Benedikt Roos, nouveau chef de l’armée suisse : un officier méconnu face à l’épreuve de la neutralité

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Eric Bertinat – Le Conseil fédéral a choisi Benedikt Roos, soixante ans, pour succéder au commandant de corps Thomas Süssli à la tête de l’armée suisse dès le 1er janvier 2026. Cette nomination se déroule dans un climat tendu. Elle intervient dans une période de doutes profonds où l’image de la Suisse sur la scène internationale est brouillée par des choix diplomatiques contestés et où son armée peine à convaincre de sa solidité.

Benedikt Roos est un officier de carrière depuis 1997. Il a gravi les échelons avec régularité, sans éclat particulier, jusqu’à prendre en août 2024 la direction des Forces terrestres. L’homme demeure pourtant largement méconnu du grand public. Son parcours, jugé discret, n’a jamais été associé à de grandes réformes ni à des prises de position marquantes. Dans les médias, il est décrit comme «gmögig» (terme suisse allemand signifiant accessible, sympathisant, proche de ses hommes) et que son style de commandement est motivant. Le Conseil fédéral vante «son attitude authentique et tournée vers l’avenir, ainsi que son charisme», mais beaucoup s’interrogent. Peut-on confier à un profil aussi effacé la mission de restaurer la crédibilité d’une armée fragilisée et d’incarner la neutralité suisse dans un monde de plus en plus polarisé ?

Car l’armée est en difficulté. Les projets d’armement les plus emblématiques accumulent retards et surcoûts. L’achat des F-35 symbolise cette dépendance grandissante vis-à-vis des États-Unis. RUAG MRO, censée être un pilier de la maintenance militaire, se débat dans des scandales de gouvernance. À ces dysfonctionnements internes s’ajoute une crise de confiance, alimentée par une communication jugée opaque et une planification trop souvent prise en défaut.

Dans ce contexte, la neutralité suisse vacille. Ce principe qui avait fondé la sécurité et le prestige international du pays s’effrite. L’alignement sur les sanctions européennes contre la Russie, les débats sur la réexportation d’armes vers des zones de guerre, les pressions croissantes pour coopérer davantage avec l’OTAN brouillent l’image d’une Suisse indépendante et médiatrice. Le pays n’est plus perçu comme ce territoire équidistant où la diplomatie pouvait s’exercer hors des logiques de blocs. Cette perte d’identité rend d’autant plus difficile la tâche du futur chef de l’armée.

Martin Pfister, ministre de la Défense, loue en Roos un homme charismatique, capable de fixer des priorités et de rassembler. Mais derrière ces paroles officielles, les observateurs demeurent prudents. Dans l’espace public, la nomination n’a pas suscité de vagues, mais les réactions oscillent entre soulagement et scepticisme. Certains se réjouissent du retour à un officier formé dans les rangs, après un chef venu du civil dont le profil atypique avait divisé. D’autres estiment qu’un homme si discret n’aura ni l’autorité ni la vision pour restaurer une confiance déjà abîmée et pour redéfinir ce que signifie encore la neutralité suisse.

En janvier 2026, Benedikt Roos héritera d’un mandat lourd. Il lui faudra stabiliser une institution fragilisée, apaiser les critiques et, surtout, clarifier la place de la Suisse dans le tumulte géopolitique. La neutralité sera au cœur de cette mission. Doit-elle rester un principe armé mais indépendant, comme jadis ? Doit-elle évoluer vers une posture d’alliance tacite avec l’Occident et l’OTAN ? Ou bien faut-il inventer une nouvelle forme de neutralité, adaptée à un monde où les zones grises disparaissent ?

La question demeure ouverte. Pour l’heure, la Suisse se dote d’un chef militaire dont on ne sait presque rien, sinon qu’il est le produit d’une longue carrière sans relief. C’est à lui désormais de montrer que cette discrétion peut se muer en force et que, dans le silence d’une trajectoire modeste, peut naître la vision dont le pays a tant besoin.

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Eric Bertinat
À la suite de la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques, Éric Bertinat cofonde, avec ses amis les abbés La Praz et Koller, la revue Controverses (1988-1995). En 2010, il fonde l’association Perspective catholique, engagée sur des questions sociétales en lien avec la doctrine chrétienne. Journaliste et collaborateur régulier de plusieurs publications (Le Vigilant, Présent, Una Voce Helvetica, etc.), il entame également une carrière politique dès 1984. Élu député au Grand Conseil de Genève en 1985 sous la bannière de Vigilance, il y revient en 2005 avec l’UDC et occupe plusieurs postes clés jusqu’en 2013. Il est aussi membre du Conseil municipal de Genève à partir de 2011, où il exerce diverses présidences de commissions jusqu’en 2021. Le 5 juin 2018, il est élu président de ce Conseil pour la période 2018-2019.

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