde le répète : confinement rime parfois avec agrément, mais aussi trop souvent avec égarement. De nombreux ménages sont aujourd’hui éprouvés. L’image de la famille déjà abîmée doit-elle subir un nouveau choc quand le nombre de demandes de divorces va exploser au sortir du confinement ?

L’article de Mme de la Rochère a trop bien montré quel soutien la famille apportait à chacun dans cette période de confinement. Les difficultés en famille ne doivent donc pas masquer les atouts de cette cellule. Si c’était nécessaire, l’expérience du Coronavirus aura démontré ce que chacun peut recevoir de la famille : les grands-parents voient leurs petits-enfants apporter précautionneusement des sacs de courses. Les étudiants sont heureux de pouvoir passer le confinement chez leurs parents, plutôt que de rester seuls dans leur studio. La famille nous assure contre la solitude et la précarité affective. Même atteints du Coronavirus, nos proches sont à nos côtés pour nous soigner et appeler l’ambulance. La famille est un véritable quatrième pilier qui nous assure contre tous les maux qui n’ont pas été prévus par les trois premiers !

Les difficultés dans les foyers sont cependant l’occasion de mettre en lumière le message chrétien pour consolider cet exigeant pilier. Les maîtres de la vie monastique enseignent que la vie en commun peut être la source des plus grandes joies comme des plus grandes difficultés. C’est que les joies gratuites n’existent pas. Chaque instant de bonheur se paye. Payer son voyage aux Antilles, acheter son billet d’entrée au cinéma n’étonne personne. Pour la vie en famille, la loi est identique : c’est au prix d’un renoncement que s’achètent les moments d’intimité et de soutien familiaux.

Pour celui qui connaît le mode d’emploi de la famille, le soutien qu’elle apporte sera bien plus important que les peines qu’elle occasionne. Mais comme pour les trois premiers piliers, le quatrième se finance. Les relations et les services en famille sont certes empreints de gratuité. Il ne s’agit donc pas d’argent mais d’autre chose. Et c’est ici que se situe la pertinence du message catholique. Pour sauvegarder le quatrième pilier, l’Eglise propose de mettre en place des solutions aujourd’hui innovantes, et de recourir au surnaturel. Pie XII rappelle aux jeunes ménages : « tous vos efforts seraient vains et vous ne trouveriez pas le bonheur à votre foyer, si Dieu ne construisait la maison avec vous pour y demeurer avec sa grâce. »1

Construire un foyer avec Dieu, c’est utiliser le ciment d’un amour divin. Cet amour ne ressemble pas à l’amour du langage courant d’aujourd’hui. Cet amour s’appelle charité. La charité, qui tire toute sa force du sacrement de Baptême, est un amour qui ne recherche que le bien de l’autre, sans se préoccuper de sa satisfaction personnelle. Il implique donc une renonciation à ses propres désirs pour le bonheur de l’autre.

L’amour voulu pour le plaisir peut comporter quelque chose d’égoïste, comme le serait la vision d’un film au cinéma ou une séance de plage aux Antilles. Mais l’amour de charité se donne sans aucune compensation directe : renoncer à faire une remarque, se taire, laisser dire, laisser faire et se donner quand même. Faire le premier pas, se dévouer sans esprit de calcul. C’est ici que notre amour ressemble à l’amour de Jésus-christ pour les hommes. Jésus dit bien que « nul n’a de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis. »2 Vrai amour et renoncement personnel sont donc intimement liés.

Ce qu’on appelle la « noblesse de coeur » est justement cet amour joint au renoncement. Eric Mansion Rigau la définit comme « l’instinct du don gratuit et silencieux, véritable acte de charité, à l’abri de tout calcul publicitaire ou financier. »3 Avoir la noblesse de coeur, c’est donner sans marchander, sans esprit de calcul, mais par pure bienveillance.

Dans une époque où la mise en cause d’un ordre établi est un sport à la mode, les difficultés qui ont surgi dans les familles à l’occasion du confinement ne doivent donc pas nous impressionner. La famille reste un pilier indispensable. Ce pilier est le plus précieux. C’est aussi le dernier : rien ne remplace l’affection d’une mère, ni l’amour d’un père. Les services sociaux ne sont eux-mêmes pas capables de donner autant. D’où l’importance de prendre soin de notre famille. Le Christianisme place l’amour de charité donné par le baptême comme l’un des moyens incontournables pour conserver notre famille dans la paix et le bonheur.

1 Pie XII, Discours aux jeunes époux du 15 novembre 1939
2 Jean 15, 13
3 Eric Mansion-Rigau, Singulière noblesse, Paris, Pluriel, 2018, p. 260.


Lettre d’information N° 17 – 23 mai 2020 | Source : Perspective catholique