Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise nous garde et nous explique la parole de Dieu contenue dans l’ancien et dans le nouveau Testament — toute la parole de Dieu, dont le dépôt lui fut confié par Jésus-Christ son Fondateur. Oui, ce que l’Eglise nous annonce avant tout, ce que nous pouvons appeler son message premier, c’est la Révélation divine, communiquée au genre humain, d’abord par le Christ, puis, au nom du Christ, par les apôtres. Cette Révélation, l’Eglise a pour tâche de la conserver pure et de l’exposer sans erreur. C’est ce que le Concile du Vatican précisait en ces termes : « Le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour que, par son inspiration, ils fassent connaître une nouvelle doctrine, mais pour que, par son assistance, ils gardent saintement le dépôt de la foi transmis par les apôtres, et qu’ils l’exposent fidèlement. »
L’Eglise n’est pas et ne veut pas être supérieure à la parole de Dieu : ceux qui lui reprochent une pareille prétention font preuve d’une impardonnable ignorance, et déjà saint François de Sales, répondant à l’un d’eux, observait que ce n’est pas l’Ecriture qui a besoin des lumières de l’Eglise, mais les interprétations, les explications, les commentaires que les hommes font de l’Ecriture. Nous ne nous demandons pas si Dieu comprend mieux l’Ecriture que nous, mais si nos adversaires d’autrefois et d’aujourd’hui la comprennent mieux que les Pontifes et les Pères qui représentent l’authentique tradition chrétienne 2. Exactement dans le même sens, Bossuet faisait cette distinction très sage : « Nous ne disons pas que l’Eglise soit juge de la parole de Dieu, mais nous assurons qu’elle est juge des diverses interprétations que les hommes donnent à la parole de Dieu.. »
L’Eglise, est-il besoin de le dire ? n’a jamais caché la Bible à ses enfants. Elle leur en donne à tous l’essentiel et le meilleur dans les textes sacrés de sa liturgie, dans les livres de ses théologiens, dans les œuvres de ses artistes. Elle encourage ses fidèles à la lire, pourvu que ce soit dans des éditions exactes et munies des explications nécessaires à qui ne veut pas se fourvoyer. Saint Pierre lui-même — et ceci se trouve dans le nouveau Testament — notait que les épîtres de saint Paul renferment « des passages difficiles à comprendre, que des personnes ignorantes et mal affermies détournent de leur véritable sens, comme elles le font des autres Ecritures, pour leur perdition 2 ». Bénissons Dieu de nous avoir donné l’autorité de l’Eglise enseignante, grâce à laquelle, ayant gardé tous les livres inspirés, sans en sacrifier une syllabe au caprice des hommes, ayant conservé la vraie signification du contenu de ces livres, sans avoir à chercher toujours dans l’avenir une doctrine capable de satisfaire, nous ne sommes point comme do petits enfants emportés à tous les vents, mais, riches de la pleine possession de la vérité, nous pouvons croître constamment dans la charité, en union avec Celui qui est notre Chef, le Christ.
Notre Chef, le Christ. Il est le seul nécessaire. Il est le centre de tout. L’enseignement de l’Eglise n’a pas d’autre but que de nous Le donner. Son message, vers l’accomplissement duquel sont orientées toutes ses directives, toutes ses défenses, tous ses préceptes, se rapporte essentiellement au Christ, à la personne du Christ clairement connue dans sa divinité et son humanité, à la grâce du Christ produite par les sacrements, aux amis du Christ qui sont sa très bonne Mère et tous ses saints, au pouvoir suprême du Christ dont les apôtres et leurs successeurs sont les délégués, aux membres souffrants du Christ que la foi nous montre sous les traits, parfois défigurés, de ceux qui passent à travers la vie chargés de leur pauvre croix.
*****
Nous sommes heureux d’être catholiques, parce que l’Eglise nous garde le Christ. Vous connaissez la scène mémorable que saint Matthieu nous a racontée au XVIe chapitre de. son Evangile. Bien loin de la Galilée, qu’Il ne reverra plus que pour aller mourir à Jérusalem, Jésus suit la route de Césarée de Philippe, à travers ces villages solitaires qui ne le connaissent pas, que ne troublent pas ses entretiens intimes avec ses apôtres… « Qui dit-on qu’est le Fils de l’Homme ? » leur demandet-Il. « Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste ; d’autres, Elie ; d’autres, Jérémie ou l’un quelconque des prophètes. » Et quand la série des identifications populaires est achevée, Jésus ajoute : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Simon, répondant au nom de tous, lui dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Jésus reprend alors : « Tu es heureux, Simon, fils de Jona, car ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé ces choses, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te le dis, tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » Pour le noter en passant, on a pu reprocher à certains Papes bien des crimes et bien des faiblesses, et nous savons si les ennemis de l’Eglise s’en sont donné à coeur joie dans ce domaine ; mais il est une gloire que jamais, au grand jamais, nul n’a pu contester aux Pontifes romains, c’est celle d’avoir gardé toujours intacte et d’avoir prêché toujours sans compromis la divinité du Christ, suivant en cela l’exemple magnifique de celui dont ils sont les légitimes successeurs.
Suffit-il, pour se dire chrétien, de penser que Jésus n’est, après tout, que Jean-Baptiste, ou Elie, ou Jérémie, ou l’un quelconque des prophètes, ou même un prophète supérieur à tous les autres ? Suffit-il de s’attacher à Jésus sans être au clair sur son identité, sous prétexte qu’Il est incompréhensible et mystérieux ? Non, certainement. Nous ne pouvons aimer sans connaître l’objet de notre amour. Le simple bon sens suffit pour le prouver. D’autant plus que l’amour que nous devons avoir pour Jésus n’est pas, à tous égards, comparable à nos autres affections. Nous pouvons nous complaire en quelqu’un qui nous parait digne de sympathie ; nous pouvons admirer les grandes âmes qui nous semblent réaliser plus ou moins l’idéal que nous rêvons ; mais les sentiments que nous inspire le Christ sont d’un autre ordre. Nous aimons avec tendresse notre père et notre mère, nous sommes attirés vers des hommes tels que François d’Assise ou Nicolas de Flue ; mais cet amour, mais ce respect ne peuvent être identiques à ceux que nous professons pour le Christ. Qui dites-vous que je suis ? la question se pose et, qu’on le veuille ou non, il lui faut une réponse nette. Depuis dix-neuf siècles, l’Eglise catholique donne cette réponse à qui veut l’entendre : c’est la réponse de l’Evangile, mais de l’Evangile qu’on n’a point dépouillé de sa pleine signification réaliste, de l’Evangile que ne changent ni les fluctuations du monde, ni les sophismes des prétendus savants, ni les exigences de la nature pervertie : le ciel et la terre passeront, l’Evangile ne passera pas
On reproche à l’Eglise de mettre entre le Sauveur et notre âme un écran, de se substituer au Sauveur dans la piété du peuple chrétien. Au contraire, nous le savons par notre expérience personnelle et par le témoignage de tous ceux qui sont effectivement et loyalement catholiques, l’Eglise, en défendant la vraie notion du Christ contre ceux qui, parfois sans le vouloir, la défigurent, nous aide à vivre librement unis à Lui. Cette union serait impossible si nous n’étions fixés sur ce que le Christ est réellement : prétendre qu’on peut vivre avec Lui sans savoir s’ Il est homme ou Dieu, c’est prétendre qu’une mère peut indifféremment serrer sur son coeur l’enfant qu’elle a mis au jour ou la poupée remplie de son dont elle faisait la compagne de ses jeux de petite fille. La claire affirmation du Verbe fait chair, de Jésus vrai Dieu et vrai homme, peut seule donner un sens à la parole de saint Jean : «Dieu a tant aimé le monde qu’Il a livré son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point.» Voilà ce que les apôtres ont prêché, «scandale pour les Juifs et folie pour les païens» ; voilà ce qu’ils ont scellé de leur sang, parce qu’ils savaient que « ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse pour Dieu». Nous aussi, nous bénissons le Seigneur, avant tout parce que, au milieu des incertitudes et des réticences de la pensée moderne, au milieu des hésitations de tant de malheureux qui cherchent et ne trouvent pas, l’Eglise nous garde intact le dogme de la divinité du Christ.
Mais, en appréciant à sa juste valeur cet incomparable trésor que Dieu nous accorde, non point à cause de nos mérites, mais à cause de l’amour infini dont Il nous aima Lui-même le premier, nous devons nous humilier profondément. Tant d’autres, meilleurs que nous, sont privés du bonheur que nous possédons ! Et nous, les privilégiés de la bonté divine, ne sommes-nous pas souvent, par notre lâcheté, par notre indifférence, par notre inconduite, un objet de scandale pour eux ? Quand le Sauveur demande : « Qui dites-vous que je suis ? » ne peut-il pas ajouter : « Vous dites des lèvres que je suis le Fils de Dieu, mais vos actes font penser que vous ne le croyez pas ? » Tant d’autres, à peu près les deux tiers de la population du globe, n’ont jamais entendu prononcer le nom de Jésus ! Cette honte s’étalerait-elle aux yeux des chrétiens, si les chrétiens avaient fait leur devoir, si l’égoïsme, l’amour de l’argent, le manque d’idéal, les divisions, n’avaient mis obstacle, atout le long des siècles, au travail des missionnaires ? La situation du monde est assez grave pour nous inviter à faire sur tous ces points de sérieuses réflexions.
Newsletter N° 7 – 15 mars 2020
Source : «Bonheur d’être catholique», lettre pastorale pour le Carême 1936 rédigée Mgr Marius Besson, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, (Imprimerie St-Paul à Fribourg).