L’avortement à l’ombre de l’intelligence artificielle

Eric Bertinat – L’intelligence artificielle bouleverse nos habitudes plus profondément que le grand public ne le soupçonne, même dans ses projections les plus enthousiastes. Son irruption dans nos vies, accélérée par le lancement public de ChatGPT le 30 novembre 2022, a été fulgurante : en quelques semaines, des dizaines de millions d’utilisateurs s’y connectaient, fascinés par la promesse d’une intelligence à portée de clic. Mais cette adoption massive, presque instinctive, s’est faite bien plus vite que notre capacité collective à en saisir les implications profondes.

Parmi les inquiétudes les plus sérieuses: la manipulation de masse. Les IA génératives peuvent fabriquer des fake news à l’infini, détourner l’image et la parole, brouiller la frontière entre fiction et vérité. Ajoutons à cela leur usage croissant dans la surveillance de comportements en ligne, la délégation de décisions humaines à des systèmes opaques, et surtout — le plus insidieux — leur rôle dans la régulation silencieuse de l’opinion.

Pensée unique sous surveillance artificielle Un cas emblématique de cette dérive est celui du rapport présenté en 2023 par Tlaleng Mofokeng (1), rapporteur spéciale des Nations Unies sur le droit à la santé. C-Fam, institut de recherche qui s’est donné pour mission de défendre la vie et la famille auprès des institutions internationales et de rester fidèle aux enseignements de l’Église, s’en est alarmé en 2023. Ce document, soutenu par des institutions comme l’International Professional Practices Framework (IPPF), appelle les États à surveiller et contrecarrer les discours pro-vie sur internet. Pire encore, il suggère que les entreprises de médias sociaux devraient garantir l’accès à des contenus expliquant comment pratiquer un avortement auto-induit, y compris en contournant les lois nationales.
Dans cette logique, la liberté d’expression devient conditionnelle : seuls les messages conformes à l’idéologie dominante — ici, l’avortement érigé en droit absolu — sont promus. Les autres sont filtrés, rétrogradés, ou supprimés. Ce ne sont plus les arguments qui triomphent, mais les algorithmes. Des contenus pro-vie jugés « désinformants » sont déréférencés, tandis que les appels à la consommation de pilules abortives par des voies non légales sont protégés, voire valorisés.
Ce basculement est grave. Car ce n’est plus seulement la question de l’avortement qui est verrouillée: c’est la possibilité même d’en débattre. L’IA, par son rôle de vigie numérique, devient l’instrument d’une pensée unique automatisée. Derrière son apparente neutralité se dissimule une architecture de contrôle : ce qui ne passe pas le filtre algorithmique est effacé du débat public.
Ainsi, une technologie née pour élargir le champ des possibles se transforme en outil de réduction idéologique. Ce qu’elle ne promeut pas devient invisible. Ce qu’elle classe devient suspect. Ce qu’elle supprime cesse d’exister. Le pluralisme s’étiole, non par la censure brutale, mais par l’effacement progressif de tout ce qui dérange.
Dans une société démocratique, la question de l’avortement mérite mieux qu’un bannissement algorithmique. Elle exige confrontation d’idées, respect des consciences, reconnaissance des désaccords profonds. Si l’intelligence artificielle est instrumentalisée pour écraser toute contestation morale, alors ce n’est pas seulement la voix des pro-vie qui est étouffée, mais la liberté de penser elle-même. —

(1) Dr Tlaleng Mofokeng, avorteuse sud-africaine, animatrice d’une émission télévisée sur le sexe et militante pour la légalisation du « travail du sexe » dans le monde entier. Depuis sa nomination en 2020, elle utilise fréquemment sa plateforme onusienne pour promouvoir l’avortement comme un droit et faire avancer les questions LGBTQ.

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Newsletter N° 261 – 25 juin 2025 | Source : Perspective catholique

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