Abbé Thibault de Maillard – Dans son rapport 2023 sur les objectifs de développement durable (ODD) 2030, L’ONU ne propose pas seulement des objectifs de développement, mais indique aussi les moyens qui lui semblent adaptés. Dans le domaine de la pauvreté et de la ‘protection sociale’, l’ONU n’indique qu’une seule solution : l’étatisation. Si l’intervention de l’Etat est certes une solution, il faut contester que ce soit une solution durable. Explication à partir des principes de la doctrine sociale de l’Eglise.

Soulignons d’abord le mépris onusien pour les systèmes de protection sociale non étatiques. Les 4 milliards de personnes « non couverts par les programmes de protection sociale légale » (ODD p. 12) sont considérés comme « pas protégés ». La Tour du Pin (Vers un ordre social chrétien) rappelle qu’il existe pourtant deux autres grands systèmes de protection sociale : le système familial traditionnel, dans lequel les travailleurs d’une famille prennent en charge les plus jeunes et leurs anciens, et le système de protection par les associations professionnelles, dans lesquelles l’association s’engage à subvenir aux besoins de ses membres partis à la retraite par une caisse de retraite professionnelle. La plupart des pays jugés par l’ONU comme non couverts bénéficient en réalité de la protection sociale familiale. Les considérer comme non couverts revient à du négationnisme en niant la réalité des pays ciblés.

Une réflexion objective s’impose donc à propos de la protection sociale, pour manifester les avantages et les inconvénients de chaque système.

Le système familial a l’inconvénient pour un partisan des droits de l’homme de placer la personne dans un réseau étroit d’interdépendance, incompatible avec la licence morale prônée par l’ONU (OMS Afrique : Sexual and reproductive health fact sheet, juin 2020). En effet, le cadre familial traditionnel constitue une barrière à l’amour libre de l’idéologie des droits de l’homme. Mais si l’on exclut cette vision anti-familialiste, une protection familiale a l’avantage de favoriser l’entraide gratuite non seulement dans la famille, mais aussi dans toute la société, puisque chacun apprend le soutien mutuel par la famille. Beaucoup savent que les pays qui vivent dans la protection sociale familiale sont beaucoup plus chaleureux : les habitants connaissent la joie de donner. Remarquons cependant que ce système présuppose une stabilité des familles, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Ce système peut aussi être difficile à mettre en œuvre là où les déplacements et d’autres circonstances limitent les possibilités de l’entraide familiale.

Le système d’entraide par association professionnelle remédie aux vraies faiblesses du système familial : si le soutien de famille devient incapable de protéger, l’association subvient à ses besoins. Ce système est présent en Suisse, avec des conventions collectives et des caisses de pension professionnelles privées. L’association professionnelle a l’avantage d’adapter parfaitement son aide à la configuration de la profession. De plus, en étant gérée par une représentation équitable du patronat et du salariat, elle a intérêt à ce que son fonctionnement soit efficace : elle sera économique.

Le système de protection sociale étatique n’est pas absurde : il est nécessaire dans les cataclysmes qui exigent une intervention urgente et importante. Si les citoyens sont, pour un temps, incapables de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins, l’Etat est un recours nécessaire. Mais la généralisation de ce système ne peut que nuire. En effet, Pie XI affirme ce principe immortel selon lequel « ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. » La raison en est d’un côté la liberté nécessaire à l’Etat pour assurer ses missions propres, et de l’autre le caractère stimulant et responsabilisant pour les citoyens de pourvoir eux-mêmes, à leur niveau, à leurs responsabilités. Ordinairement, le rôle de l’Etat n’est donc pas de prendre en charge, mais d’arbitrer la prise en charge par les sociétés particulières.

Un bon système de protection sociale n’est donc pas uniquement familial, ou professionnel, ou étatique : il cumule les trois. La proportion varie en fonction des circonstances. Repli à la maison pour les étudiants pendant le covid, village valaisan menacé par une coulée de boue : le réel vient déplacer les responsabilités en fonction des aptitudes de chaque acteur. Mais un principe régulateur doit intervenir : celui de la priorité aux échelons les plus bas. C’est pourquoi il faut s’étonner de l’insistance de l’ONU pour la dépense étatique de protection sociale : cette exclusivité revient à de l’assistanat. Elle produit l’égoïsme social et la perte du sens des responsabilités. Raison pour laquelle le développement promu par l’ONU n’est pas durable.

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Newsletter N° 212 – 13 mai 2024 | Source : Perspective catholique